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La Castafiore, héroïne de l’opéra, qui amène la musique classique au cœur des aventures de Tintin

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Par Céline Dekock d'après la vidéo de Valentine Jongen

Il y a 116 ans jour pour jour, le 22 mai 1907, naissait à Etterbeek un certain Georges Remi, plus connu sous le nom d’Hergé. À l’occasion de l’anniversaire du papa du plus célèbre des reporters belges, et comme nous sommes en plein milieu du Concours Reine Elisabeth dédié au chant, Valentine Jongen nous emmène au Musée Hergé, à Louvain-La-Neuve, pour nous parler d’un des personnages secondaires mais iconiques de Tintin, la cantatrice Bianca Castafiore.

Depuis leur première apparition dans le supplément jeunesse du journal belge Le petit vingtième, avec Les aventures de Tintin au pays des soviets en 1929, Tintin et son fidèle compagnon à quatre pattes Milou ont conquis le cœur de millions de lecteurs dans le monde entier et sont devenus l’un des emblèmes de la Belgique.

Tintin est un jeune reporter belge, qui a souvent fait le tour du monde pour ses articles, accompagné de son fidèle compagnon Milou. Il est allé en URSS, au Congo, a visité l’Inde, l’Egypte, s’est rendu en Chine, au Tibet et au Pérou et est même parti à la conquête de la Lune (une quinzaine d’années avant Neil Armstrong).

Très vite, Hergé imagine de nouveaux personnages qui accompagneront les aventures du reporter. Les agents de police Dupond et Dupont arrivent dès 1932, et sont présentés comme les agents X33 et X33bis, détectives diplômés. Archibald Haddock, le capitaine féru de bon whisky et de jurons très imagés apparaît en 1941. Il y aura aussi à partir de 1943 le Professeur Tryphon Tournesol, inventeur et humoriste malgré lui. Mais il est un autre personnage iconique qui apparaît dès 1938 dans les aventures de Tintin, Bianca Castafiore.

Mais comment ce personnage de cantatrice italienne fantasque est-il né, sachant que Hergé – il ne s’en cachait pas – n’aimait pas l’art lyrique ?

Une première apparition

Le personnage de Bianca Castafiore apparaît pour la première fois dans le huitième album des aventures de Tintin, Le sceptre d’Ottokar, paru en août 1938, en noir et blanc dans le Petit Vingtième. Dans cet album, Tintin se rend en Syldavie en qualité de secrétaire du professeur Halambique, spécialiste en sigillographie. Tentant d’échapper à des ennemis syldaves, Tintin est pris en stop par une célèbre cantatrice qui se rend à l’opéra de Klow pour y donner un récital. Aux côtés de la cantatrice, on retrouve son pianiste, qui se nomme Igor Wagner. Un nom dans lequel nous pouvons voir une référence à Igor Stravinski et Richard Wagner.

C’est la première des nombreuses apparitions du personnage de La Castafiore. Une première entrée fracassante, durant laquelle elle entonne son morceau de bravoure, L’air des bijoux, qui poussera Tintin à descendre de la voiture et à continuer le chemin vers Klow à pied.

Ce fameux air des bijoux est issu de l’opéra Faust du compositeur français Charles Gounod.

Un personnage récurrent

D’abord personnage secondaire, le rossignol milanais va très vite devenir l’un des personnages phares des aventures de Tintin, au même titre que le Capitaine Haddock, les Dupondt ou le Professeur Tournesol.

On la voit apparaître dans pas moins de neuf albums de la série : Le sceptre d’Ottokar, les Sept Boules de cristal, L’affaire Tournesol, Coke en stock, Les Bijoux de la Castafiore, Tintin et les Picaros, Tintin et l’Alph-Art. Et si elle n’y est pas présente physiquement, on entend La Castafiore chanter à la radio dans Tintin au pays de l’or noir et Tintin au Tibet.

Bianca Castafiore devient incontournable et quand elle ne chante pas, elle suscite l’agacement en se trompant systématiquement de nom lorsqu’elle s’adresse au capitaine Haddock. Et dans l’album qui lui est dédié, Les Bijoux de la Castafiore, cette dernière écrit à Tintin et lui prie de remettre ses amitiés au capitaine Bartok. Impossible de ne pas y voir une nouvelle allusion à la musique classique, faisant référence au compositeur hongrois Béla Bartók.

