Ce qui m'intéresse surtout aujourd'hui, c'est le fait de travailler avec une technique très accessible et de voir jusqu'où je peux aller avec celle-ci.
Est-ce la même chose avec les morceaux que vous composez vous-mêmes ? Sont-ils le résultat d'un travail complexe tout en paraissant au final très simple à la première écoute ? Est-il nécessaire qu'ils recouvrent les deux facettes pour que leur réalisation vous semble intéressante ?
La musique de "Gladiator" est la musique de film qui a été créée de la façon la plus indisciplinée et la plus folle du monde. Il y a 19 thèmes ! Alors qu'il ne devrait y en avoir que trois... Mais j'étais comme un enfant qui se trouve dans un magasin de jouets. Je m'amusais tellement ! C'est un travail extrêmement complexe, même s'il peut paraître très simple au final. Mais ce qui m'intéresse surtout aujourd'hui, c'est le fait de travailler avec une technique très accessible et de voir jusqu'où je peux aller avec celle-ci.
Comme avec le thème du Joker ?
Oui, c'est cela. Tout y est réduit à l'essentiel. Car pour moi, le Joker est le seul qui dise toujours la vérité dans ce film. C'est le personnage le plus courageux, ce qui est une chose que je ne devrais pas dire évidemment. Mais j'aime cette idée selon laquelle tout est réduit à une note épurée. Habituellement, si vous êtes quelqu'un de normal, vous faites pas mal de bruit ! Je voulais que la musique soit vraiment discrète, et à la fois envoûtante et troublante.
Et plus effrayante aussi. Votre approche de la musique n’est pas seulement influencée par le classique. La toute première fois que je vous ai vu, me semble-t-il, - et je ne savais même pas que c'était vous – c'était dans une vidéo des Buggles : "Video Killed the Radio Star", quel chef-d’œuvre !
Oh vous savez, déjà à cette époque, on ne voulait pas vraiment faire de la musique, on voulait réaliser un film ! Et tout le monde nous disait qu'on était fous ! C'était deux ans avant que MTV ne soit lancé. Mais nous ne savions pas cela ! Nous pressentions simplement qu'il y allait avoir un changement global dans le domaine de la musique et de la façon dont nous allions en faire. Il existe une expression fameuse en allemand " das Auge hört mit " ce qui signifie en français " L’œil écoute aussi ". On écoute également avec les yeux, la musique n'est pas seulement l'oreille, car les yeux doivent aussi être flattés ! Vous savez, la technique d'enregistrement sonore a été inventée il doit y avoir quoi...150 ans ? Et tout à coup, on a fait la différence entre la personne que l'on voyait et le son que l'on entendait. Et je l'ai d'ailleurs assez mal vécu. Je me souviens en effet, quand j'étais encore enfant, ma mère m’a emmené voir Alfred Brendel jouer du piano. Je me rappelle de cette dernière note rendue par cette touche sur laquelle son doigt ne cessait plus de frapper, pour ensuite se retirer et laisser place au silence. Ma mère m'a plus tard apporté l'enregistrement du concert. La dernière note que l'on entendait alors faisait juste " ding ". Mais l'interprétation faisait tout, elle était vraiment le cœur du concert. C’est là qu'est née mon envie de créer des musiques pour films. Parce que cette simple note me donnait l'impression qu'il manquait la totalité de l'interprétation, qui impliquait les yeux, les oreilles... et tant d'autres choses ! Vous savez, les gens n'ont pas arrêté de dire à propos du film " Inception " qu'il était question de rêves partagés. Peut-être était-ce le cas – peut-être pas. Mais il est quelque chose d'essentiel : l'impression qu'un film vous laissera sera différente selon que vous l'aurez regardé dans une salle de cinéma, entouré d'autres personnes, ou que vous l'aurez regardé chez vous, seul derrière votre ordinateur. J'ai toujours aimé l'idée que nous pouvions, dans le domaine de la musique, du cinéma ou dans toute autre forme d'arts, nous concentrer sur nos émotions. Ou même dans le football lorsque vous vous trouvez dans un stade pour assister à un match ! La façon dont l'humanité ne fait plus qu'un pendant quelques instants pour ensuite reprendre le cours de sa vie à nouveau.
Cela signifie que pour qu'une partition de votre cru soit bonne, celle-ci doit pouvoir toucher beaucoup de gens ? Ou alors elle vous plaît énormément et vous vous dites "Ok, j'adore, c'est dans la boîte ! Et tant pis si ça ne plaît pas" ?
Le succès ne m'importe vraiment pas. Je pense qu'il y a tellement de morceaux de musique... Je pense aussi que certains d'entre eux sont vraiment privés. Il y a un avantage à les garder secrets pour soi, ne pas les divulguer c'est parfois mieux. Vous savez, tout le monde a un morceau de musique qui lui est vraiment cher.