Belgique

Journée internationale de lutte contre le sans-abrisme : au moins 1200 jeunes adultes vivent dans la rue ou n'ont pas de domicile fixe

© rtbf – Quentin Vanhoof

Par Miguel Allo

Ce 10 octobre est la Journée internationale de lutte contre le sans-abrisme. L'occasion de faire un focus sur cette problématique et plus particulièrement chez les jeunes adultes (entre 18 et 25 ans). On en dénombre au moins 1200 actuellement. Ce chiffre est obtenu sur base du nombre de personnes en errance dénombrées fin 2020 et fin 2021 dans neuf villes et régions en Belgique (d’Arlon, Charleroi, Gand, Louvain, Namur et Liège, dans la province de Limbourg, le sud de la Flandre occidentale et la région de Vilvorde), soit près de 6300 personnes. Ce dénombrement n’est pas encore terminé et doit s’étendre prochainement à d’autres zones du pays.

Ces études ont été réalisées à la demande de la Fondation Roi Baudouin (FRB) par l’UGent, la KU Leuven et l’UCLouvain. Les données recueillies permettent de quantifier, mais aussi d’identifier les causes, le profil de ce public hétérogène et donc avec des besoins spécifiques. L’objectif final étant de développer des politiques pour lutter efficacement contre le sans-abrisme et l’absence de chez-soi en Belgique.

Rappelons que l'Union européenne a adopté il y a quelques mois un plan visant zéro sans-abri en 2030.

Des parcours de vie différents

Le constat est donc interpellant : près d’un adulte sans-abri ou sans chez-soi sur cinq a entre 18 et 25 ans. Les raisons qui ont mené ces jeunes à la rue sont toutes différentes. Il est néanmoins possible d’identifier trois types de parcours : Les jeunes avec un passé en institution d’aide à la jeunesse, ceux avec un passé migratoire récent et enfin des jeunes sans antécédents d’aide à la jeunesse avec d’autres parcours de perte de logement.

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La situation des jeunes qui se retrouvent en errance : "résulte d’une succession d’événements de vie négatifs.

Les trajectoires qui peuvent mener au sans-abrisme chez les jeunes sont complexes et multiples. Ce qu’il ressort de l’enquête de la FRB, c’est que souvent (dans 37,4% des cas) un conflit avec la famille ou des amis est à l’origine de leur situation d’errance. Le décrochage scolaire précoce peut aussi avoir un rôle. "Même si les jeunes tiennent beaucoup à l’école, parce que l’école c’est le dernier fil qui vous tient à une vie normale, qui fait que l’on vit comme les autres […] pour ces raisons le décrochage est encore plus pesant, parce qu’on a l’impression que les choses lâchent", précise Martin Wagener, professeur de sociologie à l’UCLouvain, ayant participé à l'étude.

Parmi les événements cités, citons les faits de violence, d’assuétude, de parents vivant dans la pauvreté ou encore de parcours migratoire traumatisant... auxquels, il faut encore ajouter "des mécanismes structurels d’exclusion sociale" comme des logements inaccessibles, une pauvreté structurelle ou encore la reproduction des inégalités sociales dans l’enseignement.

On se sent seul, très seul…

Les éléments pointés par l’étude et notamment les conflits familiaux font partie du récit que trois jeunes ont accepté de partager avec nous. Nous les recontrons dans la commune bruxelloise de Forest à la maison d’accueil destinée aux jeunes adultes : @Home 18-24 (Les petits Riens). Les jeunes entre 18 et 24 ans qui vivent ici disposent de chambres individuelles, un cadre pour se reconstruire et de l’aide pour avancer.

John est arrivé à @Home18-24 sans rien, dit-il. Ce jeune Liégeois explique qu’il avait une situation "assez compliquée." Il ajoute : "Il y a eu des tensions familiales. On m’a fait partir." John s’est alors retrouvé à la rue pendant près de 6 mois sans rien : ""Ni revenu, ni carte d’identité. Je suis venu ici et je n’avais rien… Ils m’ont aidé pour les papiers, pour me trouver une formation".

Francesco, 21 ans, vit dans cette maison depuis deux mois. Pour expliquer sa situation il nous dit qu’il a eu des : "disputes familiales avec les parents, amis, petite amie… J’ai eu beaucoup de choses qui m’ont fait tomber. On se sent seul, très seul, parce que tu te dis que tu es tout seul et que personne ne va t’aider. Il n’y a que toi… Et en fait, non. C’est juste qu’on ne tape pas aux bonnes portes. C’est juste ça le problème, mais après quand tu es seul, tu ne te dis pas que tu vas aller demander de l’aide, tu as juste envie de montrer aux gens que tu sais te débrouiller, mais tout seul tu ne peux rien faire."

