Tout juste passé de l’autre côté du miroir, Olivier Maroy estime qu’un journaliste est un observateur mais aussi un citoyen. "Rien n’est pire qu’un journaliste qui n’a pas de convictions. Et mes convictions sont là depuis des années. Je ne suis pas allé mendier quoi que ce soit. On m’a fait la proposition d'entrer en politique et j’ai eu envie de devenir un acteur. De construire quelque chose".
Du journaliste important au député "parmi d'autres"
Ce coming-out politique, Jean-Paul Procureur l’a connu il y a longtemps lorsqu’il a quitté l’émission "Cartes sur tables" de la RTBF, pour rejoindre le cdH. "Les gens m’appelaient souvent " 'Cartes sur tables'. A la première campagne, on est porté par les électeurs. Je n’ai pas eu l’impression de subir un changement complet. La politique n’est pas un milieu facile et on passe du statut de journaliste, comme personnage important, à celui de député parmi 150 autres. Mais la politique, c’est aussi la rencontre des gens dans leur quotidien."
"Le MR pose autant de problèmes à la RTBF que le PS avec 'Sans chichis'"
Béatrice Delvaux, Editorialiste en chef au quotidien le Soir reproche principalement aux partis le timing utilisé : "A deux mois des élections, on sait que l’échéance est proche et donc que cela fera plus de bruit. C’est ce qui a créé un sentiment de trahison à la RTBF. Mais partir en politique c'est un très beau geste. Ce n’est pas parce qu’on va dans un parti qu'on est moins propre. Aller se confronter à la réalité par un scrutin c’est courageux. Mais le MR pose autant de problèmes à la RTBF que le PS avec 'Sans Chichis'. Je veux voir ce que deviendra Oliver Maroy après le premier scrutin et qu’il aura perdu un peu de sa notoriété."
Carine Russo, ancienne sénatrice Ecolo n’est pas non plus surprise par ce débauchage, et y voit une preuve de démocratie. "La confusion des genres se situe dans tous les domaines. Comme entre les artistes et la politique. Cette confusion entre politique et journaliste n’est certainement pas la plus vicieuse". Pour l’ancienne sénatrice, ce qui creuse le fossé entre politique et citoyen est que le dernier ne se retrouve plus dans les débats: "On parle sur ce plateau de déontologie, mais c’est un débat qui concerne peu les citoyens."
Benoît Derenne, organisateur du G1000 rétorque qu’il existe d’autres moyens de participer à la vie publique: "La démocratie délibérative exprime l’envie des individus de montrer que le citoyen peut aller plus loin que la démocratie traditionnelle. Il y a d’autres engagements que d’entrer dans un parti."
Une problème déontologique?
Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, déplore le conflit d’intérêt et dit constater qu’en période électorale, les partis ne viennent chercher que des gens de télévision, jamais de la presse écrite. Les journalistes de radio ou de presse écrite se retrouvent davantage dans les cabinets ministériels et à la communication. Il prend l’exemple, à Bruxelles, du correspondant de France Inter Quentin Dickinson qui a annoncé sa candidature à l’Europe, au dernier moment alors qu’il avait pris sa décision depuis longtemps. Jean Quatremer y voit un réel problème déontologique. "Le journaliste politique et la politique ne devraient jamais se mélanger. Cela ne rend pas service à la profession. Les gens vont penser que l’on cherche à aller à la soupe. Même si c’est faux."
Selon lui, les politiques et les journalistes sont les catégories professionnelles les moins respectées par le public. Et pour lutter contre cela, il faut une morale professionnelle inattaquable: "Je m’interdis certaines professions. Chez les Britanniques, il n’y a pas de passage possible, c’est impensable. Il n’y a eu qu’un cas, à la BBC et il n’y aura pas de retour pour lui". Un avis largement contesté. D’abord par Jean-Paul Procureur qui dit ne pas comprendre pourquoi un journaliste ne pourrait entrer en politique. "Cela ferait de lui un sous-citoyen. Mais à son retour, il devrait lui être interdit de faire du journalisme politique."
Ricardo Gutierrez, Secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes estime, lui aussi, que le choix d'Olivier Maroy ne porte pas une ombre sur tout le travail des journalistes de la RTBF. Il regrette qu’on lui ait dit "Casse-toi et ne reviens pas". "Rien dans la loi ou dans la déontologie n’empêche à un journaliste de partir et même de revenir à la RTBF ". Ricardo Guiterrez rappelle que dans d’autres pays, certains sont à la fois journalistes et élus. C’est le cas en France, en Autriche, et en Turquie. Le Code belge, qui ne traite que de la question des campagnes électorales prévoit qu’un journaliste candidat doit éviter toute suspicion de conflit d’intérêt. Ricardo Gutierrez constate que journalistes et hommes politiques tirant tous deux leur légitimité du public, il ne faut pas s’étonner de ce type de transfert. Mais au prix, pour le journaliste, d’une perte de représentativité aux yeux du citoyen.
Robert Rouzeeuw, candidat PS sur les listes régionales à Liège a dû, lui aussi, faire un choix et quitter le combat syndical. "Je suis fidèle au PS, mais on peut ne pas être d’accord avec tout. En sidérurgie, il aurait fallu un front commun politique. Les partis dépensent trop d’énergie à se battre entre eux plutôt qu’à améliorer la vie des gens". Son objectif est de "rattacher la réalité du terrain à la locomotive politique."
Le journaliste doit rester un voyou
Carine Russo l’affirme, faire de la politique c’est déjà s’intéresser à la politique. "J’ai quitté les structures, je ne suis pas adapté à cela. J’ai quitté le parti. Le système n’est plus adéquat. On a moins de possibilités en politique que sur un plateau. "
Pour l’ancien journaliste et homme politique Jean-Paul Procureur, il est parfaitement possible d’être dans une structure et de conserver son indépendance. " Je n’ai pas toujours respecté la discipline de parti. C’est mal vu, mais c’est possible et cela vient de l’esprit critique du journaliste. Ce n’est pas parce qu’on est plus élu que le monde s’écroule " Olivier Maroy ne se sent nullement parachuté dans les travées du parlement wallon: " Je prends un risque. "
Et la plupart des expériences ne sont pas bonnes, commente Béatrice Delvaux qui remarque que, souvent, les transfuges du monde du journalisme doivent se contenter de petites places. "La faute est dans les partis qui, consciemment ou pas, ne gèrent pas bien "l’après" de ces journalistes ou personnalités débauchées. Si la personne conserve trop de son indépendance, ce sera difficile, mais si elle peut personnaliser un dossier, il peut réussir ".
Mais Jean Quatremer rassure: en France le phénomène est bien plus grave. Le journaliste est un voyou qui ne doit pas respecter les règles. C’est parce que le journaliste doit se plier à une discipline que l’expérience politique se termine souvent mal. A vérifier dans quelques années.
Jean-Claude Verset
Les invités de Thomas Gadisseux étaient:
Olivier Maroy, Candidat MR sur les listes régionales en Brabant Wallon
Carine Russo, Ancienne sénatrice ECOLO
Jean-Paul Procureur, Candidat CDH à la Chambre
Robert Rouzeeuw, Candidat PS sur les listes régionales à Liège
Béatrice Delvaux, Editorialiste en chef – Le Soir
Jean Quatremer, Correspondant de Libération à Bruxelles
Ricardo Gutierrez, Secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes
Benoît Derenne, Organisateur du G1000