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Juliette Goudot : "Cher Nicolas Mathieu, ne savez-vous pas la réserve d’amour que vous libérez ?"

En toutes lettres !

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Il a remporté le prix Goncourt en 2018. Et en ces temps chahutés en France autour de la réforme des retraites, Nicolas Mathieu prend position sur Instagram. Il commente l’actualité et poursuit le récit des péripéties de nos vies. La journaliste et écrivaine Juliette Goudot y est très sensible. Elle lui adresse cette lettre.

Savez-vous, Cher Nicolas Mathieu, quelle réserve d’amour vous venez de libérer ?

La phrase reprend et répond à celle que vous adressiez au gouvernement français passant en force la réforme des retraites à coup de 49.3 dans un pays ravagé par le Covid et la crise.

"Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer" préveniez-vous sur le site de Médiapart puis sur votre compte Instagram, redonnant voix à la rue, aux travailleurs, à une jeunesse de filles et de garçons mêlés dans des manif sauvages et sur le dos desquels se défait la démocratie sociale.

Avec ce texte - et ceux qui suivent - vous rendez les réseaux sociaux à la vie démocratique, vous les retirez au narcissisme contemporain.

Car ne savez-vous pas, cher Nicolas Mathieu, la réserve d’amour que vous libérez en publiant sur Instagram ? comme si on pouvait vivre normalement après ça, après vos mots qui nous modifient et nous affectent, qui nous renversent et nous rendent un peu de ce que la vie nous prend.

Ne savez-vous pas la réserve d’amour que vous libérez lorsque nous vous lisons à la tombée du soir dans Bruxelles, sous un post qui a parfois les traits de Romy Schneider, pour dire nos regrets et ce qu’il est encore permis d’espérer, nos vies pas si gâchées et celles de nos pères, ceux qu’on a tant aimés.

Les posts Insta prolongent vos romans, avec à chaque fois ce basculement politique du cœur, cette émotion de voir une génération, la nôtre, entrer dans la littérature, nous, quarantenaires qui ont traversé dans leur chair la désillusion du couple, de l’amour romantique et de la famille unie.

Dans Leurs Enfants après eux pour lequel vous obteniez le prix Goncourt, notre adolescence déjà devenait mythologique, celle des années 90 et de Kurt Cobain, nos vies devenaient sujet littéraire, dans une langue tapie loin qui dit le profond comme ce qui affleure, le désir et les corps devenus territoires, foule, rades ou zonings de province.

Vous dites aussi parfois, et je vous cite cher Nicolas, que "la littérature sert à rendre les coups", je crois que la vôtre sert à rendre l’amour.

Elle sert à rendre, sous le réalisme forcené des mots pour dire les rêves enfuis et ceux qui accrochent encore, cette tendresse pour les élans qui nous restent et le souffle des enfants la nuit, pour les histoires rompues ou celles à venir, cette tendresse énorme qui raconte peut-être que la littérature, comme l’amour, est la seule certitude.

Pour tout cela merci,

Juliette

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