Un jour dans l'histoire

L'or de la guerre froide : quand Charles de Gaulle a défié le dollar américain

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L'or est un enjeu majeur de la guerre froide. Il a semé la discorde entre les États-Unis et leurs alliés. Arnaud Manas, chercheur associé à Paris I-Sorbonne, directeur du service du Patrimoine et des Archives de la Banque de France, évoque ce poids monétaire sur l'équilibre des nations. Il est l'auteur de L’or de la guerre froide.

Le 4 février 1965, le général de Gaulle a fait convoquer la presse au palais de l’Elysée. Devant les journalistes du monde entier, c’est à l’hégémonie du dollar qu’il va s’en prendre. Le dollar et son exorbitant privilège. Le président français a décidé d’en appeler au retour de l’or comme étalon monétaire international.

Déclaration fracassante qui va valoir au président français le surnom de 'Gaullefinger', en référence au film Goldfinger, sorti peu de temps auparavant, dans lequel James Bond combat un criminel voulant voler l’or des Etats-Unis.

De Gaulle devient, ainsi, le pilleur de Fort Knox, la réserve fédérale où le gouvernement américain entrepose son or depuis 1937.

En quoi l’or est-il devenu un enjeu majeur de la guerre froide ? Un enjeu planétaire, non seulement entre l’Est et l’Ouest, mais aussi entre les Américains et leurs alliés…

 

Les stocks d'or dans le monde à la sortie de la Seconde Guerre mondiale

Dans l'histoire de notre civilisation, l'or a brillé dans les yeux de nombreuses personnes qui ont tenté de s'en emparer. Elle suscite encore bien des convoitises après la Seconde Guerre mondiale parmi les vainqueurs du conflit.

Avant cette défiance envers le dollar de la part de la France, il faut signaler que "la Banque de France détentrice des réserves d'or, a pu mettre à l'abri, dès 1939 et en 1940, tout le stock d'or qui se montait environ à 2000 tonnes d'or, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Antilles et en Afrique" rappelle Arnaud Manas. "C'est une opération qui avait été prévue de longue date : dès 1932, la Banque de France avait commencé à éviter de stocker de l'or dans la frontière Est et avait tout simplement regardé les zones d'invasion des 150 années précédentes. Pour éviter une nouvelle invasion, elle avait progressivement déplacé l'or vers l'Atlantique. En 1940 cela a été l'évacuation finale".

La réserve d'or américaine est quant à elle florissante : elle entrepose 20.000 tonnes à Fort Knox. La deuxième nation qui en possède le plus est la Suisse, mais elle se situe loin derrière, alors que les réserves des pays européens occupés par l'Allemagne nazie ont été appauvries. La Russie n'a quant à elle jamais divulgué d'information officielle sur son stock.

Les relations se détériorent entre les États-Unis et leurs alliés

Un an avant la fin du deuxième conflit mondial se tiennent les accords de Bretton Woods, signés par 44 gouvernements, dans le New Hampshire, pour dessiner les contours d'un nouvel ordre monétaire mondial en vue de la reconstruction d'après-guerre. Le but, éviter une crise économique telle que celle des années 1930 due à la fluctuation des taux de change. C'est à ce moment que le FMI voit le jour.

Le secrétaire d'état au Trésor américain Dexter White prône le dollar comme monnaie mondiale de référence. Elle devient alors la seule monnaie convertible en or. L'or circule donc entre les nations suite à ces accords monétaires.

La France continue pourtant des paiements avec la Russie. Arnaud Manas explique : "La situation politique française est très complexe : elle ne met pas d'ostracisme complet aux relations commerciales. Elle continue à commercer avec l'URSS et accepte les paiements dans la seule devise véritablement internationale. L'URSS n'allait pas payer en dollar et la France n'allait pas accepter des roubles. Le plus petit dénominateur commun c'était l'or. La France reçoit donc des barres d'or soviétiques en paiement du beurre ou du grain par les Russes".