Axel a 23 ans : "Ma mère m’a mis dehors pour apprendre ce qu’est la vie. Mais ça n’a pas fonctionné comme elle le pensait. J'ai été deux ans à la rue. Une fois qu’on est dans la rue, on n’a pas d’amis. On n’a plus rien. On doit repartir de zéro."

Axel nous raconte les difficultés lorsqu’il faut dormir en rue : "On ne sait pas se reposer. Tu dois te méfier de tout le monde, pour ne pas te faire voler, pour ne pas te faire tabasser". Son conseil : "c’est soit d’aller dormir dans un cimetière, rester tranquille, là, tout seul ou essayer de trouver une solution à droite et à gauche pour se sortir de là".

Cette maison d’accueil peut accueillir une quinzaine de jeunes entre 18 et 24 ans. Or, il manque de structures de ce type à Bruxelles et en Wallonie. Corentin Letocart, directeur de @Home 18-24 : "Aujourd’hui, un jeune qui est âgé de 18 ans et qui se retrouve à la rue, il n’a pas d’autre choix que de soit, trouver des ressources en interne dans sa famille et ses amis ou, malheureusement, mettre un pied dans le monde du sans-abrisme."

Lors de l’enquête réalisée par la Fondation Roi Baudouin, sur les un peu plus de 1200 jeunes adultes dénombrés, un sur quatre se trouvait dans un foyer d’hébergement ou en séjour temporaire.

Les jeunes en errance sont peu visibles dans l’espace public

Sans-abrisme caché

Autre constat, les jeunes en errance sont peu visibles dans l’espace public. Un peu moins de la moitié des 18-25 ans interrogés a trouvé un logement temporaire chez un membre de la famille ou chez des amis. Un sur cinq se trouve dans un foyer d’hébergement pour sans-abri et 10% en institution. D’autres encore dorment dans des garages, des tentes, etc.

Si l’on compare, les plus de 26 ans sont un peu plus de 8% à vivre dans l’espace public, la proportion chez les jeunes est de près de 4%. "Les jeunes adultes que nous voyons dans l’espace public ne constituent donc que la pointe de l’iceberg", précise les auteurs de l’étude.

Il manque des lieux pour les jeunes, mais tout spécifiquement pour les femmes

Autre différence entre ces catégories d’âges, parmi les plus de 1200 jeunes adultes dénombrés, près de 40% sont des femmes, une proportion supérieure au 30% observée chez les plus de 26 ans. Or, l’étude souligne "qu’il est encore plus dangereux pour elles (les jeunes femmes) de vivre dans la rue, mais que, d’un autre côté il leur est aussi plus facile d’obtenir de l’aide". Martin Wagener ajoute : "Il manque des lieux pour les jeunes, mais tout spécifiquement pour les femmes. Les femmes vivent des situations spécifiques en termes d’hygiène, en termes de propreté, en termes de violences dans la rue".

Notons encore que les jeunes de moins de 26 ans restent généralement moins longtemps à la rue.

Reportage de notre journal télévisé :

Focus sur les revenus

L’enquête de la FRB s’est aussi intéressée aux revenus de ce jeune public sans-abri et sans chez-soi. Il en ressort que plus de la moitié touche un revenu d’intégration sociale du CPAS.

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Que faire ?

Comment prévenir les nombreuses formes de sans-abrisme et l’absence de chez soi chez les 18-25 ans ? Comment s’attaquer à ce phénomène ? Des structures existent, mais elles ne sont pas suffisantes, nous dit-on. Les jeunes, mais aussi les professionnels de terrain proposent dans cette étude des pistes, parmi lesquelles :

  • Une politique familiale et scolaire préventive pour aider les jeunes avant que tout ne bascule. On l’a vu, c’est souvent ici que tout commence.
  • Une approche sur mesure et intensive. Un seul accompagnateur de référence.
  • Donner du temps et des moyens aux professionnels afin de travailler au rythme des jeunes.
  • Développer des structures combinant logement et prise en charge qui sont source de stabilité pour le jeune. Ces lieux doivent aussi laisser la place à l’expérimentation.
  • Proposer des solutions de transition entre l’aide à la jeunesse et l’aide pour jeunes adultes.
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