Il y a 15 ans jour pour jour, le 7 juin 2003, la Belgique sportive vivait un moment très spécial. Notre pays savait que l'une de ses joueuses allait gagner un tournoi du Grand Chelem, ce qui n'était encore jamais arrivé. Justine Henin et Kim Clijsters allaient se rencontrer l'après-midi en finale de Roland-Garros. C'est Justine Henin qui avait remporté ce match noir-jaune-rouge, pour conquérir le premier de ses 4 Roland-Garros et de ses 7 Grands Chelems.
15 après après, Justine Henin est à Roland-Garros pendant 2 semaines, comme consultante pour France Télévisions.
Elle a accepté de s'exprimer sur le niveau du tennis, féminin en particulier, sur David Goffin, Rafael Nadal, et (évidemment) sur ce qui s'est passé sur le Central il y a 15 ans, et ce qu'elle ressent quand elle revient à Paris...
Entretien avec Justine Henin...
Justine, quelles sont vos premières impressions sur cette édition 2018 du tournoi de Roland-Garros ?
Pour l’instant, je ne vous cache pas que je suis un peu déçue, car on n’a pas énormément vibré depuis le début de la quinzaine. C’est sans doute dû à différentes circonstances : des joueurs et des joueuses blessés, d’autres en méforme, un tableau qui n’a pas offert de véritables duels entre cadors. Et quand c’était le cas, ce furent des non-matches. A part deux ou trois moments forts, dont le quart de finale de ce mardi entre Djokovic et Cecchinato, je suis restée sur ma faim, côté émotions. Or ce sont elles dont le public a besoin. Je suis donc un peu frustrée par rapport à ça, mais le tournoi n’est pas terminé, et j’espère qu’on va enfin voir de belles choses. Je pense qu’il peut y avoir de grands matches sur la fin du tournoi. Je croise les doigts...
Et le tournoi féminin ?
Chez les filles, s’il y a forcément de joueuses que j’ai aimé voir jouer, j’avoue que de manière générale, j’ai été fort déçue du niveau global aperçu jusqu’ici sur la quinzaine. Ce qui manque surtout dans le tennis féminin, c’est de la constance. Le public a besoin de stars. Pas des stars des réseaux sociaux, mais des filles qui gagnent. Et ça manque. J’ai l’impression qu’il y a une acceptation de la défaite qui est plus grande que par le passé. "Ah, je perds ici, c’est pas grave, je rejoue ailleurs la semaine prochaine". C’est en tout cas ce que je ressens. Je ne sais pas si c’est juste, mais c’est ce que je perçois. Du coup, cela donne parfois l’impression de filles qui paraissent un tout petit peu moins dedans. Pas moins travailleuses ou moins concernées, comprenez-moi bien, mais c’est selon moi l’une des raisons pour lesquelles il y a moins de constance. Regardez Serena Williams : elle ne s’est pas alignée contre Sharapova, parce que, diminuée, elle savait qu’elle n’avait pas les moyens de gagner. Et elle, si elle sait qu’elle n'a pas les moyens de s’imposer, elle ne joue pas. On manque de ce genre de filles sur le circuit.
Vous disiez avoir apprécié certains joueuses ? Qui précisément ?
J’aime beaucoup Simona Halep. Cela fait plusieurs années que je le dis, elle a un jeu intéressant. Elle n’a pas encore remporté de Grand Chelem mais elle en a été proche plusieurs fois, elle a joué trois finales. J’ai eu de la chance de l’interviewer sur la terrasse de France télévisions, et elle en a parlé très sincèrement : elle reconnaît un problème de gestion des émotions. Elle est capable de faire trois finales… et de les perdre toutes, et aussi de perdre au premier tour à quatre reprises ces quatre dernières années, en Grand Chelem. C’est donc qu’il y a bien un souci au niveau émotionnel, que c’est compliqué pour elle. Elle en parle avec beaucoup de simplicité. Mais tennistiquement, elle a les moyens de briller. J’aime aussi beaucoup Kasatkina, je trouve qu’elle propose un jeu différent. Elle doit encore gagner en maturité mais c’est une joueuse intéressante. Un peu fantasque aussi. Elle reste encore jeune, mais j’aime bien sa manière de jouer. Elle a du talent, elle sait faire un slice, elle sait varier, j’aime bien ses trajectoires de balles. J’ai bien aimé Sloane Stephens aussi, dans ce que j’ai vu d’elle ici. Après, je suis moins fan des joueuses qui frappent avec la même cadence en permanence.
Et Elise Mertens ?
Je vais vous décevoir, je ne l’ai pas vue beaucoup jouer ici. Mais c’est clairement une fille qui va s’implanter sur le circuit féminin. Jusqu’où peut-elle grimper ? C’est difficile à dire maintenant, mais elle est bien, là où elle est actuellement. C’est une fille qui a encore un gros potentiel ; elle a une intelligence de jeu; elle sait faire pas mal de choses. Elle a le caractère aussi pour s’installer au plus haut niveau. Maintenant, est-ce que c’est une future top 5 ? C’est difficile à dire. Mais quand je vois certaines filles se hisser autour de la 10e place mondiale, je me dis qu’elle y a sa place.