Patrimoine

L'UNESCO en Belgique : l'imprimerie Plantin-Moretus à Anvers

© BELGA/VERGULT

Par Johan Rennotte

L’UNESCO a fêté ses 75 ans. À l’occasion de cet anniversaire, nous vous présentons certaines des perles du patrimoine mondial matériel présent chez nous. Visitons ensemble la maison et les ateliers Plantin-Moretus à Anvers, haut lieu de la diffusion des idées aux Temps-Modernes, classé depuis 2005.

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Lorsque l’on visite le musée Plantin-Moretus, on fait un bond dans le temps. Rien ne semble avoir bougé. Le mobilier est d’époque, même les murs sont encore recouverts de leurs tapisseries en cuir originelles. L’ambiance sombre (les fenêtres sont obstruées pour que la lumière n’abîme pas l’intérieur) donne l’impression d’être un soir de 1580, dans l’intimité de la famille Plantin dont chaque membre s’affaire pour faire tourner l’entreprise familiale.

L’intérieur de la demeure
Les murs encore recouverts de leur tapisserie d’origine
Les salons sont restés dans leur jus
Plantin par Rubens

Mais revenons au commencement. En 1550, le Français Christophe Plantin quitte son pays natal pour s’installer dans la florissante Anvers. Relieur de formation, l’homme est un érudit, mais a aussi le sens des affaires. La ville portuaire est alors le centre mondial de l’imprimerie, douée dans l’impression clandestine des pamphlets, de livres interdits ou encore d’écrits protestants. Logiquement, Plantin ouvre donc une imprimerie. Et très vite, le succès est au rendez-vous. En 1570, elle est ni plus ni moins la plus grande imprimerie du monde, comptant 22 presses et 80 employés, avec des filiales en Hollande et à Paris.

Moretus par Rubens

L’entreprise Plantin est avant tout familiale. Christophe et sa femme Johanna ont 6 enfants, donc cinq filles, qui travaillent elles aussi dans l’imprimerie dès le plus jeune âge. L’une d’elles, Martine, épouse Jan Moerentorf, collaborateur de son père dont le nom latinisé est Moretus. C’est lui qui, à la mort de Plantin, reprendra l’affaire et la fera fleurir.

"Les Steve Jobs et Mark Zuckerberg de leur temps"

L'atelier de l'imprimerie

Ce n’est qu’en 1576 que Plantin installe son imprimerie, l’Officina Plantiniana, dans le bâtiment actuel, sur la Vrijdagmarkt. Sa renommée est déjà mondiale, et il faut plus de place pour les presses et ce qui en sort. La qualité du travail effectué fait que la maison Plantin devient privilégiée par les scientifiques et les humanistes. Mais certains textes réformistes causeront des ennuis à Christophe, qui devra s’exiler plusieurs années, accusé d’hérésie.

L’entreprise ne fait pas seulement dans l’impression de textes érudits ou religieux, mais aussi dans les cartes, les illustrations et des globes terrestres. On imprime bien entendu en latin, mais aussi en néerlandais, français, grec, espagnol, hébreu, allemand, italien, ancien syriaque et aramais. Les bibles, atlas, traités de botanique, partitions musicales ou écrits philosophiques sont lus partout dans le monde.

Les techniques sont à la pointe de la modernité. Plantin invente lui-même des polices de caractères, dont certaines sont encore utilisées aujourd’hui. Le "Garamond", c’est lui. La maison est capable de réaliser des ouvrages que personne d’autre ne peut faire, comme les livres de très petites tailles. Plantin a ainsi réalisé un calendrier miniature de 22 mm sur 35, un exploit.

 

Des centaines de matrices ont imprimé certains des plus grands textes de l’humanité
Des centaines de matrices ont imprimé certains des plus grands textes de l’humanité © BELGA/VERGULT

À la mort de son beau-père, en 1589, Moretus reprend l’affaire, et la développe encore plus. Il obtient du pape une exclusivité sur les livres liturgiques. La maison Plantin-Moretus est donc la seule autorisée à imprimer ces ouvrages.

Martine Plantin-Moretus

Comme l’indique le musée, Plantin et Moretus étaient "les Steve Jobs et Mark Zuckerberg de leur temps". À la mort de Jan, en 1610, c’est sa femme Martine qui reprend les rênes de l’entreprise durant 4 ans. Si le nom Plantin est resté accolé à celui de Moretus, c’est donc aussi grâce à une femme. Elle fera perdurer l’imprimerie, et ses descendants seront à sa tête durant près de 260 ans. La maison Plantin-Moretus ferme ses portes en 1867.

Un lieu figé dans le temps

Sur la Vrijdagmarkt, le complexe que forment les ateliers et la demeure Plantin-Moretus est donc aujourd’hui un musée, et peut-être l’un des plus incroyables du pays. Et l’un des plus vieux aussi, puisqu’il est ouvert depuis 1877, un an après que le dernier Moretus l’ait vendu à la ville d’Anvers.

Le bâtiment a fortement évolué dans le temps, Christophe Plantin achetant, petit à petit, les maisons voisines pour s’agrandir. Il prend son aspect actuel entre 1620 et 1640. Organisé autour d’un jardin intérieur, il regorge de coins et de recoins. On peut aisément s’imaginer dans les pas des Plantin-Moretus et de leurs employés, qui ont arpenté les lieux des siècles durant.

Le jardin intérieur de la demeure
Le jardin intérieur de la demeure © Tous droits réservés

Les pièces d’habitation, à l’ambiance si bien sauvegardée, abritent des dizaines de portrait de l’arbre généalogique de la famille. Certains sont signés de Rubens en personne. Le peintre est un proche de la famille, et collabore souvent avec elle pour illustrer certains des prestigieux ouvrages qui sortent de presse. Nombre de ses tableaux ornent encore les lieux.

Les presses, justement, sont peut-être le joyau le plus précieux du musée. Deux d’entre elles, fabriquées vers 1600, sont tout simplement les plus anciennes du monde. Conservées dans l’atelier, elles accompagnent les centaines de lettrines, de poinçons et de matrices qui ont été conservés. Des chiffres et des lettres, et une foule d’autres symboles, qui ont permis l’édition à grand tirage de certains des textes les plus importants de l’humanité.

Les deux plus vieilles presses du monde
Les deux plus vieilles presses du monde © Tous droits réservés
La carte de l'Utopie, d'après Thomas More

La collection documentaire et les archives de l’institution constituent, elles aussi, un héritage culturel majeur. Vous y trouverez des herbiers uniques au monde, des cartes de la main de Mercator, des estampes, des gravures, des dessins de Rubens, la carte de l’Utopie de Thomas Moore, et même la Bible dite de "Gutenberg à 36 lignes", deuxième bible imprimée en Europe dont il n’existe que 14 exemplaires, ouvrage imprimé le plus ancien dans un musée belge. Elle fut imprimée par Gutenberg en personne, et acquise par Plantin au prix fort.

L’importance mondiale de cette armada documentaire a, lui aussi, été reconnue par l’UNESO, et figure sur une deuxième liste, celle du Registre de la Mémoire du Monde au titre de "Patrimoine culturel documentaire de l’Humanité".

La bibliothèque contient des ouvrages précieux
L’endroit regorge de livres

La maison-atelier Plantin-Moretus est donc un passage obligé pour tout qui s’intéresse un tant soit peu à l’Histoire et à la culture de notre pays. Le musée est ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h. Une salle de lecture est également accessible sur rendez-vous, pour celles et ceux qui voudraient découvrir l’héritage documentaire de plus près.

Toutes les informations sont sur le site web de l’institution.

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