L'avocat de Fayçal Cheffou: "Il a donné un alibi de téléphonie, il était chez lui"

L'avocat Olivier Martins photographié le 14 janvier 2016 à Bruxelles.

© BRUNO FAHY - BELGA

Par T.M. avec S.G.

L'avocat Olivier Martins s'exprime ce mardi après la libération la veille de son client, Fayçal Cheffou, suspect interpellé jeudi dernier, puis inculpé dans le cadre de l'enquête sur les attentats, avant d'être relâché.

Faycal Cheffou n’est pas l'homme au chapeau comme plusieurs médias l'affirmaient. Il n’est pas ce suspect qui a quitté l’aéroport avant les attentats en laissant derrière lui une valise chargée d’explosifs.

Son inculpation reposait essentiellement sur le témoignage visuel d’un chauffeur de taxi qui pensait l’avoir transporté avec les deux kamikazes de l’aéroport, formellement identifiés eux, Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui.

Mais les vérifications n’ont rien donné. Les enquêteurs n’ont pas retrouvé de correspondances ADN. Et, qui plus est, Fayçal Cheffou a présenté un alibi.

"Il a donné un alibi au niveau de la téléphonie, disant qu'il était chez lui au moment des attentats, précise Olivier Martins. Il a aussi reçu des appels. Et, là aussi, j'ai demandé au juge d'instruction que l'on fasse immédiatement une (analyse de la) téléphonie précise et que l'on borne son téléphone pour savoir si cela confirmait son alibi. Le juge d'instruction a fait exécuter immédiatement ces devoirs et, apparemment, ces devoirs se sont révélés être à décharge."

Je ne peux rien reprocher au juge d'instruction

L'avocat de Fayçal Cheffou estime toutefois que, "compte tenu du contexte dans ce dossier, on peut se dire qu'on a préféré le garder, l'avoir sous la main". Mais, ajoute-t-il, "si cela avait duré trois ou quatre mois, j'aurais trouvé cela tout à fait scandaleux".

"Ici, je ne peux rien reprocher au juge d'instruction, puisqu'il a travaillé ce week-end justement sur le dossier, à charge et à décharge, et les éléments qu'il a recueillis se sont avérés complètement à décharge."

"Il me criait son innocence"

Outre cet important facteur ayant mené à la libération de son client, le pénaliste Olivier Martins a accepté de retracer pour nous les événements depuis l'arrestation jeudi dernier de Fayçal Cheffou.

"Jeudi soir, on ne lui avait pas indiqué dans quel type de dossier il allait être entendu. Je l'ai rencontré vendredi lorsqu'il a comparu devant le juge d'instruction, commence à raconter l'avocat. J'ai directement senti chez ce monsieur, à travers ses explications, qu'il était très convaincant. Et il me criait son innocence, ce qui est toujours très perturbant pour un avocat."

"Le seul élément sérieux qu'il y avait à sa charge était une reconnaissance, par le chauffeur de taxi qui avait transporté les trois kamikazes, sur une photographie qui lui avait été produite. À cela, j'ai rétorqué que le chauffeur de taxi ne reconnaissait qu'une personne, qui, d'abord, portait un chapeau et des lunettes, et qui était peut-être dissimulé. Il était donc difficile de dire qu'il pouvait reconnaître formellement M. Cheffou."

"Le juge d'instruction, sur cette base-là, a estimé qu'il devait procéder à une confrontation derrière une vitre sans tain, à laquelle j'ai participé. Le chauffeur de taxi a reconnu M. Cheffou. Mais, en réalité, il reconnaissait M. Cheffou, parce qu'il l'avait déjà reconnu sur une photographie qui correspondait à des traits de la personne qu'il avait transportée. Ce qui était toujours très faible, je dirais, en termes d'indices de culpabilité."

"Et, lorsque j'ai demandé au juge d'instruction si on avait pris des empreintes sur le charriot – puisqu'un des auteurs, qui n'avait pas de gant et avait donc des mains tout à fait nues, avait poussé le charriot qui a servi à transporter des explosifs –, le juge d'instruction m'a dit : 'On a retrouvé le charriot', mais il fallait immédiatement comparer les empreintes et l'ADN. Car s'il y a ses empreintes, cela voudra dire quelque chose. Et s'il n'y a pas son ADN, ce sera complètement à décharge."

