La transition vers une économie neutre en carbone est désormais considérée comme une incertitude par la Banque Nationale. Incertitude sur les prix, sur le coût du nécessaire développement de technologies inexistantes aujourd’hui, et sur les réglementations – dont une éventuelle taxe carbone. Avec cette question : "qui va payer la transition vers une économie neutre en carbone ?" Pierre Wunsch gouverneur de la Banque Nationale de Belgique va jusqu’à parler d’un "choc pétrolier étalé sur trente ans".
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Les enjeux climatiques abordés par la Banque Nationale, c’est du nouveau. Qu’est-ce qui a changé ? Fin 2019, la Commission européenne a annoncé l’objectif de neutralité carbone pour l’Union Européenne à l’horizon 2050. C’est-à-dire zéro émission nette de CO2 dans trente ans, au plus tard. L’ambition européenne est donc d’en finir avec le charbon, le pétrole, et le gaz. Un défi climatique qualifié de "bonne direction", mais aussi d"incertitude", par Pierre Wunsch, pour les années à venir. "C’est une ambition gigantesque, mais ça va être compliqué".
Des prix qui tendent vers l’infini
"Si l’on veut consommer moins de charbon, de pétrole, et de gaz, il faut augmenter le prix de ces sources d’énergie par rapport aux renouvelables. Et si on veut ne plus en consommer du tout, cela veut dire qu’en théorie, il faut faire tendre les prix des combustibles fossiles vers l’infini. Et ça, c’est un gros choc pétrolier sur trente ans, et ça démontre bien l’ampleur de l’enjeu".
Choc pétrolier étalé sur trente ans ?
L’image est forte. Choc pétrolier. Une explosion des prix, des carburants, à la pompe, mais aussi, des coûts de production des entreprises, et donc des prix de toute une série de produits – même ceux qui ne sont pas directement liés au pétrole. Et dans certains cas, in fine, une réduction de l’activité économique, et de l’emploi. Voilà ce qu’est un choc pétrolier.
Soulignons que jusqu’ici, la crainte de chocs pétroliers à répétition était surtout alimentée par notre dépendance au pétrole : la crainte qu’une demande croissante face à des réserves qui s’amenuisent fasse exploser les prix. A l’inverse dans ce cas-ci, c’est donc la sortie, la prise d’indépendance de nos économies vis-à-vis des énergies fossiles qui serait de nature créer une sorte de "choc pétrolier" selon Pierre Wunsch.
Le "qui paie ?", en général, c’est politiquement compliqué
Le gouverneur de la Banque Nationale n’épingle donc pas tant l’objectif, que le manque d’incitant clair pour y parvenir : "Tant qu’on n’a pas une assurance sur le prix du CO2, sur une taxe ou sur les réglementations, on n’aura pas une vraie solution aux problèmes de la transition. Or, il n’y a aujourd’hui pas de consensus sur une taxe sur le CO2. Et là où les discussions vont être difficiles, c’est sur le "qui paie ?". Et le "qui paie ?", en général, est politiquement compliqué".
Isoler les logements belges ? 200 milliards
Et le gouverneur de se fendre d’un exemple : l’isolation du parc immobilier belge. "Isoler une maison, c’est une très bonne chose d’un point de vue environnemental, mais ça coûte cher. Pour isoler tous les logements belges en label " A " d’ici à 2050 – une très bonne chose – cela va coûter 200 milliards d’euros. La moitié du PIB belge. Cela représente en 40 et 60 mille euros par logement. Il y a bien sûr des gens qui ne peuvent pas se le permettre. Et leur prêter l’argent, même à taux zéro, ce n’est pas une solution, puisqu’ils ne peuvent pas se le permettre".
Incertitude technologique
Sur base des technologies existantes aujourd’hui, arriver à une neutralité carbone en 2050, ce n’est pratiquement pas possible.
Étrangement, la question du financement de l’objectif "zéro émission" n’inquiète pas la BNB. "On met beaucoup l’accent sur le financement en arguant qu’il faut trouver plus de 200 milliards par an. Mais en réalité, les gens veulent déjà investir dans du vert. Et la demande pour des produits financiers durables surpasse aujourd’hui largement l’offre pour ces types de produits. Et les banques cherchent des investissements verts". Par contre, "Aujourd’hui, sur base des technologies existantes, arriver à une neutralité carbone en 2050, ce n’est pratiquement pas possible. Donc, nous dépendons d’innovations qui vont devoir voir le jour dans les trente années qui viennent. A quel rythme, à quel coût ? Nous n’en savons rien, et ça crée de l’incertitude".
Le coût des renouvelables a – fortement – baissé
La ou l’institution monétaire se veut plus optimiste, c’est concernant les coûts de production des énergies renouvelables. Des coûts qui ont chuté ces dernières années, en particulier pour l’éolien et le solaire, "dans des proportions impressionnantes. Le solaire, c’est 20 fois moins qu’il y a 20 ans. Si on continue comme ça, on va avoir une énergie verte, abondante et bon marché. Et ça, c’est une très bonne base pour construire une économie décarbonée".