Il sera question des négociations d'accord de libre échange avec les Etats-Unis.
Retranscription de l'entretien:
AR : - C’est donc vous qui négociez ce très controversé accord de libre-échange Etats-Unis-Europe dans le secret, ce qui suscite, on le sait, beaucoup d’inquiétude du côté de la population, d’une série d’ONG aussi, des réticences également du côté des Etats-Unis, est-ce que vous continuez à penser maintenant que c’est une bonne idée de continuer à négocier ce possible accord de libre-échange ?
KDG : - Tout d’abord, je ne négocie pas dans le secret. On a eu maintes consultations avec le parlement européen, 35 si je ne me trompe pas, et de la même façon, à chaque tour de négociation, nous avons eu une réunion pas seulement avec des entreprises mais également avec des syndicats, avec des ONG, tout ce qui se trouve sur notre site sur cet accord, si vous vous appliquez à lire tout cela, cela va certainement remplir toutes vos vacances d’été, il y a des centaines et des centaines de pages.
AR : - Mais on ne peut pas dire que la transparence soit totale quand même et ça, la population a du mal à le comprendre…
KDG : - Non, enfin, il y a deux choses. Premièrement, nous sommes très transparents sur ce que nous faisons mais les Américains le sont beaucoup moins et donc ils disent " vous obtenez un certain nombre de documents de notre part, vous ne pouvez pas les transmettre à votre parlement ou au conseil des ministres sauf sous certaines conditions ", ce qui n’est pas satisfaisant mais ce n’est pas nous qui imposons cela, c’est la règle américaine et d’ailleurs la règle dans la plupart des pays dans le monde. Parce que nous, nous sommes extrêmement transparents. Naturellement, ce que certaines ONG voudraient vraiment, c’est qu’elles soient à ma droite et à ma gauche quand je négocie, enfin, ça n’a pas de sens ! Peut-être que dans les semaines à venir il y aura de nouveau des négociations gouvernementales mais enfin là les ONG ne seront pas invitées non plus.
AR : - Donc pour vous on est dans le même cadre que quand on négocie par exemple un budget au sein d’un gouvernement fédéral ou un accord de gouvernement ?
KDG : - C’est beaucoup plus transparent qu’un budget, que la négociation budgétaire en Belgique et d’ailleurs dans n’importe quel pays.
AR : - Donc, si c’est transparent, on peut peut-être répondre à une série de préoccupations qui reviennent régulièrement autour de tout cela, est-ce que demain, si un accord est conclu, les gens vont voir arriver dans leurs supermarchés des OGM ou par exemple des poulets qui seraient lavés à l’eau de Javel ?
KDG : - Il y a des OGM qui ont été autorisés sur le marché européen. En fait, il y en a au total 52, maintenant, indépendamment de cet accord qui est en train de se négocier avec les Américains. La plupart, 49, c’est pour le bétail, donc pour l’alimentation du bétail et il y en a également 3 pour la consommation humaine. Donc il y a une législation selon laquelle un OGM peut être autorisé et cette législation continuera de s’appliquer dans les mêmes conditions que maintenant.
AR : - Et prenons alors le cas du poulet à l’eau de Javel, les normes sanitaires européennes qui l’empêchent aujourd’hui, est-ce que demain on risque de le voir arriver dans les supermarchés parce que ça collerait aux normes sanitaires américaines ?
KDG : - Non, il ne va pas arriver dans les supermarchés européens parce qu’il y a une législation existante qui l’interdit et nous n’allons pas changer cette législation. D’un autre côté, il faut bien considérer qu’il n’y a aucune preuve scientifique, bien au contraire, qui dit que ça pose un problème pour la santé, donc ça c’est autre chose.
AR : - Mais donc vous faites quand même une petite ouverture en disant " peut-être que demain ça pourrait changer " ?
KDG : - Non… Ah, demain, tout peut changer, donc maintenant il y a de la pluie, peut-être que dimanche il y aura de nouveau du soleil donc tout peut changer mais nous travaillons dans le cadre de la législation existante donc ce n’est pas nous, dans une négociation, qui allons changer la législation.
AR : - Mais donc, quelle est la marge de négociation alors que vous avez si vous dites que finalement, tout ce qui existe aujourd’hui en termes de normes sanitaires, environnementales, on ne va pas aller vers moins que ce qu’on a aujourd’hui en Europe, sur base de quoi alors est-ce que vous négociez avec les Américains ?
