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Joséphine Baker, une icône entre au panthéon… Mais qui était-elle ?

Joséphine Baker Circa 1925-1930

© 1925 Keystone-France / Gamma-Keystone via Getty Images

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Par J.B. avec agences

Ce mardi, l’icône des années folles, Joséphine Baker, entrera au Panthéon en France. Ça peut sembler anecdotique mais ce n’est jamais que la sixième femme à y faire son entrée. Et c’est la première femme noire et la première Américaine. L’édifice date de la fin du XVIIIe siècle et Joséphine Baker est décédée il y a maintenant 46 ans. Il en aura fallu du temps. Joséphine Baker c’est mille vies en une : star du music-hall en France qui a fait danser tous les mondains parisiens, résistante de la France libre pendant la seconde guerre mondiale, activiste et militante antiraciste et intersectionnelle, rien ne l’a arrêté.

Et oui, parce qu’on pourrait s’en moquer, mais entrer au Panthéon ce n’est pas rien. D’abord on appelle une "panthéonisation". Mot compliqué pour dire des choses simples, des choses inscrites sur la façade du monument : "aux grands hommes, la patrie reconnaissante". C’est donc dans ce lieu que sont honorés les héros nationaux. Il y en a 80, de Victor Hugo à Emile Zola en passant par Marie Curie ou encore Simone Veil. Des héroïnes, avec Bakker, il n’y en a que six.

En grande majorité, les héros du grand récit national sont des hommes d’Etat, des héros de guerre ou des écrivains. Emmanuel Macron a voulu casser les codes en élargissant le profil des personnes "panthéonisées".

"Artiste de music-hall de renommée mondiale, engagée dans la Résistance, inlassable militante antiraciste, elle fut de tous les combats qui rassemblent les citoyens de bonne volonté, en France comme de par le monde […]. Elle est l’incarnation de l’esprit français", a souligné le chef de l’Etat français.

Mais qui était l’icône Joséphine Baker ?

De la ségrégation aux planches parisiennes

Joséphine Baker est née en 1906 dans le Missouri aux Etats-Unis dans une famille particulièrement pauvre. A l’âge de 13 ans, elle est contrainte d’abandonner l’école pour effectuer des travaux domestiques.

J’ai appris par la douleur et la désillusion que j’étais différentes des autres

A cette période aux Etats-Unis, c’est aussi la ségrégation qui fait la loi. Les mouvements pour les droits civiques n’ont pas encore eu lieu. Le racisme est le socle social et la suprématie blanche une pensée courante.

Dans une interview donnée à l’Invité du dimanche en 1962, elle expliquait : "moi je suis née à Saint-Louis, et à l’époque il y avait un grand problème de racisme, disons les choses comme elles sont ! […] Ce n’est pas normal qu’on ait fait apprendre qu’il y avait une différence entre les hommes à cause de leur couleur de peau. Tout ça c’est faux". Et d’ajouter, "j’ai appris par la douleur et la désillusion que j’étais différente des autres".


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Alors après avoir tenté sa chance à New-York, elle embarque pour la France. Elle a été choisie pour mener un spectacle : "la revue nègre".

Et à son arrivée en France, là, tout change pour Joséphine. Elle quitte un pays ségrégationniste pour un autre qui en fait une vedette. Là elle s’étonne que le fait d’être noire ne l’empêche pas de s’accomplir, elle dit en 1962 : "J’ai appris, à ma grande joie que j’étais enfin comme une autre, qu’il n’y avait pas de différence et que j’étais jugée pour ma propre valeur et pas parce que j’étais noire".

Alors il ne s’agit pas de dire que le racisme en France n’existait pas dans les années 1960 mais la France n’était pas régie par un régime ségrégationniste comme ce fut le cas aux Etats-Unis.

Elle n’a alors que 19 ans en arrivant à Paris. Elle en devient la vedette en acceptant avec réticence d’apparaître seins nus. "Si je veux devenir une star, je dois être scandaleuse", justifie-t-elle.

Elle ravit le tout-Paris en dansant le Charleston, seins nus, dans un déchaînement de batterie-jazz. Au cabaret des Folies Bergère, la "Vénus d’ébène" se joue des fantasmes coloniaux en se produisant vêtue d’une simple ceinture de bananes, aux côtés d’une panthère vivante. Elle danse sur des rythmes complètement nouveaux, que les parisiens découvrent et dont ils s’enivrent.

