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Joko, l'électro-pop rêveuse et organique

©  Ugo Richard

Par Diane Theunissen via

Il y a quelques semaines, Iris de Napoli alias Joko revenait en grandes pompes sur le devant de la scène parisienne avec un deuxième EP, I’ve Never Been Good With Words. Sur cet opus de cinq titres mêlant douceur, puissance et profondeur, la chanteuse renforce son propos et se livre avec pudeur par le biais de textes pointus, riches en images et en métaphores. Rencontre avec une artiste solaire et singulière.

©  Ines Karma

Hello Joko ! Tu as sorti ton deuxième EP I’ve Never Been Good With Words en janvier dernier. Qu’est-ce que ce projet représente pour toi ?

C’est tout d’abord un projet qui a été pas mal repoussé, surtout à cause du COVID-19. Ça faisait un petit moment qu’il était prêt ! Du coup j’étais trop contente de pouvoir enfin le sorti. C’est le deuxième EP de toute ma vie : Loon c’était vraiment mon premier essai. Avec I’ve Never Been Good With Words, j’ai essayé de proposer autre chose. J’ai fait pas mal de concerts avec le premier EP donc j’ai pas mal appris de la scène aussi. J’ai l’impression d’arriver avec quelque chose d’un peu plus mature, où j’exprime d’autres choses aussi. Je suis très contente !

Sur cet EP, tu fais différentes propositions musicales : on passe de “The Knight”, un morceau posé avec une ambiance solennelle et presque chic à des titres comme “1000” et "Mood" qui sont plus dynamiques. Quel est le fil conducteur du projet ?

Dans tout ce que je fais, j’essaye d'exprimer la dualité des choses et la complexité des êtres humains en général. Donc j’aime bien le fait qu’on puisse passer par plusieurs états en écoutant l’EP, même si c’est assez court au final. Mais justement, j’aime bien l’idée de n'avoir que cinq morceaux. J'aime bien que chaque morceau soit différent et amène une couleur différente. Je me sens comme ça dans la vie, je passe pas mal du rire aux larmes et je pense qu’on est tous un peu comme ça. 

Peux-tu nous donner un élément caractéristique de ta musique ?

Je pense que c’est ma voix. Sur cet EP et même sur le premier, il y a pas mal de synthés, mais par exemple "Mood" c’est une balade guitare voix. Puis "Call Me Back For More..." c’est carrément un combo guitare acoustique voix. Je crois vraiment que c’est ma voix. Comme pour chaque être humain, c’est la voix qui reste. Après, on passe par pleins d’humeurs, par différentes phases de notre vie. J’aime bien. Et en même temps je n'ai pas trop le choix, je n’ai qu’une voix (rires). 

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Tu sortais ton premier EP Loon en 2018. Comment ce nouveau projet diffère-t-il du précédent ?

Alors, c’est hyper personnel, mais moi mon premier EP je le trouve un peu scolaire. C'est comme si je me posais la question "OK, je commence la musique, comment on fait?". Ce sont les morceaux que j’ai écrits, du coup il y a une certaine distance, dans l’écriture aussi. C’est un EP où je parlais plus de ce que je pouvais observer. Je pense qu’il y a une timidité dans l’écriture et puis même vocalement, puisque c’était la première fois que je m’enregistrais. C'est un premier essai, un premier jet. Pour ce deuxième EP, je pense que j’étais plus à l’aise, même pour chanter. C’est un moment de ma vie où j’ai eu besoin d’écrire sur moi, alors que sur Loon je me cachais derrière l’idée d’écrire sur les autres. Je pense qu’on fait tout ça, le fait d’observer les autres, comment les autres se comportent, etc. Sur I’ve Never Been Good With Words je suis allée beaucoup plus à l’essentiel. C’est marrant, ce qui est différent mais ce qui lie un peu les deux aussi, c’est que je me planque quand même derrière pas mal d’images. Mais ça c’est mon caractère, puis peut-être que mon écriture évoluera au fur et à mesure. Je reste assez timide dans ce que je dévoile, même si certaines chansons sont assez claires. J’aime bien utiliser des images pour parler des sentiments parce que je trouve ça beau, et plus facile. 

