Santé physique

L’OMS surveille de près l’évolution de la grippe aviaire H5N1, voici pourquoi

L'invité dans l'actu: Éric MURAILLE, biologiste et immunologiste

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Par Johanne Montay

Le vison, le phoque, blaireau, le furet, le dauphin, le renard… Cette liste des espèces de mammifères infectés par la grippe aviaire H5N1 n’est pas complète et s’allonge. Une fillette de 11 ans est récemment décédée au Cambodge après avoir contracté le virus. Il s'agit du premier décès depuis 2014 lié à cette maladie animale qui se transmet rarement aux êtres humains.

Le virus n’aurait-il bientôt plus d’"aviaire" que le nom ? Détecté en 1996 en Chine, il infecte au départ les oiseaux sauvages et les élevages.

Le mode de contamination chez les mammifères est l’ingestion de carcasses contaminées. Ou faut-il dire "était "? Car un événement de contamination qui s’est produit en Espagne, laisse supposer qu’une souche de H5N1 pourrait être devenue transmissible entre mammifères. Une épidémie chez des phoques en Nouvelle-Angleterre l’été dernier interroge également à propos d’une possible transmission respiratoire, même si des conclusions sont prématurées.

Interrogé par le journal d’actualités médicales JAMA, Amesh Adalja, chercheur principal au Johns Hopkins Center for Health Security, rappelle que "beaucoup de virus de la grippe circulent chez les oiseaux mais ne représentent jamais de menaces majeures pour les humains", tout en ajoutant que "lorsque vous pensez aux étapes liées à l’émergence d’une nouvelle menace de grippe humaine, la capacité d’infecter les espèces de mammifères est l’une de ces étapes."

"Nous préparer à tout changement de statu quo"

L’Organisation mondiale de la Santé a donc appelé à la vigilance. Elle s’est montrée rassurante, tout en gardant ouverte l’hypothèse d’une évolution du virus vers une transmission interhumaine : "Les récentes transmissions à des mammifères doivent être surveillées de près", a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’OMS. "Pour le moment, l’OMS évalue le risque pour l’homme comme faible. Depuis l’apparition du virus, en 1996, la transmission du H5B1 vers, et entre les humaines est rare et peu soutenue. Mais nous ne pouvons pas supposer que cela restera le cas, et nous devons nous préparer à tout changement de statu quo".

Fin décembre 2022, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a rapporté une épidémie "la plus importante jamais observée en Europe", précisant que "le risque d’infection est faible pour la population humaine générale dans l’Union, et faible à moyen pour les personnes exposées de par leur profession."

Mais plus il y a d’oiseaux touchés, plus l’exposition d’autres animaux comme les mammifères est élevée. Et plus le virus circule parmi les mammifères, plus le risque de mutations augmente, y compris celles qui pourraient rendre possible la transmission entre les humains.

Quelle grippe aviaire ?

Quand on parle de grippe aviaire, on désigne en fait un type de virus grippal, celui de type A, qui peut infecter l’homme et de nombreux animaux.

Ces virus grippaux de type A sont diversifiés. On les classe en sous-types, avec des numéros autour des lettres H et N qui désignent 2 protéines de surface (l’hémagglutinine, H et la neuraminidase, le N).

Les oiseaux sauvages sont un réservoir important de virus grippaux de type A. Il y en a de "faiblement pathogènes", qui provoquent principalement des symptômes digestifs, et d’autres, qui sont "hautement pathogènes", et parfois mortels. C’est le cas de la grippe H5N1.

De l’oiseau au mammifère

Vous l’avez compris : ce qui est nouveau, ce n’est pas la découverte de cas de virus H5N1 en Belgique, loin de là. Sciensano en dresse régulièrement la carte.

Au cours de la saison 2022-2023, l’institut de Santé publique rapporte qu’un très grand nombre d’oiseaux sauvages ont été testés positifs à la grippe aviaire hautement pathogène : "La pression infectieuse est élevée dans la nature. Ces infections peuvent se propager dans les élevages. C’est ainsi que la Belgique compte depuis le 1er septembre 2022, 26 exploitations touchées, dont 18 élevages professionnels, 7 détenteurs particuliers et 1 parc zoologique."

Mais le virus a également infecté quelques mammifères sur notre sol : un petit élevage de furets et un renard. Sciensano estime nécessaire de maintenir "un très haut niveau de vigilance et de biosécurité au niveau du secteur afin d’éviter l’introduction du virus dans ses installations."

Et du mammifère au mammifère

Une vigilance d’autant plus indispensable après cet événement de contamination entre mammifères qui semble donc s’être produit récemment en Espagne. Des visons d’élevage intensif, en Galice, dans le nord-ouest du pays, ont été infectés par le virus d’influenza hautement pathogène H5N1. Une seule ferme a subi cette épidémie. C’est la première fois qu’un tel rapport d’infection chez des visons élevés pour leur fourrure en Europe est décrit et documenté.