Une situation qui irrite considérablement les Américains. Le pays de l'Oncle Sam avait déjà fait limé le symbole de la faucille et du marteau estampillé sur les barres soviétiques utilisées par la Grande-Bretagne.

Les relations se détériorent encore entre les États-Unis et leurs alliés avec la crise du canal de Suez en 1956. Après l'invasion française et britannique de l'Égypte, on constate que la suprématie mondiale a changé : l'URSS brandit la menace atomique et les Américains la menace monétaire. En effet, "la livre sterling est en très mauvaise position car une bonne partie des revenus en devise forte, en dollar proviennent des ventes du pétrole des compagnies britanniques et avec le blocage du canal, elles sont à sec" résume le directeur du service du Patrimoine et des Archives de la Banque de France. "Les autorités britanniques sont obligées de demander l'aide au FMI et aux Américains pour soutenir la livre sterling, ce que refuse Eisenhower. La livre se met à vaciller et les Anglais sont obligés de reculer et d'annuler l'opération".

© PhotoQuest/Getty Images

L'attaque de de Gaulle sur le dollar

Quand de Gaulle arrive au pouvoir en 1959, il veut replacer la France à sa position hégémonique d'avant-guerre, aux côtés des américains et anglais. Il se heurte une fois de plus à la méfiance des Américains, tant face à Eisenhower que face à Kennedy, qui garde "une vision très impériale des États-Unis".

Le chef d'État français se saisit alors de la question du dollar. "Avec la fin de la guerre d'Algérie et les Trente Glorieuses, avait reconstitué sa balance des paiements et avait plus d'un milliard de dollars sur ses comptes. Le général de Gaulle a essayé d'y faire moyen, mais les États-Unis avec Johnson sont inflexibles. Ils refusent de mettre de l'ordre dans leurs affaires monétaires et de partager un peu le pouvoir sur les affaires nucléaires et de faire bénéficier la France de la technologie américaine. Le général de Gaulle, constatant l'échec de sa politique antérieure, décide de durcir le ton et de convertir les dollars en or. C'est une première étape puisqu'au titre de Bretton Woods le dollar c'est 'as good as gold' et il y a une conversion automatique de 35 dollars en une once d'or fin, 31 grammes et quelques d'or. Il décide de convertir, ce qui est une première mauvaise surprise pour les américains. la deuxième qui choque peut-être le plus les américains est de rapatrier l'or français, une mesure considérée comme une mesure de défiance vis-à-vis des États-Unis".

La réaction ne se fait pas attendre côté américain. La caricature de gaullefinger "est presque la plus gentille". On assiste à des coups tordus de la CIA et on assimile de Gaulle "à la moindre conversion" monétaire d'après Arnaud Manas.

La fin de la convertibilité du dollar en or

Que fait de Gaulle ? Après avoir été dissuadé par son ministre des finances Valéry Giscard-d'Estaing de récupérer l'or de force avec un croiseur de guerre, il le récupère avec l'opération Vide Gousset via des vols d'Air France qui acheminent l'or à la Banque de France.

Un geste qui coïncide... avec le retrait du commandement intégré de l'Otan, qui quitte Paris en 1966 pour la Belgique.

La suite des événements, elle se marque en 1967. L'or et les monnaies sont en crises régulières. Si une centaine de tonnes d'or est extraite par an, la planche à billets continue de tourner pour financer les déficits, les prêts de banque, on arrive à "un décalage croissant entre le dollar et sa couverture or qui diminue". Par conséquent, la quantité d'or de fort Knox diminue drastiquement.

Richard Nixon annonce alors la fin de la convertibilité du dollar en or. Les banques centrales ne peuvent plus intervenir sur cet avoir et donc le cours de l'or augmente jusqu'à 80 ou 90 dollars selon l'offre et la demande et donc "les monnaies ne sont plus liées entre elles et se mettent à flotter". Un retour à la situation d'avant-guerre.

Fort Knox, dans le Kentucky, 1950-1970
Fort Knox, dans le Kentucky, 1950-1970 © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images

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