C’est quelque chose qui m’a frappée quand j’ai écouté ton projet : on sent que tu te livres, c’est très introspectif. Est-ce que le fait de t’accompagner de tout cet univers sonore t’aide à communiquer tes émotions ? 

Totalement. Avant d’écrire mon deuxième EP, je suis passée par une phase de ma vie où je me suis rendu compte – et assez tard, ça a été une surprise – que j’avais du mal à communiquer, dans la vie en général. Pourtant je suis quelqu’un d’assez bavard et sociable, donc je ne me voyais pas du tout comme ça. C’est après une relation qui m’a bien fait galérer que je me suis dit “OK, j’ai vachement de mal à communiquer sur mes sentiments”. Et pareil, la musique j’en ai fait assez tard, j’avais hyper peur d’en faire. J’ai souvent ce même rapport quand les choses me tiennent très a coeur, j’ai du mal à chanter – maintenant ça s’est débloqué – soit à dire les choses. Cet EP m’a permis de dire tout ce que je n’avais pas dit, tout ce que je n’ai toujours pas dit d’ailleurs (j’arrive parfois à le faire des semaines après, par message, etc). Tout ce que j’avais gardé pour moi pendant deux ans, j’ai enfin réussi à l’écrire. C’était hyper libérateur. Je pense que j’en avais vraiment besoin, il fallait que ça sorte d’une façon ou d’une autre. Et même si ce n'était pas directement communiqué à la personne concernée, ça m’a fait du bien. Et puis le chanter aussi, même si je pense qu’il y a une certaine pudeur aussi parce que je chante en anglais, qui n’est pas ma langue. 

J’allais y venir ! 

J’aime chanter en anglais, c’est clairement un lien avec toute la culture musicale que j’ai : je n'écoute que de la musique anglophone, depuis toujours. Depuis que je suis enfant. Mes souvenirs musicaux, enfant, étaient en anglais même si mes parents détesteraient que je dise ça parce qu’ils m’ont aussi fait écouter de la musique en français (rires). Mais je me souviens des voyages en voiture avec mes parents, on écoutait The Beatles, Janis Joplin, The Doors. Et c’est la musique que j'ai continué à écouter ado. La musique ça m’a toujours fait rêver, depuis l’enfance. J’ai mis vachement de temps à m’y mettre, et du coup c’est resté un rêve pendant très longtemps. C’est un rêve que j’ai leurré pendant très longtemps en m’imaginant sur scène : je m’achetais des tenues de concert alors que je ne faisais pas de concert, j’écrivais des paroles, etc. L’anglais c’est aussi une langue qui fait partie de l’imaginaire et du rêve : c’est mes chanteurs et chanteuses préférées, c’est mes films préférés, c’est les stars qu’on adule, elles sont toutes anglaises, américaines, etc. Quand je me suis mise à écrire des paroles, c’était naturellement en anglais. 

©  Ines Karma

As-tu été influencée par une personne ou un évènement en particulier ?

Clairement, cette histoire d’amour horrible m’a beaucoup influencée lors de l’écriture de cet EP. Ça a été un gros élément déclencheur. Musicalement, je pense qu’à l’époque j’ai énormément écoute James Blake, que j’ai découvert assez tard : je suis assez lente pour découvrir les artistes, et surtout les artistes dont tout le monde parle. J’ai l’esprit de contradiction ! Je me dis “Ouais c’est bon, tous les gens qui font de la pop électro écoutent James Blake” (rires). J'ai finalement commencé à écouter, et je suis totalement tombée amoureuse de tous ses albums. À cette période-là, c’est principalement James Blake qui a influencé l’écriture de l’EP. Je suis un peu mono-maniaque quand je découvre des artistes, j'écoute leur musique tout le temps. En plus comme j’étais en retard, j’avais plein d’albums à rattraper. C’est marrant parce que ça m’a fait exactement la même chose avec Balthazar que j’ai découvert il y a un an et demi alors que ça fait 15 ans qu’ils font de la musique. Et vu qu’il y a Warhaus, j’avais vraiment 7 albums à disposition. J’ai écouté ça pendant un an (rires). 