Cheffou, trop petit pour être "l'homme au chapeau"

"De la même manière, j'ai demandé au juge d'instruction à ce que l'on compare les tailles. Puisque je savais que M. El Bakraoui, au milieu des trois, était quelqu'un de grande taille. Alors que l'homme au chapeau était à peu près de la même taille que M. El Bakraoui. Or, M. Cheffou mesure 1m66. Il est donc de petite taille, il est plutôt chétif. Le gabarit ne correspondait donc pas à M. Cheffou."

"J'ai dès lors dit au juge d'instruction qu'il y avait pour moi un risque d'erreur monumental, puisque son dossier ne reposait effectivement que sur cette reconnaissance du chauffeur de taxi. Et je passe sur la personnalité quelque peu particulière (de Fayçal Cheffou, ndlr), car cela, ça n'a rien à voir avec les indices de culpabilité. Le juge d'instruction l'a certes placé sous mandat d'arrêt, mais j'ai vraiment insisté vendredi pour qu'il fasse tous les devoirs qui étaient demandés. Et, volontairement, je n'ai pas communiqué médiatiquement, car je voulais que les choses se fassent dans la sérénité. Le juge d'instruction m'a dit qu'il allait faire les choses immédiatement, y compris en travaillant ce week-end, pour confirmer ou infirmer les indices qu'il avait considérés comme sérieux – et de ce côté-là, je le salue."

La reconnaissance par le chauffeur de taxi n'était plus sérieuse

"Hier (lundi, ndlr), le magistrat instructeur m'a contacté pour m'indiquer que les devoirs qu'il avait exécutés se révélaient être à décharge et qu'il considérait que la reconnaissance par le chauffeur de taxi n'était plus sérieuse en soi. Il estimait donc devoir le libérer."

Le témoignage visuel était donc "le seul élément sérieux", ce qui était "perturbant", ajoute Olivier Martins, parce que "le chauffeur de taxi ne l'a pas reconnu tout de suite, mais il l'a reconnu à un moment donné". Qui plus est, "lorsque l'on présente des photos, on présente des photos de possibles suspects. Donc, à partir du moment où il croit le reconnaître sur photo, lorsqu'il fait la confrontation derrière la vitre sans tain, il reconnaît en fait à nouveau une personne, mais pas celle qu'il a vu en soi" au moment de transporter les kamikazes de Zaventem.

"Je pense pouvoir dire que M. Cheffou sera complètement écarté de ce dossier"

Outre cette question d'identification visuelle, il y avait aussi manifestement des contacts jugés douteux et ses activités au parc Maximilien jugées radicales. Mais ils n'ont pas été pris en compte, assure l'avocat. "Ce que je connais de ces éléments, c'est qu'il avait une association où il aidait des réfugiés syriens, répond Olivier Martins. Après, était-ce en lien avec d'autres activités ? Je n'en sais rien. Mais, de toute façon, en soi, ce n'est pas un indice de culpabilité en soi. La personnalité d'une personne, qu'elle soit originale, ou contraire à ce que des personnes puissent penser, ce n'est heureusement pas un indice de culpabilité. Ça, le juge d'instruction ne l'a d'ailleurs même pas retenu en soi."

Malgré sa libération, Fayçal Cheffou reste inculpé d'assassinats terroristes, car "c'est la procédure qui le veut à ce stade-ci", précise son avocat. "Maintenant, je saisirai ultérieurement la chambre des mises en accusation à ce sujet. Il y aura un règlement de la procédure qui aura lieu, et je pense pouvoir dire que M. Cheffou sera complètement écarté de ce dossier. Vous pensez bien que, si le juge d'instruction, dans un dossier pareil, a pris la peine de le remettre en liberté le lundi de Pâques, c'est que, vraiment, il a eu le sentiment, sur base d'éléments précis et concrets, qu'on avait complètement fait fausse route."

Celui qui est toujours considéré comme suspect aujourd'hui n'a pas non plus pu donner de pistes aux enquêteurs, "parce qu'il ne connaît pas les personnes qui ont participé à ces attentats, il ne les fréquentait pas, donc il n'a pas d'informations à communiquer".

Olivier Martins n'a pas revu son client depuis sa libération. Mais, l'important, dit-il, c'est qu'il "criait son innocence, et qu'en même temps il était très sûr de lui. Il disait : 'Maître, vous allez voir, qu'ils fassent les empreintes, on ne va pas retrouver d'empreintes, parce que je n'étais pas à l'aéroport. Qu'on fasse la comparaison des images de manière précise par rapport à mes traits caractéristiques, il n'y aura rien qui correspondra'."

L'avocat se disait dès lors "très serein", mais aussi "très perturbé qu'on dise qu'une reconnaissance en soi est suffisante pour l'envoyer derrière les barreaux".

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