KDG : - Il existe aussi beaucoup de choses aux Etats-Unis, par exemple, nous avons demandé la réouverture du marché américain pour le bœuf à cause du BSE, ça traine depuis 10 ans donc ce n’est pas comme si aux Etats-Unis les procédures étaient tellement faciles non plus. Qu’est-ce qu’il y a à négocier ? Mais beaucoup ! Tout d’abord il y a les tarifs, que ce soit pour les produits industriels ou les produits agricoles.
AR : - Les tarifs douaniers, c’est ça, mais qui sont déjà relativement bas. On dit que c’est surtout sur les normes, justement, que ça se joue, sur les aspects non tarifaires…
KDG : - Relativement mais enfin, quand même, à peu près 4%, par exemple pour le chocolat belge, produit que nous connaissons très bien, c’est 25, donc il y a encore des tarifs donc le total des tarifs c’est quand même 30 milliards d’euros, c’est beaucoup d’argent, il y a l’ouverture des marchés publics qui sont beaucoup plus fermés aux Etats-Unis que chez nous et ça c’est la première partie. La deuxième partie, ce sont les règlementations et là on parle tout le temps du poulet à la javel, il vaudrait mieux parler par exemple de produits pharmaceutiques où nous avons une industrie très importante, les produits chimiques où nous sommes les plus importants en Europe, l’automobile où vraiment les normes techniques sont très importantes et faire en sorte que ce soit compatible ou harmoniser, ça a vraiment une importance de tout premier ordre sur le plan global mais je ne vais pas baisser les normes européennes, je ne vais pas le faire donc…
AR : - Mais qu’est-ce qui intéresse les Américains alors finalement dans la conclusion de cet accord ?
KDG : - Mais moi, une déclaration que je ferais c’est que nous venons de conclure un accord avec le Canada, on ne l’a pas fait, on parle tout le temps aussi du bœuf aux hormones, dans cet accord avec les Canadiens, il est très clairement écrit et négocié que oui, ils pourront exporter une certaine quantité de bœuf sur le marché européen mais que ça devra être du bœuf sans hormones donc on ne va pas baisser nos standards, ce sont des fantasmes.
AR : - Ce sont des fantasmes et le fait de recourir demain à des tribunaux d’arbitrage, y compris pour des différends entre des entreprises et des Etats, c’est aussi du fantasme de considérer qu’on va mettre peut-être demain sur le même pied une entreprise et un Etat, une entreprise qui pourra attaquer un Etat qui modifie une législation ?
KDG : - C’est ce fameux Investor-State Dispute Settlement donc c’est quelque chose qui existe, donc nous n’avons pas inventé cela, on fait ça depuis des décennies et des décennies. Les pays membres de l’Union européenne ont souscrit à 1.400 traités où il y a une telle règle d’arbitrage entre sociétés et Etats, nous avons eu cette compétence d’investissement depuis le traité de Lisbonne, ça fait donc 5 ans, pas plus que ça, donc tous ces accords, dans le passé, ont été contractés par les Etats membres, ce que nous voulons, c’est les nettoyer de façon notamment à ce que l’espace politique soit préservé. Ce n’est pas toujours clair maintenant.
AR : - Mais quand on regarde justement des jugements qui ont déjà été rendus, qui ne concernent pas toujours d’ailleurs des Etats européens mais on a par exemple des cigarettiers qui vont attaquer l’Australie parce qu’elle impose des nouvelles normes de packaging…
KDG : - Je suis très content que vous citiez l’exemple des cigarettes, c’est Philip Morris contre l’Australie. Cela n’a pas été prononcé. Il n’y a pas d’arrêt qui conclut cette discussion.
AR : - Non mais ça pourrait arriver demain. Mais est-ce que les Etats doivent se justifier des législations…
KDG : - Non, non, excusez-moi…
AR : - … qu’ils mettent en place par exemple pour des raisons de santé publique ?
KDG : - Non, non, excusez-moi, je dis qu’il n’y a pas encore d’arrêt, que c’est un dossier qui a été lancé depuis Hong-Kong où en fait Philip Morris a très peu d’activités, avec ce que nous proposons, ce ne serait plus possible parce qu’on peut seulement lancer un dossier depuis un lieu où on a ses principales activités donc c’est un autre exemple de ce que nous voulons faire, c’est notamment remédier aux fautes du passé.