Comment est-ce que tu expliquerais ce que tu fais à quelqu’un qui n’a jamais écouté ta musique ?

C’est souvent ce que je dois faire parce que forcément, les gens me posent souvent cette question et je suis super nulle pour y répondre. Il faut vraiment que je m’entraine devant le miroir (rires). Je vois ça comme un projet hyper personnel, un journal intime. Même si je sais que c’est une musique qui peut paraitre assez pudique ou chic – il y a aussi une certaine distance – mais pour moi c’est hyper honnête avec ce que je suis et c’est ce que j’aime avec mon métier : c’est le fait d’être tout à fait transparente, même si c’est avec ma pudeur. C’est une pudeur que j’ai dans la vie donc il y a quelque chose d’organique et hyper sincère. Je dis toujours que je fais de la pop parce que j’écoute de la pop depuis que je suis enfant, et que ça regroupe énormément de choses – surtout aujourd’hui ou les styles se mélangent énormément. Mais pour moi, la pop c’est avant tout de la chanson : c’est l’idée de faire une chanson que les gens puissent retenir, que les gens puissent chanter, et qui ait des codes assez universels. Même si des artistes comme James Blake ou Rosalía peuvent compliquer ces codes-là, en chercher d’autres, les peaufiner, il y a quand même quelque chose d’universel et d'accessible. J’aime beaucoup cette idée-là, que ça puisse parler à plein de gens, de tout âge, venant de plein de pays différents. C’est quelque chose qui me plait énormément. 

En suivant cette optique de sincérité, tu te permets aussi d’évoluer, de suivre ton instinct et qui sait, d’aller vers autre chose la prochaine fois. 

Exactement. C’est ce que je trouve passionnant dans la musique, il n’y a aucune barrière. Là j’ai commencé à enregistrer mon prochain EP, et c’est un peu plus acoustique, un peu plus rock, un peu plus indé que ce que j’ai fait jusqu’à présent. Et je trouve ça trop bien que ça puisse suivre ma vie et mes états d’âme sans avoir de règles précises. 

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Cette vibe acoustique, on la retrouve déjà dans I’ve Never Been Good With Words. N'est-ce pas ?

Carrément. Et pareil sur le premier EP. À chaque fois, les derniers morceaux sont des démos hyper rough. Il n’y a pas vraiment de prods dessus, on les mixe assez légèrement. Et sur scène, j’ai décidé d’avoir un groupe. J’ai un saxophoniste, un guitariste, un batteur. Je vais faire mon premier concert à Bruxelles le 30/04 au KFK, on va être en guitare-voix. Je me suis posée beaucoup de questions, mais j’aime trop l’idée d’être totalement à nu. C’est un challenge aussi, et j’aime beaucoup les challenges. J’ai fait un concert récemment en saxophone-voix, c’est encore plus expérimental (rires). 

C’est donc ton premier concert à Bruxelles ?

Oui, premier concert à Bruxelles ever ! Justement, à force d’écouter plein de projets belges je me suis dit que je préférais les artistes belges aux artistes français. Je ne devrais pas dire ça mais comme je suis en Belgique, ça passe (rires). C’est fou, il y a un nid belge que je trouve incroyable musicalement, les artistes ont des niveaux assez dingues. Je pense notamment à toute cette team Balthazar, Warhaus, Sylvie Kreusch dont j’ai fait la première partie à Paris. Elle est incroyable, j’étais choquée. Il y a Tamino aussi, que j’ai vu en concert que j’ai trouvé tellement puissant, tellement doué. Il y a quelques mois j’ai rencontré Yellowstraps qui est hyper fort, que j’ai aussi vu en concert à Paris. En Belgique, je trouve qu’il y a un niveau musical hyper impressionnant, et un amour de la musique, un amour des instruments ! En France, je trouve qu’il y a moins ça malheureusement. La musique populaire, je la trouve moins riche à ce niveau-là. 

