Belgique

L'amiante aura-t-il la peau d'une partie de l'Institut des sciences naturelles à Bruxelles ?

L'une des salles de l'Institut des sciences naturelles à Bruxelles.

© Tous droits réservés

Par Lucie Dendooven avec Maurizio Sadutto via

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe parmi le personnel de l’Institut des sciences naturelles. Il y a un mois environ, la direction annonçait, lors d’une assemblée vidéo du personnel, que les bâtiments abritant les bureaux, les laboratoires et les conservatoires de l’Institut présentaient un problème d’amiante dans leurs conduites d’aération. Et la direction d’enchaîner qu’il est question d’abattre entièrement les bâtiments concernés et de les reconstruire. Le calcul, selon elle, serait vite fait : le coût de l'abattage et de la reconstruction serait moindre que sa rénovation.

De l'amiante, mais pas dans les espaces publics

Précision importante : tout ce qui est espace public, n’est absolument pas concerné par cette problématique d’amiante. L’Institut des sciences naturelles a, d’ailleurs, publié une mise au point, le 23 mars dernier sur son site:

"Ce problème touche un système de ventilation indépendant des espaces publics du Muséum, dans la partie bureaux, laboratoires et collections de notre Institut. Salles d’exposition et salles d’activités (stages, animations, auditorium, centre de documentation, Dino Café, zone pique-nique) ne sont pas concernées du tout."

"Par ailleurs, depuis 2004 toutes nos salles d’exposition ont été rénovées en conformité avec la législation et aucun matériau pouvant contenir de l’amiante n’a été utilisé. C’est donc en toute sécurité que nous vous accueillons, que vous soyez visiteurs individuels ou scolaires, ou participants à des événements privés dans nos salles."

Aujourd’hui c’est un peu prématuré de parler de rénovation, ou de démolition.

Une clarification nécessaire

Contactée par nos soins, Sarra Blaiech, cheffe de division Bruxelles de la Régie des Bâtiments, propriétaire des lieux, nuance la situation : "Nous avons mis en place un groupe de travail qui prépare une étude de faisabilité. C’est le résultat de cette étude de faisabilité qui va clarifier si c’est une rénovation ou une autre approche que nous aurons. Aujourd’hui, c’est un peu prématuré de parler de rénovation, ou de démolition ou je ne sais-quoi... Aujourd’hui, je ne saurais pas vous le dire. C’est avec les scénarios du bureau d’étude que nous pourrons voir plus clairement quel sera le sort dévolu au bâtiment."

En attendant, la Régie des bâtiments a pris des mesures conservatoires pour que les employés de l’IRSN, l’Institut royal des sciences naturelles, continuent à travailler en toute sécurité dans les bâtiments. Elle a, notamment, fait obturer les bouches d’aération et procède à des contrôles de l’air ambiant des locaux concernés. Par ailleurs, elle compte effectuer un contrôle visuel de toutes les gaines d’aération des deux bâtiments concernés : le conservatoire et le bâtiment scientifique.

38 millions de spécimens à déménager, un défi difficile à relever

Pour Patrick Semal, directeur du service scientifique de l’Institut et porte-parole du service sécurité, la situation est stabilisée, pour l’instant, mais elle soulève un autre problème : "Ça résout le problème de l’amiante et ça en crée un autre parce qu’à terme, on ne peut pas vivre avec des conservatoires qui ne sont jamais ventilés. Ça concerne les collections d’entomologie, de vertébrés et d’invertébrés."

Il est cependant bien conscient qu’un déménagement de toutes les collections de l’Institut constitue un véritable défi : "L’Institut, c’est 38 millions de spécimens dont une bonne partie sont des spécimens conservés dans l’alcool. Les normes de sécurité par rapport au déménagement d’alcool sont très strictes. On ne peut pas déplacer des grands volumes sur de longues distances. L’idéal pour nous, en tant que conservateurs et gestionnaires de la collection, c’est d’avoir un déménagement le plus court possible et de préférence dans les mêmes bâtiments."

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Ce directeur caresse le rêve de construction d’un nouveau bâtiment sur leur site avec 0% d’émission de CO2. En attendant, les collections resteraient… à leur place.

Cédric d’Udekem d’Acoz est biologiste, spécialiste des invertébrés à l’IRSN. Selon lui, un déménagement est inimaginable : "Il y a une partie de la collection qui n’a pas pu encore être inventoriée et qui comporte des trésors. J’ai trouvé là-dedans six ou huit espèces de crabes du Congo non décrites. On avait inscrit sur les bocaux juste un numéro de station. Lorsqu’on déménage autant de matériel, on risque de perdre un pourcentage significatif des collections."

