L’accès au logement est un droit fondamental. Il peut néanmoins amener certains ménages à des situations financières difficiles, voire au surendettement. Dans quelle mesure le logement et ses charges grèvent-ils le budget des ménages ? Ce poids sera-t-il encore supportable dans le futur ? Quel avenir pour les ménages à risque ?
Autant de questions abordées dans Tendances Première, au travers de thématiques telles que le coût du logement sur le marché locatif, les caractéristiques de la dette hypothécaire des ménages en Belgique, les dispositifs d’accès au logement.
Les crédits hypothécaires de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds
Pour certains, tant l’accès à la propriété que l’accès à la location sont difficiles, constate Catherine Jeanmart, directrice de l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement.
70% des ménages belges sont propriétaires de leur habitation, mais les crédits hypothécaires grèvent de plus en plus leur budget. En 2019, on a observé une augmentation de 30% des nouveaux crédits hypothécaires, par rapport à 2018.
"On observe par contre que le taux de défaillance diminue, à moins de 1%, soit parce qu’on octroie mieux le crédit, soit parce que les personnes en difficulté ne se tournent pas vers le crédit."
Depuis le 1er janvier 2020, la Banque nationale belge a demandé aux banques d’être particulièrement attentives à la part que le crédit hypothécaire pourrait occuper dans les revenus du ménage. Elle établit des seuils par rapport aux crédits hypothécaires à risque. Elle leur recommande d’augmenter leurs fonds propres, pour éviter que tout le système bascule en cas de choc financier.
Un droit fondamental confronté à la discrimination
L’accès au logement est un droit fondamental, reconnu par l’article 23 de la Constitution, confirme Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université de Saint-Louis.
"Il n’est toutefois pas applicable partout de la même manière, avec la même intensité. Il faut le concrétiser au quotidien avec des actions législatives, non seulement pécuniaires pour diminuer le seuil d’accès financier au logement, mais aussi non-pécuniaires, par exemple dans le domaine de la discrimination."
Jusqu’ici, ces discriminations existent toujours mais on va dans la bonne direction, entre autres parce que les Régions ont repris du Fédéral leurs compétences du bail, permettant de discerner plus facilement les comportements discriminatoires.
Les discriminations peuvent concerner l’état de fortune, la santé, le sexe, l’orientation sexuelle… On peut aussi pointer différents types de comportement discriminatoire :
- la discrimination directe, comme avec les affiches 'Pas d’étrangers' ou 'CPAS s’abstenir'. Elle est devenue marginale.
- la discrimination indirecte, plus insidieuse, comme le fait d’exiger un contrat de travail à durée indéterminée. Il existe une jurisprudence qui la prohibe.
La discrimination existe à tous les stades du processus de sélection, déjà lors du rdv téléphonique ou lors de la visite, mais toute la difficulté consiste à la prouver.
D’où l’intérêt de l’ordonnance du 21 décembre 2018 à Bruxelles, qui promeut le test de situation : la personne recalée, à cause de son accent par exemple, peut faire appel à l’Administration bruxelloise, qui va téléphoner au propriétaire à son tour. Si le bien redevient subitement libre, cela veut dire qu’on est en présence d’un comportement discriminatoire.
Les locataires généralement plus pauvres que les propriétaires
François Ghesquière, chargé de recherche à l’Institut wallon de l’Evolution de la Prospective et de la Statistique, note que le taux de pauvreté varie très fort entre propriétaires et locataires, ces derniers étant beaucoup plus pauvres. Cette différence a tendance à augmenter avec le temps. Elle est par ailleurs sous-estimée, car si on déduit les frais de logement, les écarts sont encore plus importants.
Les locataires sont donc majoritairement des gens trop pauvres pour pouvoir accéder à la propriété, ce n’est pas par choix de vie personnel.
La situation est toutefois difficile à mesurer exactement, la moitié des baux n’étant pas enregistrés.
Le prix des logements vendus a beaucoup plus augmenté au cours des années 2000 qu’au cours des années 2010, ce qui explique la relative faible croissance des loyers. Malheureusement, les logements plus petits et moins chers voient le prix de leur loyer augmenter plus vite que les logements plus spacieux et plus chers. Ce qui rend encore la situation plus difficile pour le public précarisé.
Le profil des personnes qui ont un crédit hypothécaire est constitué de personnes de moins de 35 ans, qui ont des revenus plus élevés, un niveau d’instruction plus élevé et souvent aussi du patrimoine, ce qui permet aussi de comprendre cet écart de taux de risque de pauvreté.
Faire participer le privé à l’effort relatif au logement social
En Belgique, il n’y a pas d’obligation transversale de construction de logements sociaux qui pèserait sur les pouvoirs publics, contrairement à la France.
Par contre, on impose à tous ceux qui se lancent dans des projets résidentiels d’envergure, 1000 m² à Bruxelles, de payer une charge d’urbanisme par m² , qu'on peut remplacer par une charge en nature : ils doivent alors construire eux-mêmes 15% de logements sociaux dans leur ensemble édifié, explique Nicolas Bernard, professeur de droit. Les charges d’urbanisme représentent une solution pour le logement social.
Cela permet une intégration au sein du tissu urbain, plutôt qu’une relégation en banlieue. La règle n’est toutefois pas toujours parfaitement appliquée, les communes ne voulant pas indisposer le constructeur…
Le logement social est le seul îlot de loyer régulé. Il est donc capital et il y a une nécessité quasi vitale d’étoffer le parc de logement social qui plafonne à 8% seulement, alors qu’au niveau des revenus, plus de la moitié des Bruxellois sont éligibles au logement social. Ils ne sont pas tous demandeurs, mais il y a plus de 100 000 personnes sur les listes d’attente et certains attendent parfois depuis plus de 10 ans.
L’accès est bouché et cela décourage énormément de ménages qui pourraient avoir accès à ce type de logement et qui doivent trouver d’autres solutions.
Réguler les loyers
Les grosses difficultés que rencontrent les personnes en difficulté financière se trouvent dans les charges de la vie courante. Le loyer, même s’il pèse de plus en plus lourd, est l’un des postes du budget qui sera le plus rapidement honoré, parce qu’on n’a pas envie de perdre son logement.
La Belgique est un pays faiblement régulateur en matière de loyer comme en matière de logement social. Les loyers sont libres, abandonnés aux forces du marché, ce qui peut avoir un impact sur la garantie locative.
Il existe quand même quelques petites mesures pour contenir la liberté contractuelle du bailleur :
- si un locataire s’apprête à prendre un contrat de bail de courte durée, de moins de 3 ans, il a le droit à avoir le même loyer que le locataire précédent, juste indexé. Encore faut-il connaître le loyer précédent ! Et il n’existe pas jusqu’ici de cadastre centralisé des loyers.
- Une grille indicative des loyers existe dans les trois régions du pays, ce qui donne une idée approximative qui peut peser dans la négociation et connaître des applications en justice.