Tu as une connexion particulière avec le groupe The Do. Quelle a été leur implication au sein de ta carrière ?

C’est un groupe que j’ai écouté pendant pas mal d’années, c’est le groupe qui m’a donné envie de faire de la musique. Je les ai vus en concert à Londres un peu par hasard, je ne connaissais pas vraiment le projet. Ça m’a totalement terrassée, j’étais "sur le cul" comme on dit. Ils ont une liberté impressionnante. Quand j’ai commencé à faire de la musique, le père de mon ex m’a dit “mais de toute façon tu fais de la musique mais tu ne l'envoies à personne”. Ça m'a fait réagir, je me suis dit “OK, je vais envoyer ma musique à des gens du coup!”. J’étais hyper timide, je n'avais montrée m'a musique qu'à mes parents et aux parents de mon ex. Du coup je l’ai envoyée à The Do, sur leur page Facebook en me disant que peut-être ils allaient l'écouter. Ils ont lu mon message, ils ont répondu, et tous les premiers morceaux que j’ai enregistrés, je leur envoyais. 

Tu as eu droit à une sorte de mentorat de leur part !

Oui, tout particulièrement de la part de Dan Levy. Ça m’a donné vachement de confiance : je commence tout juste ce projet-là et une des personnes que j’admire le plus me répond et m’encourage ! Ça m’a vraiment motivée. C’est quelqu’un qui a ce rapport avec pas mal d’artistes émergents, qui a cette curiosité. Je ne sais pas si ça a été déterminant parce que j'avais de toute façon envie de faire de la musique, mais en tout cas je me suis sentie plus légitime. J’ai aussi envoyé ma musique au label Pain Surprise, qui m’ont aussi répondu ! J’ai pris ça comme un signe, je me suis dit qu’il fallait que j’aille vivre à Paris, que je me lance. 

©  Ines Karma

Comme quoi, il y a une belle entraide à Paris.

Oui, carrément. À Bruxelles, j’ai l’impression qu’il y a une entraide encore plus forte. J’ai été hyper marquée par ça. Mais je pense que c’est hyper facile de critiquer les situations dans lesquelles on est : moi je suis la première à me dire qu’il n’y a pas d’entraide à Paris, mais c’est faux. J’ai rencontré plein d’artistes depuis que je vis à Paris et il y a plein d’artistes que j’adore. Les artistes que j’aime et avec qui je m’entends, il y a un truc hyper fort avec eux. Quelque chose de très sincère. 

Est-ce que tu aimerais faire des collaborations à l’avenir ?

Ce qui est toujours un peu compliqué c’est que je chante en anglais, et il n’y a pas tant d’artistes que ça qui chantent en anglais. C’est pas trop à la mode en ce moment. Ma mère m’a toujours dit que j’avais le symptôme de “l’herbe est plus verte ailleurs”. C’est vrai, je me dis toujours qu’à côté c’est mieux (rires). Je n'ai pas encore eu l'occasion de faire des collabs mais par contre je collabore avec des producteurs, et avec des musiciens sur scène aussi. J’ai fait une release party à Paris et j’ai invité plusieurs amis artistes dont KALIKA. Elle va venir en Belgique, j’en suis sûre : son projet est trop bien. Couturier aussi qui est un ami hyper cool, Carl, une fille qui chante trop bien, et Valentin Ramos de Balm. Pareil, je pense que Balm ils kifferaient trop venir à Bruxelles ! Ils sont tous venus à ma release faire des feats, c’était trop bien. J’aime trop l’idée de travailler en collectivité, je trouve ça hyper précieux. 

À l’intersection du rêve et du réel, Joko nous propose un projet intime et organique, élevé par les synthés électrisants, les guitares douces, les beats groovy et son timbre de voix grave à couper le souffle. Venez découvrir I’ve Never Been Good With Words demain soir en live au KFK ! 

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