La Castafiore : une abominable interprète ?

La Castafiore est vite devenue, dans l’imaginaire collectif, le symbole de la cantatrice ratée à la voix stridente et au talent médiocre. Un critique musical a même prétendu à l’époque qu’Hergé s’était librement inspiré de Florence Foster Jenkins, cette chanteuse américaine incapable de chanter juste. Pourtant, comme l’évoque Jacques Langlois dans un article du Figaro (20/09/2015), rien dans les dessins d’Hergé ne laisse penser que la cantatrice chante faux.

Nous le savons, Hergé n’était pas un adepte du bel canto, tout comme son personnage le Capitaine Haddock. Mais même si la voix puissante du rossignol milanais fait fuir à tour de rôle Tintin, Milou et le Capitaine, "ses notes sont parfaitement justes, comme le prouvent leurs représentations dans les bulles dessinées par Hergé, et ravissent les amateurs du genre" comme le souligne Jacques Langlois.

D’ailleurs, nous pouvons rapprocher le personnage de La Castafiore de la grande Diva du XXe siècle, Maria Callas. Langlois en veut pour preuve la présence de la Castafiore à bord du yacht Shéhérazade aux côtés de Rastapopoulos, qui fait évidemment écho aux séjours de Maria Callas sur le Christina d’Onassis.

La Castafiore est par ailleurs présentée comme une chanteuse de premier ordre, cantatrice à La Scala de Milan, et chantant sur les plus grandes scènes du monde. Et si les réactions quelque peu négatives de Tintin, du Capitaine Haddock ou encore de Milou face à l’art du Rossignol milanais étaient simplement une transposition du peu d’affection que portait Hergé à l’art lyrique ?

Quoi qu’il en soit, force est de constater que les références à la musique classique se retrouvent un peu partout dans l’œuvre d’Hergé. Ce qui a poussé Hergé à parsemer son œuvre de références musicales classiques, c’est tout d’abord l’influence de ses parents qui étaient de fervents amateurs d’art lyrique – au grand dam d’Hergé qui n’appréciait que modérément le bel canto -, mais c’est aussi et surtout grâce à son collaborateur Edgar Pierre Jacobs, qui était un ancien baryton (et qui deviendra ensuite l’auteur de Blake et Mortimer).

Les Bijoux de la Castafiore

Hergé conçoit cet album dès la fin de l’année 1960 et rompt avec lui le schéma habituel des aventures du reporter. En effet, Tintin de voyage pas, toute l’intrigue se déroule dans le château de Moulinsart, avec une omniprésence féminine. La Castafiore remplit en effet tout l’espace disponible par son ego, par sa féminité et, bien sûr, par sa voix.

Dans Les Bijoux de la Castafiore, plus que dans n’importe quel autre album de Tintin, les allusions à la musique classique sont omniprésentes : la cantatrice évoque le "Capitaine Bartok" en parlant du capitaine, ce dernier, quelques cases plus loin, parle d’une "espèce de Beethoven" pour évoquer Igor Wagner, le pianiste accompagnateur de la diva italienne. Des noms de compositeurs reviennent ensuite quand la Castafiore est interviewée par la télévision. Elle cite Rossini, Puccini, Verdi et Gounid… corrigeant rapidement son erreur en "Gounod", compositeur de son air fétiche, l’air des bijoux. Cette erreur de prononciation "à l’italienne" du seul compositeur français de la liste, peut également faire référence à l’issue de l’intrigue de l’album, puisque – attention spoiler – le fameux émeraude perdu par la diva se trouvait dans le nid d’une pie. Notons d’ailleurs que l’intrigue de l’album est inspirée d’un opéra, La Gazza ladra, La Pie voleuse de Rossini.

Ce qui est certain, c’est que même s’il n’aimait pas l’opéra, Hergé aimait la musique et surtout, il la connaissait. Parce que d’abord il se renseignait abondamment sur les sujets qu’il traitait, mais aussi parce qu’il pouvait compter sur certains de ses collaborateurs comme Edgar P. Jacobs. En ce qui concerne la Castafiore, si aux premiers abords, elle passe pour une imposante chanteuse d’opéra qui casse les oreilles, elle se révèle bien plus au fil des albums : généreuse, optimiste, courageuse, fidèle en amitié, elle n’hésite jamais à se mettre en danger pour sauver ses amis.

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