La première chanson qu’elle interprète, "J’ai deux amours, mon pays et Paris", en 1930 au Casino de Paris, la consacre comme diva.

Résistante, activiste, féministe

Joséphine Baker est naturalisée française en 1937. Dans quelque temps, la seconde guerre mondiale va embraser l’Europe. Mais pour l’heure le tout-Paris se presse pour admirer l’artiste.

Quand la seconde guerre mondiale éclate, elle n’hésite pas : elle s’engage dans la résistance. Elle devient le sous-officier Baker et un agent de liaison des renseignements.

Dans ses partitions de musique, les espions inscrivent des messages à l’encre sympathique (encre invisible). Comme l’écrit le monde, celle qui réveillait et révolutionnait la scène parisienne en dansant seins nus dans les grandes salles parisiennes fait désormais passer des informations secrètes dans les armatures de ses soutiens-gorge. Comme on peut le lire dans le Figaro, elle sert même de couverture au chef du contre-espionnage militaire Jacques Abtey"C’est la France qui m’a faite ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle", fait-elle valoir en acceptant de servir le contre-espionnage des Forces françaises libres.

Moi je n’ai fait que ce qui est normal

Et elle ne s’arrête pas là, elle sera même engagée dans l’armée de l’air comme sous-lieutenant et chantera pour les civils comme pour les forces militaires.

Quand la guerre s’achève, le rôle de cet agent chantant des renseignements français est salué. Elle est décorée de la légion d’honneur en 1957 à titre militaire.

Mais, comme son fils Akio Bouillon l’avait dit à l’AFP, elle disait : "moi je n’ai fait que ce qui est normal".

C’était aussi une militante pour les droits civiques aux Etats-Unis. Née sous le régime de la ségrégation où on lui avait appris qu’il y avait des différences entre les noirs et les blancs, elle, a toujours revendiqué qu’il n’y avait qu’une seule race, "la race humaine". Le 28 août 1963, à Washington, lorsque Martin Luther King prononce son fameux discours I have a dream, Joséphine Baker est parmi les participants… Et elle porte un costume militaire français, comme l’écrit The conversation. Cette marche pour les droits civiques des Noirs américains fut le "plus beau jour de sa vie", confiait la star.

Et après un premier retour horrible aux states en 1948, où la ségrégation règne encore, elle revient pour une tournée au début des années 1950 où elle impose de ne jouer que dans des endroits qui acceptent les gens de toutes les couleurs, même son équipe technique vient de tous les horizons, raconte le média. "Ma mère était une idéaliste qui voulait prouver que la fraternité universelle n’était pas une utopie", a résumé son fils Brian Bouillon-Baker sur France Inter.

Joséphine Baker participe au combat contre le racisme en France comme dans son Amérique natale.

Un combat qu’elle mène aussi quand elle fonde sa famille. Avec son dernier mari, le chef d’orchestre Jo Bouillon, épousé en 1947, elle adopte douze enfants de cultures et d’origines différentes, venus du monde entier, sa "tribu arc-en-ciel" afin notamment de prouver qu'"il n’y a qu’une race humaine".
 

Une cérémonie en grande pompe ?

Les hommages qui seront rendus, ce mardi, à cette icône des années folles sont assez impressionnants. Une station du métro parisien sera renommée en son honneur : il s’agit de la station Gaîté sur la ligne 13 qui s’appellera désormais la station Joséphine Baker-Gaîté.

C’est aux alentours de 17 heures que la cérémonie commencera à Paris. Pour l’occasion, 2000 personnes sont attendues dont beaucoup d’enfants.

Ce n’est pas la dépouille de Joséphine Baker qui fera son entrée au Panthéon. La famille de l’artiste a souhaité que cette dernière reste à Monaco où elle est enterrée auprès de son mari et de l’un de ses fils notamment.

C’est donc un cénotaphe qui entrera au Panthéon. Il sera porté par six militaires de l’aviation en hommage à celle qui s’était engagée dans l’armée de l’air. Le cortège résonnera au son de sa chanson "Paris me revoilà".

Au panthéon, elle reposera aux côtés de Maurice Genevoix, soldat et écrivain de la seconde guerre mondiale.

Et de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, l’empire state building à New York, sera illuminé aux couleurs du drapeau français (qui sont les mêmes que le drapeau américain) pour rendre hommage aux "deux amours" de Joséphine.

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