Sorti le 24 janvier 1962, il y a tout juste 60 ans, "Jules et Jim", le quatrième film de François Truffaut, est aujourd’hui un classique. Mieux encore, un hymne à l’amour fou et libre…
On s’est connu, on s’est reconnu. On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue. On s’est retrouvé, on s’est réchauffé. Puis on s’est séparé…
La suite, j’en suis certain, vous êtes en train de la fredonner. Cette suite où chacun est reparti dans le tourbillon de la vie ! Cette chanson magnifique est interprétée par Jeanne Moreau. Au départ, elle a été écrite par l’un de ses amis, l’artiste peintre et écrivain Serge Rezvani. Il voulait décrire avec tendresse la vie de Jeanne et son mari de l’époque (nous sommes en 1956), le réalisateur Jean-Louis Richard. Une vie faite d’amour, de séparations et de rabibochages. Des années plus tard (là nous sommes en 1961), en découvrant cette chanson, François Truffaut voulut absolument l’utiliser pour son film. Il a donc demandé les droits à Rezvani qui a accepté. Pour le représentant de la Nouvelle vague, cette chanson décrit parfaitement ce qu’il désire raconter… l’histoire d’une femme qui aime plusieurs hommes et qui ne sait pas lequel choisir. Ce film, c’est "Jules et Jim" et cette chanson, "Le tourbillon de la vie".
"Jules et Jim" aurait pu s’intituler "Catherine, Jules et Jim" car il s’agit bel et bien d’un triangle amoureux. Tout commence à Paris avant le début de la Première guerre mondiale. Jim (Henri Serre) est français et Jules (Oskar Werner), son meilleur ami, autrichien. En vacances, ils tombent tous les deux amoureux de Catherine (Jeanne Moreau). Mais c’est Jules que la demoiselle décide d’épouser. Après la guerre, Jules et Jim se retrouvent. Mais le couple du premier bat de l’aile. Jim apprend que Catherine voit d’autres hommes. Catherine qui avoue qu’elle n’est pas heureuse malgré tout son amour pour Jules. Alors que Catherine et Jim se rapprochent, Jules, lui, laisse faire. À trois, ils vont tenter d’être heureux. Quant à Catherine, elle n’arrive pas réellement à choisir… entre Jules et Jim ! ?
Adapté du roman autobiographique d’Henri-Pierre Roché (qu’il a publié en 1953 à 74 ans), "Jules et Jim" raconte donc le tendre duel qui oppose l’amour et l’amitié. Ce film est un envoûtant portrait de femme. Une femme libre d’aimer qui (et quand) elle veut. Pourtant au moment de sa sortie en France, il y a 60 ans, le 24 janvier 1962, la (trop) bien-pensante Commission de la Censure interdit le film aux moins de 18 ans. Une femme qui aime deux hommes en même temps, quelle diablerie ! Truffaut remue ciel et terre pour faire annuler cette décision. Il va même jusqu’à demander au grand cinéaste Jean Renoir de lui écrire une lettre de moralité ! Le pire, c’est qu’il n’y a rien d’obscène dans cette histoire d’amour. Bien au contraire. Devant la caméra de Truffaut, Jeanne, Oskar et Henri, enfin Catherine, Jules et Jim s’aiment tout simplement. Leurs sentiments sont justes et beaux. Ils vivent passionnément. À la folie… à l’image de cette course folle qui symbolise à merveille la rivalité entre nos deux camarades. Souvenez-vous de cette scène. Nous sommes sur la passerelle Valmy, à Charenton-le-Pont, qui surplombe la ligne de chemin de fer qui relie Paris à Marseille. Enfin nous pas vraiment. Il y a Jules, Jim et Catherine habillée en garçon et une moustache dessinée…
Le terrain me paraît excellent, je lance une course de vitesse, le premier qui arrive au bout de la passerelle…
Avec cette scène, Truffaut filme ce qui deviendra la course amoureuse la plus célèbre du 7e Art. Une course qui sera à de nombreuses reprises reproduite. Car oui sans ce triangle amoureux là, sans "Jules et Jim", il n’y a pas d’autres grands classiques du Cinéma français comme "Bande à part" de Jean-Luc Godard (en 1964) où la course amoureuse se joue au Louvre, comme "César et Rosalie" de Claude Sautet (en 1972), comme "Les valseuses" de Bertrand Blier (en 1974) et comme, bien des années plus tard, "Les chansons d’amour" de Christophe Honoré (en 2007). Voilà autant de films où plus on est de fous (d’amour) plus on s’aime !
Au-delà des images toujours en mouvement de Truffaut, de cette déclaration d’amour, de ce trio, "Jules et Jim" célèbre aussi et surtout la liberté. Quelle qu’elle soit… Alors que Jeanne (ou Vanessa Paradis voire Angèle, le temps d’une reprise), elle, continue de chanter…
Alors tous deux on est repartis… Dans le tourbillon de la vie… On a continué à tourner… Tous les deux enlacés… Tous les deux enlacés…