AR :- Mais demain, si une entreprise, par exemple implantée largement en Belgique, donc là ça rentre dans vos conditions, décide d’intenter un procès à la Belgique parce que la Belgique aurait par exemple augmenté le salaire minimum, est-ce que ça ce serait possible demain avec ces tribunaux d’arbitrage ?
KDG : - Pas du tout, ça ne rentre pas du tout dans le champ d’application d’une telle procédure. En fait, le champ d’application principal d’une telle procédure, c’est la discrimination donc ça veut dire que, pour autant que ça rentre dans le traité, on ne peut pas discriminer entre les sociétés européennes et dans ce cas-ci les sociétés américaines, mais ça n’a rien à voir par exemple avec l’augmentation du salaire minimum, rien du tout. C’est presque une règle générale dans la vie juridique commerciale disons qu’il y ait des procédures d’arbitrage, n’importe quel grand accord entre deux sociétés se décide aussi devant des Cours d’arbitrage.
AR : - Mais est-ce que ce n’est justement pas mettre sur le même pied les Etats et les entreprises, ce n’est pas appliquer la logique de marché à la puissance publique ?
KDG : - Mais ça existe Monsieur, mais non, mais vous dites tout le temps… Je ne mets rien ! Ils sont là.
AR : - Parce que ça existe déjà ? C’est ça que vous voulez dire ?
KDG : - Mais ça existe depuis des décennies et d’ailleurs la majorité des dossiers sont introduits par des sociétés européennes plus que par des sociétés d’ailleurs. On dit tout le temps que les sociétés américaines vont nous attaquer mais enfin, ce sont surtout les sociétés européennes qui le font, moi je n’ai pas inventé cela ! Et d’ailleurs, il y a, en ce moment, une consultation publique sur ce dossier où les différents problèmes que vous venez d’introduire sont décrits de façon très claire, on demande aussi l’opinion de n’importe qui qui veut participer à cette consultation publique, on verra bien, on va étudier, on va en discuter avant de prendre n’importe quelle position dans ce dossier avec le parlement et avec le conseil puis on se décidera.
AR : - Est-ce que vous êtes candidat à votre propre succession en tant que Commissaire au Commerce pour pouvoir continuer justement ces négociations ?
KDG : - Oui, parce que je pense que si nous voulons un accord avec les Américains, il faudrait le faire dans le courant de l’année prochaine parce que sinon nous serons dans le cycle électoral américain et ça deviendra très difficile.
AR : - Donc il faut que ce soit vous qui continuiez puisque c’est vous qui avez commencé ?
KDG : - Non, vous dites qu’il faut que ce soit moi, j’ai dit…
AR : - Mais vous êtes candidat en tout cas, si vous avez l’opportunité de continuer, vous voulez continuer ?
KDG : - Non, je dis tout simplement que si on veut y arriver, il ne faudra pas perdre trop de temps. Peut-être que ça va inspirer certains pour surtout ne pas me nommer comme ça on perd du temps et il n’y aura pas d’accord, ça c’est possible mais si vous me demandez si c’est une bonne chose que je continue la négociation, oui, je pense que c’est une bonne chose.
AR : - Dernier élément, vous venez d’être élu comme député européen, est-ce que vous trouvez comme Guy Verhofstadt que la N-VA, les députés européens N-VA devraient rejoindre le groupe des libéraux européens ?
KDG : - A ma connaissance, Guy Verhofstadt ne s’est pas prononcé là-dessus, il semble que la N-VA ait approché l’ALDE avec cette demande, j’ai compris d’ailleurs ce matin dans les journaux qu’eux-mêmes vont aussi se prononcer là-dessus le 14 si je ne me trompe pas donc on verra bien quand il y aura une demande officielle et puis ce sera au groupe ALDE et aux partis libéraux européens de se prononcer sur cette demande.
AR : - Mais vous n’avez pas d’a priori positif ou négatif ? Vous ne dites pas un " non " de principe, " nous ce sera sans la N-VA de toute façon " ?
KDG : - C’est l’ALDE qui doit se décider et donc moi je ne vais pas me prononcer là-dessus maintenant.
AR : - A titre personnel, vous n’avez pas d’avis sur la question ?
KDG : - Sur la plupart des sujets politiques, je n’ai pas d’avis personnel et de toute façon, même si j’avais un avis personnel là-dessus, je ne vais pas me prononcer là-dessus maintenant.
AR : - Merci !