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Kevin Morby : Arrêt sur images

Kevin Morby, de retour avec un nouvel album

© Chantal Anderson

Héritier de Bob Dylan et Leonard Cohen, Kevin Morby se hisse à la hauteur de ses héros via des chansons hantées par les fantômes de l’Amérique. Du Texas à New York, de Los Angeles aux frontières du Kansas, sa musique amasse les souvenirs et cultive la légende. Sur le nouveau "This Is A Photograph", l’artiste se porte au chevet de sa propre histoire et renouvelle ses mélodies avec l’aide de Cassandra Jenkins ou du batteur Makaya McCraven. Imaginé au départ de quelques photos de famille, cet album souffle sur les braises du passé pour mieux illuminer le présent. Feu de joie garanti.

Fils d’un employé de la General Motors, Kevin Morby trace le bitume depuis sa plus tendre enfance. Né au Texas à proximité d’un puits de pétrole, le garçon entretient le mythe de la Route 66 avec une vie en mouvement sur la carte des U.S.A. : Nebraska, Michigan, Oklahoma ou Kansas. Et puis, New York où tout se précise, dès 2010. Entre un job de cycliste dans une société de livraison et un boulot de barman, Morby dégote un poste de bassiste chez Woods, fine fleur du rock psychédélique. Sa carrière est lancée. Dans la foulée, il s’acoquine avec Cassie Ramone (Vivian Girls) et fonde The Babies, un groupe de rock garage. "Je ne regrette aucune de ces expériences collectives", dit-il aujourd’hui, sept albums solos au compteur. "J'éprouve une douce nostalgie en repensant à nos tournées ensemble, mais pour l'essentiel, je suis bien plus heureux avec ma situation actuelle." Sa situation actuelle, justement, c’est "This Is A Photograph", un nouvel album folk-rock, ourlé de soul, de jazz et de gospel.

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Sage comme une image

Si le nouvel album de Kevin Morby donne le sourire, tout a pourtant commencé dans les larmes lors d’un repas dominical dans la famille. Où son père, foudroyé par une arythmie cardiaque, s’effondre de tout son long. "Il va beaucoup mieux à présent", rassure le chanteur. "Mais sur le coup, je pensais l’avoir perdu." Cet épisode traumatisant est à l’origine du nouveau disque. "Quand les ambulanciers ont emmené mon père à l’hôpital, j’étais désemparé. Pour éviter de perdre la face, j’ai rangé des armoires et je suis retombé sur de vieux album-photos..." Quelques semaines plus tard, Kevin Morby compose un morceau intitulé "This Is A Photograph". "Composer de la musique, ça m'aide à surmonter les obstacles, à poser des mots sur mes émotions. Après avoir écrit cette chanson, j'ai compris que j’avais la matière pour faire un album entier." Un disque qui porte d’ailleurs le même nom que la chanson. ""This Is A Photograph" est une métaphore", explique-t-il. "Dans l’imaginaire collectif, une photo est un document qui capture un lieu et un instant donné. À mon sens, la musique a exactement la même fonction. Par ailleurs, avant de composer un morceau, j'ai toujours une image très précise en tête."

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De Jeff Buckley à Jay Reatard

Le septième album de Kevin Morby jette un regard aussi anxieux qu'émerveillé sur le temps qui passe. Entre fascination ultime pour des âmes perdues et mélancolie insurmontable, "This Is A Photograph" se projette dans l'avenir avec un œil rivé dans le rétroviseur. "Je pense que tout ceci doit se comprendre au regard de la pandémie", indique Morby. "C'est une période durant laquelle le monde entier était à l'arrêt. Le présent n'avait absolument aucun intérêt et le futur était totalement obscurci par l’actualité. Pour échapper à l'absurdité de ma vie confinée, je me suis réfugié dans le passé. À ce moment-là, c'était la seule option envisageable." Après avoir enregistré un premier morceau, chez lui, à Kansas City, Kevin Morby met le cap sur Memphis. Où il loue une chambre d’hôtel et s’en va chercher l’inspiration le long des rives du Mississippi, là où Jeff Buckley s’est noyé à jamais. Lors de ses excursions, Kevin Morby passe également devant la façade de Stax Records, longe les murs de Graceland, traverse la Highway 61 et traîne dans le quartier où Jay Reatard a passé son dernier jour. À la nuit tombée, il retrouve sa chambre d’hôtel : petit sanctuaire dans lequel il célèbre ses héros avec une guitare et un enregistreur de fortune.

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Radio Elvis

Après avoir vécu des romances avec New York et Los Angeles, Kevin Morby est aujourd'hui de retour sur les terres de son enfance, à Kansas City, au cœur du Missouri. C'est là, loin de la hype et des soirées sans fin, que l'artiste a choisi de se fixer. "À un moment, j'ai réalisé que mon métier me permettait uniquement de rembourser un loyer. Cela faisait des années que je louais des endroits dans lesquels je ne vivais pas vraiment... Quand j'ai réalisé que tout ça n'avait pas beaucoup de sens, j'ai cherché un endroit où acheter une maison. Comme New York et Los Angeles sont impayables pour un musicien comme moi, j'ai cherché mon bonheur ailleurs. C'est comme ça que je suis revenu dans le Missouri. J’ai emménagé avec ma compagne et j’ai installé un studio d'enregistrement juste à côté de la maison." Partiellement enregistré chez lui, "This Is A Photograph" s’est étoffé du côté de Memphis, au Sam Philip's Recording Co, un studio érigé par Jerry Philips, le fils du patron de Sun Records, le berceau du rock. Produit par l’ami Sam Cohen, le nouvel album de Kevin Morby est tout sauf une expédition solitaire. Entouré par les chœurs d’anciens élèves de la Stax Academy of Music, mais aussi par la voix de la passionnante Cassandra Jenkins, la harpe de Brandee Younger (BadBadNotGood, Moses Sumney, Kanye West) ou la batterie du sublime Makaya McCraven (à voir à Dour cet été), le chanteur américain renouvelle une fois encore sa proposition, mais toujours dans le plus grand respect des traditions.

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Enfant prodige

Là où Kevin Morby célébrait autrefois l'esprit des lieux qu'il traversait, guitare à la main, ses textes remplissent aujourd'hui les pages d'un journal intime chanté au plus près du réel. "Le nouvel album est assurément mon exercice le plus personnel. Quand j'ai sorti le clip du morceau "This Is a photograph", par exemple, je me sentais extrêmement vulnérable. Parce que ce morceau aborde mon histoire familiale de façon assez frontale." Cette plongée dans l’histoire vient d’ailleurs souligner la relation émotionnelle qui unit l’artiste et sa musique. "J’ai toujours voulu être musicien", assure Kevin Morby. " Quand j’avais huit ans, j’écoutais la radio en boucle. Je m’identifiais à des groupes un peu embarrassants, comme Third Eye Blind. À côté de ça, je pouvais compter sur les bonnes pioches de ma mère qui, elle, était fan de Bruce Springsteen. Un soir de Noël, elle m'a offert une guitare électrique, une Yamaha. Le premier morceau que j'ai réussi à jouer en entier, c'est "When I Come Around" de Green Day. Et là, pour le coup, c’est une chanson que j’aime toujours autant ! J’adore les musiques qui parviennent à traverser les époques, celles qui vieillissent bien." À tel point que Kevin Morby s’est spécialisé dans ce registre : fournisseur officiel de mélodies intemporelles.

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