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L'affaire Sixte en 1917 : la proposition de paix de l'Autriche-Hongrie, rejetée par les Alliés et les Allemands

L'oeil dans le rétro

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Quand et comment pourrait s’arrêter la guerre en Ukraine ? Se plonger dans le passé pour enrichir le présent peut éventuellement rappeler aux dirigeants la dangerosité de prolonger un conflit. En ce jour de l'Armistice, un éclairage sur la fin de la guerre 14-18 semble nécessaire. D'autant plus qu'elle aurait peut-être pu se terminer en grande partie en 1917, si la Triple-Entente avait donné suite à la proposition de paix séparée de l'Autriche-Hongrie.

La Première Guerre mondiale, à ce point meurtrière qu'elle a poussé chaque ville ou village à se doter d'un monument aux morts pour inscrire le nom de ceux qui sont morts au combat, aurait peut-être pu s'achever un an plus tôt.

Si cela ne s’est pas concrétisé, c'est parce que chez les différents belligérants on a préféré écouter les va-t'en guerre, les jusqu'au boutistes, les défenseurs, vu les sacrifices déjà consentis, de la victoire totale plutôt que d’écouter ceux qui évoquaient l'idée d'une paix de compromis pour mettre fin à cette effroyable boucherie.

Deux Belges mandatés pour négocier la paix en 1917

En 1917, l'épuisement et le découragement gagnent les tranchées. Aux soldats mobilisés d'août 14, on annonçait une guerre courte, les Français se voyant à Berlin pour la Noël 14, les Allemands s'imaginant à Paris plus vite encore.

Trois ans plus tard, les voilà qui croupissent dans des tranchées, meurent sous les obus ennemis et chaque offensive qu'on leur présente comme définitive échoue lamentablement après de terribles pertes. En 1917, il y a des mutineries au sein de l’armée française, chez l'allié russe c'est carrément la révolution et ça ne va guère mieux dans l’autre camp : à cause du blocus maritime des Anglais, la faim gagne la population allemande et les désertions se multiplient dans l'armée austro-hongroise.

C'est précisément d'Autriche-Hongrie que va venir la volonté d'arrêter la guerre. L'archiduc François-Joseph, celui qui a déclenché la guerre en attaquant la Serbie, décède en 1916. Son successeur Charles Ier sait son pays à bout de souffle. Sans en avertir son allié allemand, l'empereur d’Autriche-Hongrie décide alors de sonder les Alliés pour envisager la paix. Et pour se faire, il va passer par deux sous-officiers de l'armée belge. En l'occurrence ses beaux-frères : Sixte et François-Xavier de Bourbon-Parme, qui sont aussi les cousins d'Elisabeth reine des Belges, et qui ont choisi de s'engager dans l'armée belge. Ils reçoivent une lettre de leur mère leur demandant de se rendre en Suisse.

Début 1917, la paix est envisagée mais...

Les princes de Bourbon-Parme deviennent donc messagers des pourparlers de paix. Fin mars 1917, les choses paraissent bien engagées. L'empereur reçoit en personne à Vienne les princes munis des conditions préalables émises par la France : restitution de l'Alsace-Lorraine, restauration de l'indépendance de la Belgique et de la Serbie. C'est 'oui', répond l’empereur, qui veut la paix à tout prix. À Paris, le président Raymond Poincaré et le Premier ministre sont impressionnés. Il y a une chance à saisir. Mais cet enthousiasme sera de courte durée…

Parce que des deux côtés il faut mettre au courant ses alliés : l'Angleterre et l'Italie pour la France et l'Allemagne pour l'Autriche.

Pas de souci pour les Britanniques, entièrement d’accord pour faire la paix dès lors que l'Allemagne évacuerait la Belgique. Mais pour l'Italie, c'est une autre affaire. Elle est entrée en guerre en mai 1915 pour gagner des territoires autrichiens : ceux de Trentin, Trieste, la côte adriatique. Les dirigeants italiens vont donc faire entendre une petite musique : 'attention, cette proposition autrichienne est un piège pour diviser les Alliés'. 

Côté allemand, c'est la même chanson, d'autant qu'on n'est pas prêt à céder l'Alsace-Lorraine, ni toute la Belgique. On veut au minimum garder Liège

Mais l'empereur d'Autriche s’acharne. Il est prêt à faire la paix seul et à lâcher son allié allemand. Le 9 mai 1917, il remet donc aux princes de Bourbon-Parme une dernière proposition : pour satisfaire l'Italie, il évacuera les territoires italianophones, c'est-à-dire la région du Trentin. Et si on lui garantit ses nouvelles frontières, il signera la paix séparée. Autrement dit l'Allemagne perdrait son principal allié… Ce n’est pas rien !

Charles Ier d'Autriche-Hongrie (1887-1922) empereur d'Autriche, roi de Hongrie et roi de Bohême de 1916 à 1918 inspecte ses troupes à Fleimstal (aujourd'hui Val di Fiemme, en Italie, dans la région de Trentin)
Charles Ier d'Autriche-Hongrie (1887-1922) empereur d'Autriche, roi de Hongrie et roi de Bohême de 1916 à 1918 inspecte ses troupes à Fleimstal (aujourd'hui Val di Fiemme, en Italie, dans la région de Trentin) © Tous droits réservés

Une paix séparée qui ne s'est pas concrétisée : les enseignements pour la guerre en Ukraine

Mais on le sait, la guerre a continué jusqu'en novembre 1918 avec l’Autriche aux côtés de l'Allemagne. Pourquoi cette paix séparée ne s'est pas réalisée ?

Il n'y aura jamais de réponse à l'offre de celui qui, il ne le sait pas encore, sera le dernier empereur des Habsbourg de Vienne. Pas de réponse, pourquoi ? Parce qu’à Londres et surtout à Paris, on est en train de perdre l'allié russe, en pleine révolution, et on a trop peur de perdre l'allié italien si on négociait la paix avec Vienne. Autrement dit, en 1917, continuer la guerre paraîtra moins risqué que de négocier la paix. Résultat : des centaines de milliers de jeunes soldats des deux camps continueront de mourir pour nourrir des orgueils nationaux.

Cent ans plus tard, ce rappel sonne comme un avertissement avec cette guerre entre Russie et Ukraine. Là aussi il faudra bien, un jour, parvenir à négocier pour y mettre fin. L'occasion manquée de 1917 rappelle que pour faire la paix, il y a besoin de deux choses : il faut être deux à le vouloir et il faut aussi un minimum de confiance… C’est tout sauf simple.

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