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L’émission « les 109 » : « innovante » ou trop « superficielle » ?

L'émission « les 109 »: innovante ou trop superficielle?

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Par Aline Wavreille

C’était mardi dernier, le 30 avril. A moins d’un mois des élections, la Une proposait une nouvelle émission : « les 109 » ou les « Sangs neufs ». Vous aurez compris le jeu de mots, puisque l’émission voulait mettre au centre du débat les jeunes et leurs préoccupations.

Voici donc le décor : un mur de 109 jeunes, de 18 à 30 ans, partage le plateau avec 6 personnalités politiques issues de 6 grands partis francophones. Les jeunes leur posent des questions très concrètes sur leur programme. Il y a par exemple Sara, 24 ans, étudiante en commerce extérieur, qui demandera à la candidate de DéFI ce que son parti compte faire pour améliorer la situation des jeunes travailleurs qui se retrouvent avec des petits contrats successifs. Ou encore Kévin qui interpelle le cdH sur les voitures de société : à supprimer ou pas ? Lors de l’émission, on a aussi parlé du climat et des centrales nucléaires, de pouvoir d’achat, du refinancement de la justice ou encore d’immigration.

Si vous voulez jeter un œil, c’est par ici. Dans cet extrait, on y parle mobilité douce :

Les 109: réponse DéFi mobilité douce

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Après les réponses des candidats politiques, les jeunes dans le public devaient dire si oui ou non, ils étaient convaincus. Les résultats s’affichaient dans la foulée. Ceux et celles qui regardaient l’émission à la maison pouvaient aussi participer grâce à une application (qui a eu quelques soucis lors de la soirée).

Une émission politique avec les codes du jeu télévisé

C’était donc une émission politique, présentée par Sacha Daout avec Ophélie Fontana et Marc Sirlereau, deux autres journalistes de la rédaction. Mais une émission sous forme de jeu télévisé, avec ses codes : un gros dé qui sert de micro, pour que les jeunes puissent poser leurs questions. Des thèmes-mystères. Des politiques qui buzzent pour répondre. Une réponse chronométrée. Sacha Daout en animateur-journaliste. Un classement à la fin. Les concepteurs du jeu se sont inspirés d’un jeu diffusé en ce moment sur la BBC : « All Together Now », mais dans celui-ci, ce sont des chanteurs qui dansent face à un mur de 100 personnes.


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L'émission « les 109 » a repris les codes du jeu télévisé avec par exemple un dé pour micro
L'émission « les 109 » a repris les codes du jeu télévisé avec par exemple un dé pour micro © Tous droits réservés

Des retours qui font le grand écart

Alors, les téléspectateurs ont-ils été convaincus ?

En ce qui concerne l’audience, les chiffres sont plutôt bons, même s’il n’y avait pas « d’objectifs » en tant que tels : « L’idée, c’était vraiment de tenter une expérience, de bousculer les codes », explique Sacha Daout. Mardi 30 avril était une veille de férié et la concurrence était rude avec du football au programme : Tottenham et Ajax s’affrontaient en demi-finale de la Champion’s League. Les 109 ont été regardés par près de 210.000 téléspectateurs. L’émission arrive numéro 3 sur une dizaine de programmes destinés aux Belges francophones.

Voilà pour les chiffres.

Qu’en est-il de la perception du fond et de la forme ? Les commentaires reçus à la médiation ou sur les réseaux sociaux allaient dans les deux sens. Ils faisaient même le grand écart.

D’un côté, des messages très positifs soulignaient l’audace de la RTBF de se renouveler et de proposer autre chose : « C’était dynamique, intéressant », notamment d’entendre des jeunes aussi investis.

L'émission « les 109 »: innovante ou trop superficielle?
L'émission « les 109 »: innovante ou trop superficielle?

