Five easy pieces.(Milo Rau/Campo). L’affaire Dutroux, en délicatesse.
Soit l’affaire Dutroux, qui a uni la Belgique dans l’horreur, il y a 20 ans, des meurtres et enlèvements d’enfants en série en 95 à la découverte laborieuse (1996) de l’assassin et de ses complices.
Soit un groupe d’enfants, recrutés par le théâtre gantois Campo pour le Suisse Milo Rau, passionné de théâtre documentaire et politique. Comment, sans traumatisme pour les gosses, sans emphase populiste pour les spectateurs, traiter ce sujet délicat qui marque une date sensible dans l’histoire de Belgique ?
La solution géniale trouvée par Milo Rau pour surmonter ces deux obstacles tient en deux points : faire des gosses de vrais "acteurs " et des spectateurs… des citoyens politiques.
Les enfants, 8/13 ans, se présentent d’abord à nous pour ce qu’ils sont, avec leurs goûts, leurs ambitions, leurs peurs et passions en dialoguant avec le splendide acteur/metteur en scène Peter Seynave. Le petit groupe identifié, dans la sympathie, se voit alors confié la mission de " jouer " un personnage de la pièce, jamais Dutroux mais son père, une des petites filles enlevées, Sabine, qui a survécu, un policier, un parent de victime et même le Roi des Belges face à Lumumba ! Donc les gosses, Dieu merci, n’ont pas dû " s’identifier "aux victimes ou à leur entourage. Saine " distance " pour eux et pour nous, le public On n’en savoure que davantage le talent de ces gosses à endosser ces rôles avec une énorme conviction, un talent fou, une justesse et parfois une bonne humeur proche du fou-rire. On est au théâtre, quoi et dans sa "fabrique". Un théâtre fait par des enfants qui ne cabotinent pas pour nous adultes qui ne sommes pas dupes mais attentifs, éveillés.
On savoure donc beaucoup le talent du metteur en scène, Milo Rau, qui a su comprendre et les possibilités de chaque interprète, qui a son moment de grâce et la juste distance pour nous raconter cette fable politique. C’est la deuxième force majeure de ce spectacle hors normes : il nous parle parfaitement de l’affaire Dutroux mais il l’élève à une véritable psychanalyse de la " décadence " belge depuis la perte du Congo à ce fait divers qui a révélé des " disfonctionnements " qui durent toujours. Et dont les gosses/acteurs sont conscients puisqu’en cours de répétition l’un d’eux a fait le parallèle entre la police à l’époque Dutroux et à l’époque actuelle des attentats de Paris et Bruxelles.
Ajoutez que ces gosses chantent, jouent du piano ou de l’accordéon. Que Mili Rau manie habilement les gros plans vidéo et les scènes de théâtre pur et simple. Un spectacle qui prouve que l’émotion distanciée est plus forte que le pathos. Du tout grand théâtre, humain, sensible, intelligent et politique.
NB : l’humour distancié est déjà dans le titre : rien n’est plus " malaisé " que ces cinq " easy pieces "
Five easy pieces.(Milo Rau/Campo). Visible au KFDa (Théâtre Varia) jusqu’au 22 mai. www.kfda.be/fr
Repris à Gand au Campo du 6 au 15 octobre. www.campo.nu/en/production/1836/five-easy-pieces
Et à Alost, De Werf le 19 octobre.