L’élevage comptait 51.986 visons, logés dans des cages grillagées placées en rangées. Le taux de mortalité a augmenté de semaine en semaine jusqu’à atteindre un pic de 4,3% (la semaine du 17 au 23 octobre). Tous les animaux de l’exploitation ont dû être abattus, et leurs carcasses détruites. Aucun des 11 travailleurs de l’élevage en contact avec les animaux n’a été infecté. Il faut préciser qu’ils portaient tous obligatoirement le masque et observaient des mesures de biosécurité accrues, comme des combinaisons jetables, depuis que le coronavirus, le SARS-CoV2-2, avait infecté des élevages de visons aux Pays-Bas et au Danemark.

Il n’y avait pas de cas d’infection signalé dans les élevages de poulets à proximité. Par contre, l’événement a coïncidé avec une vague d’infections par le virus H5N1 chez des oiseaux de mer en Galice. Les oiseaux sauvages ont donc sans doute joué un rôle majeur dans l’introduction du virus dans l’élevage.

Les analyses génétiques ont permis de montrer que tous les virus de vison présentaient une mutation, associée à un avantage pour infecter des cellules hôtes de mammifères et de souris.

Une nouvelle étape

Le cas documenté en Galice ne doit certainement pas nous faire paniquer. Il s’agit d’accroître le seuil de vigilance et de biosécurité, car, comme le dit l’épidémiologiste de l’ULB Marius Gilbert, "ce qu’on n’a rarement observé dans l’histoire du H5N1, ce sont des transmissions de mammifères à mammifères. Ce qu’on a observé, dans ce cas isolé de Galice, est que de toute évidence, il y a eu de la transmission de vison à vison, qui est associée aussi à une mutation qui favorise l’infection de mammifères. Et ça, c’est un peu préoccupant parce que cela montre que ce virus en fait se "rapproche" un peu de nous, au travers, au travers de ces infections de mammifères".

"Il faut savoir que les visons appartiennent à une famille – les Mustélidés – qui sont un assez bon modèle animal pour étudier les transmissions de virus de grippe. C’est pour ça qu’on doit rester extrêmement attentifs par rapport à ces infections de mammifères et à quoi elles pourraient mener en termes d’évolution", ajoute l’épidémiologiste.

Chez les humains, le mode de transmission connu jusqu’ici est le contact avec des animaux infectés. Par exemple, dans des élevages de volatiles. En 20 ans, un peu moins de 900 cas confirmés de H5N1 ont été rapportés à l’OMS.

Interdire les élevages de vison en Europe ?

En Belgique, l’élevage de visons est désormais interdit dans toutes les régions, et prendra fin effectivement en décembre 2023. Il n’existait plus que des élevages en Flandre, et ils ont jusqu’à la fin de l’année pour disparaître. D’autres pays européens ont déjà interdit l’élevage des animaux à fourrure. Parmi eux, nos voisins luxembourgeois, allemands, néerlandais et français. En Espagne, seule la construction de nouvelles fermes est interdite depuis 2016.

Pour Marius Gilbert, il faudrait une interdiction plus large : "Je pense que ça se justifie. Pour l’instant, il y a ce virus qui circule pas mal au niveau des oiseaux sauvages. Étant donné ce risque pandémique, ça ne semble pas très raisonnable de maintenir l’élevage de visons actuellement. Je pense simplement qu’il faudra l’arrêter et essayer de trouver des moyens pour que les éleveurs puissent passer à autre chose et les aider à se reconvertir dans un autre domaine. Effectivement, c’est un risque qui est important et qu’il ne faut pas sous-estimer."

La grippe aviaire H5N1 a été détectée récemment pour la première fois à Bruxelles. Quatre mouettes rieuses ont été retrouvées mortes suite à une infection par ce virus très contagieux. Au lendemain de cette annonce, des cas de grippe aviaire ont également été détectés au parc communal de Hoeilaart, dans le Brabant flamand. Six bernaches du Canada sont mortes.

Rappel de prudence : si au cours d’une promenade, vous tombez sur un ou plusieurs cadavres d’oiseaux morts au même endroit, ne le(s) manipulez pas, ne le(s) touchez pas, et éventuellement, appelez le 0800 99.777, le call center influenza. Bruxelles Environnement estime qu’il y a "suspicion" de grippe aviaire à partir du moment où l’on trouve en même temps et au même endroit :

  • 1 individu mort pour les canards, les oies, les cygnes, les rapaces, les grèbes, la cigogne blanche, le héron cendré, la sterne caugek
  • 5 individus morts pour les foulques macroules
  • 10 individus morts pour les mouettes.

Sujet JT du 27/02/2023 :

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