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Kosovo : quinze ans d’indépendance n’ont pas suffi à apaiser les tensions entre communautés

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Par Bénédicte Beauloye via

Enclavée entre la Bulgarie, la Macédoine du Nord, l’Albanie, le Monténégro et la Serbie, la république du Kosovo, dont la capitale est Pristina, fête les 15 ans de son indépendance ce 17 février. Pourtant, le pays est loin d’être à la fête. Les tensions entre communautés sont loin d’être apaisées comme en témoigne ce reportage de Simon Rico pour Transversales.

17 février 2008 : le parlement de la province du Kosovo vote la déclaration d’indépendance proposée par le Premier ministre Hashim Thaçi. Malgré les protestations de Belgrade qui saisit la Cour Internationale de Justice quelques mois plus tard. Si plusieurs pays, dont la Belgique, la France ou les États-Unis, ont reconnu son indépendance, ni l’Organisation des Nations Unies, ni l’Union européenne ne reconnaissent l’indépendance. Quinze ans après cette déclaration, le Kosovo reste fragilisé par des tensions internes.

La Serbie considère le Kosovo comme une province autonome, et dans le nord du pays, la minorité serbe demande à être rattachée à son voisin serbe. Le Kosovo est principalement peuplé d’Albanais, en majeure partie musulmans, tandis que la communauté serbe est orthodoxe, ce qui complique encore la cohésion. Les minorités bosniaque, turque et rom complètent cette population hétéroclite.

L’indépendance sur le papier, mais peu de changements administratifs

Azir Reka est photographe de presse, né en 1960. Il a suivi avec son appareil tous les événements qui ont mené à l’indépendance le 17 février 2008. Les manifestations étudiantes des années 80, la politique répressive de Slobodan Milošević, la résistance pacifiste des années 90, la guerre de la guérilla albanaise l’UCK, puis la délicate transition marquée par le maintien d’un quasi-protectorat international. Quinze ans plus tard, il ne cache pas sa déception. Selon lui, son pays fait du surplace :

J’ai toujours attendu l’indépendance comme un point final. Mais en fait, j’ai l’impression qu’on repart sans cesse à zéro.

Il ajoute : "On a toujours beaucoup de difficultés, on ne peut pas voyager librement, et je me demande combien de temps ces problèmes vont encore durer. Si je veux aller présenter mon travail à l’étranger, je dois demander un visa. Cela prend quelques mois, le temps de la procédure".

Le Kosovo est en effet le seul pays des Balkans occidentaux dont les citoyens doivent demander un visa Schengen pour voyager au sein de l’Union Européenne. La fin de cette obligation est fixée au 1er janvier 2024, mais vu les tensions actuelles, on peut s’attendre à ce que cela soit reporté. Les tensions ont redémarré quand le gouvernement kosovar a annoncé des élections municipales dans les communes à majorité serbe. Le scrutin était prévu pour le 18 décembre 2022. Pour tenter de ramener le calme, la présidente du Kosovo, Vjosa Osmani, a annoncé son report au 23 avril 2023.

Le climat n’est pas trop à la fête à Pristina pour les 15 ans de l’indépendance du Kosovo.
Le climat n’est pas trop à la fête à Pristina pour les 15 ans de l’indépendance du Kosovo. © Laura Lezza/Getty Images

Un long et patient processus de réconciliation

Des programmes internationaux tentent de renouer des contacts entre les deux communautés que la guerre a séparés. En 2020, l’OFCE, l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a financé un projet commun de culture des fraises. Pour chaque exploitation, le nombre d’ouvrier serbe et albanais est égal. Cette collaboration fonctionne bien et la clientèle est également mixte. Ce type d’expérience de la vie quotidienne permet des interactions qui créent peu à peu du lien de qualité.

Début 2021, beaucoup de Serbes du Kosovo avaient espéré que l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Albin Kurti permettrait de relancer le dialogue intercommunautaire. La victoire de son mouvement 'Autodétermination' a mis fin à deux décennies de pouvoir des anciens commandants de l’UCK. Mais deux ans plus tard, le constat est amer, la minorité se sent plus méprisée que jamais par les autorités de Pristina. Marko Milenkovic, une jeune activiste de l’ONG 'New social initiative', qui favorise les contacts entre Serbes et Albanais à Mitrovica, la ville symbole des divisions du Kosovo, s’inquiète : "Depuis plusieurs mois, la situation est mauvaise et la tension monte dans le nord du Kosovo, avec une multiplication d’incidents. Les unités spéciales de la police du Kosovo qui ont été déployées, et ne sont toujours pas retirées. Alors que c’était une des principales revendications serbes lors des manifestations sur les barricades. Au contraire, leur présence s’est même renforcée. Tant que ces unités resteront, on ne peut pas s’attendre à ce que la situation s’améliore ici. Cela nuit à notre travail de réconciliation".

Le Kosovo continue à s’opposer au plan franco-allemand de normalisation des relations avec la Serbie. Le principal point de blocage concerne la création d’une association de communes à majorité serbe dont le Premier ministre Albin Kurti ne veut pas. Les Albanais se sentent abandonnés.

A Mitrovica, la rivière Ibar sépare au nord les habitants serbes et au sud la population albanaise.
A Mitrovica, la rivière Ibar sépare au nord les habitants serbes et au sud la population albanaise. © Chris McGrath via Getty Images

Des ghettos serbes ?

120.000 Serbes vivent toujours au Kosovo, ce qui représente environ 5% de la population totale. Avant la guerre ils étaient deux fois plus nombreux. Les deux tiers habitent dans des enclaves loin des frontières de la Serbie. Une radio serbe a été créée pour animer ces petits villages où la population vieillit inexorablement. Le créateur de ce média explique :

"Nous vivons dans des ghettos. Nous nous trouvons dans des zones isolées, sans communication. Ni avec les villes, ni avec les institutions. Ce sont des zones où les habitants sont privés de leurs droits, même celui d’utiliser leur langue, ce que la Constitution du Kosovo leur garantit. Leurs terres ont été confisquées. C’est pour toutes ces raisons que, de mon point de vue, on peut parler de zones ghettoïsées".

Des populations qui espèrent un retour à une vie paisible et harmonieuse

Certains sont de bonne composition, comme une dame exilée avec sa fille, revenue dans son village natal après des années. À part un jeune voisin, elle n’a pas vraiment de contact avec les Albanais. "Je crois que nous pouvons vivre ensemble, les uns à côté des autres. Et tant pis pour ceux que cela gène. Peu importe la religion, nous avons tous le même dieu que chacun respecte à sa manière. Nous vivions sur la même terre, soit on s’entend, soit on ne s’entend pas, il n’y a pas de troisième voie, et c’est mieux d’être amis".

Anna, une professeur d’art plastique, explique combien la réconciliation est toujours difficile même pour la nouvelle génération : "Le grand défi c’est que les enfants de chaque communauté arrêtent de se regarder comme des ennemis, et qu’ils voient plutôt ce qu’ils ont en commun. Malheureusement, cela devient de plus en plus compliqué, à cause de tout ce qu’ils entendent dans la bouche des adultes et des médias qui ressassent sans cesse le passé et disent que nous ne pouvons pas être amis".

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