CJ : À nouvelle directrice, nouvelle philosophie. Qu’est ce que vous changez fondamentalement ? Il n’y a plus d’artistes associés, vous décidez de tout ? Quelle est cette nouvelle pratique ?
AB : Charleroi-Danses, c’est une équipe dont certains membres ont plus d’expérience que moi, notamment pour la danse belge. J’ai étudié l’histoire de Charleroi Danses un long moment avant d’entrer dans cette aventure. Je veux le meilleur pour le développement de cette structure et la considération qu’on doit au public tout en faisant avancer la qualité des spectacles.
être savoureux
CJ : Française, avec une grande expérience internationale, vous débarquez en Belgique à un moment où une équipe venue des années 70 s’en va. Comment organisez-vous un renouvellement des chorégraphes belges ?
AB : Je fais un pari sur l’avenir mais je n’exclus aucun de ceux qui ont encore des choses à dire. Louise Vanneste (dans la trentaine) et Ayelen Parolin (dans la quarantaine) ne sont plus ‘artistes associées’ et ne prennent donc aucune part à mes décisions de programmation mais elles sont à un point de leur carrière où elles ont besoin d’être soutenues : c’est ma responsabilité. Matériellement elles reçoivent 50 000 euros par an, garantis pendant trois ans, pour leurs productions sans obligation de créer chaque année. Elles ont un statut privilégié pour l’organisation matérielle de leur travail (studios, bureaux, etc) et donc une forme de sécurité qui préserve leur indépendance vis-à-vis de la structure et leur besoin de liberté et de respiration pour créer.
Pour la programmation de cette Biennale mais aussi de toute la saison, Annie Bozzini a un faible pour les thèmes féministes, engagés, l’Afrique, la préservation du répertoire de la danse contemporaine. Avec une interrogation fondamentale sur les racines populaires de la danse contemporaine,l’histoire de la danse et l’Histoire tout court. Un spectacle
CJ : Avez-vous un mot à dire sur leurs projets ?
AB : Elles connaissent davantage Bruxelles que Charleroi et je dois donc leur faire prendre conscience de l’histoire et des réalités de Charleroi, une source d’inspiration qu’elles ignoraient complètement. Il faut aussi leur faire rencontrer le public de Charleroi pour leur donner l’occasion de s’expliquer. Quant à leur création proprement dite et à leurs distributions, on en discute évidemment, c’est un de mes rôles, mais cela doit rester très fluide : je leur donne du répondant et des moyens mais je ne suis pas leur " tutrice ". Je fais venir des programmateurs, mais c’est à elles de défendre leur travail.
CJ : Charleroi Danses a aussi un lieu à Bruxelles, la Raffinerie. Comment allez-vous répartir les rôles entre les deux ?
AB : On ne programme évidemment pas la même chose sur les deux lieux. Bruxelles est une grande capitale et la Raffinerie est un lieu très identifié qui appartient à l’histoire culturelle de la ville. On peut y présenter des choses plus pointues. A Charleroi la relation de confiance est à instaurer, il faut susciter l’appétit de danse du public et lui donner l’envie de revenir nous voir puisque les dernières années ont été moins riches. Donc on ne fait pas la même chose dans les deux lieux : à Bruxelles, on a un public qui se croit éclairé et à Charleroi nous avons à le guider et à le reconquérir.
CJ : Ca veut-il dire que vous allez proposer des formes plus " populaires " ?
AB : On ne connaît plus très bien le sens de ce mot " populaire ". L’argent public sert à la création, pas à l’organisation de bals populaires ou de rondes de sardanes .En revanche, inscrire ces danses-là dans un grand processus de création et considérer qu’elles rendent l’art contemporain plus vivant, cela fait partie de ma mission. Ainsi dans cette biennale, Rocio Molina revisite une danse populaire, le flamenco en donnant une couleur féminine à cette danse de macho, où la répartition des rôles sur le plateau est plutôt sexiste. Rocio Molina le remet en question en donnant le pouvoir aux femmes. Donc je veux orienter Charleroi-Danses vers la prise en considération des sources populaires et de l’histoire de la danse sans oublier ce qui se passe sur internet comme le montre le groupe La Horde qui ouvre notre Biennale.
CJ : On a parlé de Bruxelles, de Charleroi, et la Flandre ? Elle entre dans votre jeu ou pas ? Quels sont vos centres d’intérêt ?
AB : Chaque année il y aura des artistes flamands invités. Anne Teresa De Keersmaeker, Jan Fabre, et cette saison Koen Agustijnen, les artistes flamands m’ont toujours intéressée, comme tous les artistes de valeur internationale. C’est une de mes antennes, mais l’Afrique en est une autre : jamais je n’ai conçu une programmation sans au moins un artiste africain, c’est une primauté pour moi. L’Afrique est un des berceaux de la danse, les artistes africains se débattent dans des situations économiquement très dures, et donc il faut les aider.
Je tiens aussi à rappeler quelques grands maiîtres de l’histoire de la danse comme, dans cette biennale, William Forsythe ou Lucinda Childs. Il est très important que le public prenne conscience de l’histoire des sommets de la danse contemporaine et ait accès à des pièces de référence.
Biennale Charleroi-Danses aux Ecuries (Charleroi) et à la Raffinerie (Bruxelles).
Jusqu’au 14 octobre.
Renseignements : http://www.charleroi-danse.be/
Christian Jade (RTBF.be)