De l’autre, l’émission est jugée trop « superficielle », elle n’était pas assez nuancée selon des internautes. Les formats des réponses étaient trop courts. Une dizaine de jeunes, une partie déçue du public fait aussi circuler une carte blanche dans laquelle elle reproche à l’émission son côté « spectacle » : « Enfermer les jeunes dans un carcan et disposer les choses de manière à provoquer du clash, c’est privilégier l’audimat à l’éducation et c’est se priver des plus beaux atouts de la jeunesse : sa spontanéité et sa capacité à s’approprier les enjeux de notre temps », écrit-elle. […]

Ces jeunes en question proposent des pistes : « moins de sujets, une programmation dépourvue d’a priori… Faute de quoi le format continuera à ressembler à une émission pour jeunes faites par des cinquantenaires ».

Tenter de rassembler les générations

Alors, pour quelles raisons la RTBF a-t-elle voulu miser sur ce format ? L’impulsion est partie de la Une qui s’adresse à un public très large, de 7 à 77 ans : « On voulait une approche avec des codes un peu différents, un ton plus léger autour de la thématique des élections et avoir cet aspect intergénérationnel », explique Eric Gilson, éditeur de contenus à la RTBF. « On voulait susciter des échanges d’idées entre parents et enfants. [… ] On a voulu faire le pari que la politique pouvait rassembler. Et il fallait trouver quelque chose pour que le grand public accroche au débat ».

La confrontation directe n’est jamais évidente pour un politique

Toucher un autre public. Celui qui n’est pas intéressé par ce qui est proposé par ailleurs, les débats de l’émission « A votre avis », le débat politique traditionnel entre présidents de partis, les duels, les jeudis en prime ou encore le test électoral. Celui qui se perd dans les débats techniques ou dans les échanges musclés.

C’est en cela que les concepteurs de l’émission ont voulu bousculer les hommes et femmes politiques. Marc Sirlereau, journaliste politique à la RTBF, observe : « C’était difficile pour les politiques parce qu’avec les journalistes, ils peuvent sans doute anticiper les questions. Ils savent qu’elles vont coller à l’actualité. Avec les jeunes et leurs préoccupations, ce n’était pas forcément le cas. La confrontation directe n’est jamais évidente pour une femme ou un homme politique. Ils se retrouvent face à des cas concrets et ils se disent ; Ouïlle ouïlle avec quoi je vais leur répondre ».

Sacha Daout, présentateur des "109" et d'"A votre avis"
Sacha Daout, présentateur des "109" et d'"A votre avis" © Tous droits réservés

C’est d’ailleurs la même logique que l’on retrouve dans les Matins citoyens sur la Première.

« Les politiques ont eu du mal à entrer dans le jeu », analyse Sacha Daout qui présentait l’émission. « Les premiers se sont un peu enfermés dans leurs discours traditionnels. Plutôt que de répondre directement à une interpellation directe et concrète, ils sont revenus par exemple sur le bilan de leur parti en la matière et les votes des Sangs neufs étaient plutôt négatifs ».

On demandait aux candidats de répondre avec leurs tripes

Mais ils n’en avaient pas le temps. Ce temps court était une manière de fissurer la communication politique bien huilée, pour éviter les discours pompeux, sinueux : « Au moment où le fossé entre citoyens et politique n’a jamais été aussi profond », dit Sacha Daout, « on leur demande de changer de discours, de changer de comportement. De ne pas répondre par un discours convenu, en rappelant le bilan etc. Dans l’émission, on demandait aux candidats de répondre avec leurs tripes ».

Aux critiques reçues, Sacha Daout répond qu’une partie du public n’a peut-être pas compris : « Une partie disait par exemple que c’était scandaleux de résumer tout le débat de la mobilité en une minute. Mais on n’a pas prétendu que l’on allait résoudre le problème de la mobilité en une minute ! On a proposé au monde politique d’être convaincant sur un point concret ».

C’était une première, un test. Un premier numéro à débriefer. Et peut-être à renouveler ?


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