La Belgique est-elle vraiment exposée à des risques de pénurie d'eau ? Il faut regarder au-delà des frontières nationales

La ville de Bouvignes, en bord de Meuse : le bassin de la Meuse est un dont la pression sur les ressources en eau est la plus forte

© CC BY-SA 2.0 - Dennis Jarvigne

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Par L.V. et A. Louvigny, avec Th. Vangulick

Ce vendredi, il a plu sur la Belgique, mais trop peu et pas assez longtemps. Cette situation semble se prolonger depuis quelques semaines. Ce manque de précipitations laisse-t-il craindre de se retrouver en situation de pénurie d’eau ? Pour Aurore Degré, professeure en hydrologie à Gembloux Agro-Bio Tech-Université de Liège, la réponse est nuancée. "En Belgique, il y a des régions dans lesquelles il pleut un peu moins, et d’autres dans lesquelles il pleut un peu plus. Donc, l’évolution n’est pas aussi claire. Autant les températures augmentent de manière indéniable, autant l’évolution des précipitations n’est pas aussi claire. Par contre, la répartition dans le temps est différente. On a des étés qui ont tendance à apparaître plus secs, et des hivers plus pluvieux. Et donc, ce qui se passe est que la répartition dans le temps des précipitations n’est plus aussi homogène. Alors, on a toujours suffisamment d’eau pour nos usages, pour autant qu’on reste prudents par rapport à tous ces usages. Il faut de l’eau pour l’agriculture, pour l’industrie, et les aspects récréatifs. Mais globalement, en termes de bilan, nous avons suffisamment d’eau, en Belgique, au jour d’aujourd’hui." En outre, il faut savoir qu’il tombe, en moyenne, 500 millions de m3 d’eau par an, en Belgique.

Qu’en est-il pour les années futures ?

Et dans les années qui viennent ? Une récente étude réalisée par des chercheurs du World Resources Institute, aux États-Unis affirme que notre Royaume figure parmi les pays les plus exposés à une situation de pénurie hydrique extrême. Toutefois, ils auraient omis certains éléments lorsqu’ils ont établi leurs conclusions, comme l’explique notre spécialiste en hydrologie. "Nous calculons régulièrement les bilans hydrologiques, en tout cas pour la partie wallonne du pays, et il est clair qu’il n’y a pas de risques sur les aspects de la quantité. Cela ne veut pas dire qu’il y a de l’eau partout tout le temps, mais globalement sur une échelle pluriannuelle, on n’est pas davantage consommateurs d’eau que ce qu’on reçoit via des précipitations."

Et d’avancer le fait que l’étude américaine s’est peut-être basée sur des données qui ne reflètent pas tout à fait la réalité : "c’est peut-être que les prélèvements d’eau, que ce soit pour l’agriculture ou l’industrie, sont tous considérés de la même manière, c’est-à-dire comme des prélèvements qui sont retirés du cycle hydrologique. Or, il y a des gros prélèvements qui sont effectués, notamment, sur la Meuse pour le refroidissement des centrales nucléaires, et qui retournent directement à la rivière. Donc le gros de ce qui est prélevé dans la rivière y retourne, juste après son passage à la centrale. Je pense que si ces prélèvements ont été considérés comme perdus, cela peut expliquer les conclusions de l’étude américaine. Mais, la réalité des choses est différente."

L’eau du bassin de la Meuse surexploitée

Mais que disent les chiffres ? Afin d’estimer au mieux l’exploitation de l’eau en Europe, l’Agence européenne de l’Environnement (EEA) a développé en 2011 un index qui ne se limite pas aux territoires nationaux : en effet, les ressources en eau comme les rivières et nappes phréatiques ne suivent pas la logique humaine des frontières nationales, l’index a donc comme base territoriale un district hydrographique : le bassin. Par exemple, une grande partie de la Wallonie fait partie du bassin de la Meuse, et les ressources en eau de ce bassin dépendent des prélèvements faits dans les pays frontaliers : nos ressources en eau dépendent aussi du comportement des habitants et industries de France, Allemagne et Pays-Bas, faisant partie du bassin de la Meuse. Cet index tient également compte de l’effet des saisons.

Afin d’avoir une bonne idée de la pression exercée sur ce bassin, il faut donc considérer les index pour chaque saison, et sur plusieurs années. La Belgique se trouve sur trois bassins : deux principaux, la Meuse et l’Escaut, et un plus petit, la Moselle (du côté de Bastogne). L’Escaut et la Moselle sont plutôt en bonne forme, mais pour la Meuse, c’est plus complexe.

D’après les données de l’EEA, le bassin de la Meuse est un des plus exploités d’Europe, durant la période 1990-2015, comme l’illustre la carte interactive de cet index (WEI +) sur leur site. Si cet index est supérieur à 20%, on considère que la pression sur l’eau est trop forte ; s’il dépasse 40%, l’eau est alors considérée comme rare. En considérant d’un peu plus près les chiffres de ce bassin de la Meuse, la situation est assez inquiétante : de 2010 à 2015, le bassin est systématiquement au-dessus des 20%, et quasi tout le temps au-dessus des 40%.

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Comme l’a fait remarquer la professeure en hydrologie à Gembloux Agro-Bio Tech Aurore Degré, il faut bien sûr tenir compte du fait qu’une partie des ressources en eau prélevées sur ce bassin est le fait d’industries de l’énergie, qui reversent donc en partie cette eau directement dans la rivière où elle le prélève. Pour le district hydrographique du bassin de la Meuse, le secteur de l’énergie est le principal "extracteur" d’eau, et représente en moyenne 60% des prélèvements totaux. Il faut donc relativiser ces chiffres, mais la situation reste préoccupante pour le bassin de la Meuse et donc, indirectement, pour une grande partie de la Wallonie.

La question de la pénurie d’eau doit donc transcender les frontières géographiques humaines, et faire l’objet d’une réflexion transrégionale basée sur une réalité hydrographique, le comportement en exploitation de l’eau de nos voisins nous affectant directement.

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