Une collection que le monde entier nous envie

Olivier Pauwels, taxonomiste et responsable des collections de vertébrés de l’Institut abonde dans son sens et va plus loin encore : "Ces collections ne sont pas faites pour attendre dans des caisses pendant un temps indéterminé. Ce sont des collections vivantes. Il faut les entretenir. Les bocaux d’alcool ne sont pas entièrement hermétiques et s’évaporent. Si on les laisse s’évaporer, les spécimens ne seront plus récupérables. Nous avons plusieurs centaines de milliers de bocaux."

Le taxonomiste poursuit : "Chaque année, nous avons des animaux naturalisés qui font l’objet d’un examen récurrent minutieux afin de vérifier qu’il n’y a pas d’infestation de mites. Nous avons des pièges placés dans les laboratoires pour vérifier qu’il n’y a pas de mites. Derrière chacun des spécimens, il y a bcp de sueur et de patience. Chaque spécimen a son histoire. Des gens viennent de tous les continents du monde pour les observer et les étudier."

Des bâtiments Art déco modernistes, pendant du Berlaymont

Mais, selon lui, l’enjeu n’est pas seulement scientifique, il est aussi patrimonial. Les deux bâtiments visés datent de 1936. Leur architecte, le belge Lucien de Vestel, les a construits dans le style Art déco moderniste. Ils sont le pendant d’un autre bâtiment beaucoup plus connu du grand public : le Berlaymont, au cœur du quartier européen. Ils se ressemblent et sont l'un et l'autre de très grands symboles de l’architecture belge. 

Olivier Pauwels est intarissable sur l’ouvrage de Vestel : "Tous les éléments de ces bâtiments sont soignés dans le moindre détail. Vous trouvez des porte-manteaux pliables sur les murs, des armoires encastrées dans des espaces qui, autrement, n’auraient pas été valorisés. Des armoires sur mesure construites dans des bois nobles avec des poignées et des décorations typiquement art déco moderniste. Nous parlons donc d’un ouvrage complet et unique au monde conçu par un architecte qui avait une vision de l’architecture comme un art total. Il s’agit d’une vitrine du savoir-faire architectural belge."

Des cages d'escalier monumentales.
Un style Art déco moderniste.

Des bâtiments conçus comme un art total

42.000 tiroirs en bois précieux.
42.000 tiroirs en bois précieux. © Tous droits réservés

Lucien De Vestel avait conçu deux parties dans les bâtiments scientifiques de l’Institut : une tour dédiée à la recherche et aux laboratoires, l’autre à l’entrepôt des collections de référence scientifique. Les pièces de la première tour ont des plafonds hauts et des fenêtres hautes pour accueillir le plus de lumière possible.

Si les bureaux sont très lumineux et agréables à vivre, la tour du conservatoire, elle, est constituée d’étages plus bas de plafond. Peu de lumière y pénètre car la lumière abîme les collections et la chaleur aussi. Il y fait frais et sombre, en permanence. 42.000 tiroirs en bois précieux contiennent l’entièreté des collections du conservatoire.

Chacun d’entre eux sont recouverts d’un couvercle en verre dans un cadre en bois, à double rainure pour empêcher les insectes ravageurs de pénétrer dans ces tiroirs. Chacun de ces tiroirs sont faits main. Ils sont irremplaçables et extrêmement fonctionnels selon ce conservateur. Tous les commutateurs sont à l’entrée des conservatoires pour éliminer les risques d’incendie.

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À l’intérieur des conservatoires, contenant les bocaux en alcool, tout est une succession de portes métalliques qui ne peuvent pas s’enflammer. Elles s’ouvrent de manière mécanique avec un crochet qui les retient ouvertes. Les pièces ont été conçues pour qu’un incendie ne se propage pas à la pièce suivante.

Et Olivier Pauwels de conclure : "Ce bâtiment, j’y travaille autant en tant que taxonomiste qu’en tant qu’amoureux de son architecture. Il a vraiment quelque chose d’unique et d’attachant. Je crains que tous ces détails architecturaux ne disparaissent comme l’escalier en marbre rouge de Philippeville identique à celui utilisé dans le Palais de Versailles."

Ce conservateur est bien conscient qu’une rénovation de l'édifice s’impose. Après autant d’années, les châssis doivent être remplacés, les conduites d’eau et les toilettes aussi, sans compter le problème d’amiante. Mais il s’interroge : faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?

La décision est entre les mains du groupe de travail chargé de remettre l’étude de faisabilité. 

Séquence JT du 12/05/2022

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