Belgique

Jeudi en Prime : le Président du Comité R regrette le manque de moyens des services de renseignements

Par Jean-François Noulet

Serge Lipszyc, le Président du Comité R, était l’invité de l’émission Jeudi en Prime, ce jeudi après le Journal Télévisé sur la Une. Le Comité R est l’organe qui contrôle les deux services de renseignements en Belgique, soit la Sûreté de l’Etat du côté civil et le SGRS, le Service Général du Renseignement et de la Sécurité, du côté militaire. Le SGRS, c’est précisément le service qui est dans la tourmente depuis la fuite de Jürgen Conings, ce militaire qui a disparu des radars au début de la semaine dernière et dont il est apparu qu’il était proche de milieux extrémistes. Du côté de la Défense, on a déjà reconnu que des erreurs avaient été commises du côté du SGRS, car Jürgen Conings avait déjà été repéré par le service de renseignement. Le Comité R devra enquêter sur le rôle joué par le SGRS.

Dans un mois, le Comité R remettra son rapport

Alors que la Défense a fait son mea culpa, reconnaissant des erreurs au sein du SGRS, le Comité R va, comme l’explique son Président, Serge Lipszyc, analyser "l’histoire, entre 2015, le moment où l’intéressé rentre dans les banques de données jusqu’à la veille où il va vouloir passer à l’acte" et voir "étape par étape, tout ce qui a été fait et qui n’a pas été fait" en entendant toutes les personnes qui ont joué un rôle dans le dossier de Jürgen Conings, pour ensuite tirer les conclusions.

Que s’est-il passé, par exemple, lorsque l’OCAM, l'​Organe de coordination pour l’analyse de la menace, un organisme qui reçoit toutes des informations des services d’appui, évalue la menace que représente Jürgen Conings et prend la décision, le 17 février de mettre au niveau 3 l’intéressé ? Serge Lipszyc explique que cette information est alors détenue par deux groupes, "un groupe fonctionnel 'extrême droite' dans lequel il y a tous les partenaires, et une taskforce locale du Limbourg. Ce jour-là, dans les deux services, dans la taskforce du Limbourg, le 24 février, comme dans le groupe 'extrémisme de droite' au sein de l’OCAM, il y a toute une série de partenaires. Qu’est-ce qu’on fait ? Qui fait quoi ?", s’interroge Serge Lipszyc. En espérant que le rapport du Comité R apporte la réponse le 30 juin.

"Il y a des problèmes" au niveau des services de renseignements

L’OCAM avait placé Jurgen Conings en niveau de menace 3, sur une échelle de 4. Comment expliquer que cette information n’ait pas atteint le sommet de la hiérarchie du renseignement militaire, le SGRS ?

Le SGRS est en plein changement depuis des années, rappelle le patron du Comité R. Dans le passé, l’organe de contrôle avait été sollicité par les ministres de la Défense pour procéder à des audits externes. Il était apparu toute une série de non-fonctionnement et le Comité R avait suggéré des réformes de management. La structure du SGRS a donc été transformée en janvier 2020. La mise en œuvre de la réforme est toujours en cours. "Je ne dis pas qu’il n’y a pas des fautes, mais il faut le prendre dans ce contexte de transformation", explique Serge Lipszync. Celui-ci rappelle que depuis des années, son Comité interpelle les ministres et le parlement pour souligner la présence de problèmes au sein du SGRS. "Des problèmes fonctionnels, des problèmes d’investissement, un problème d’objectif", précise le Président du Comité R.

En fait, ce sont tous les services de renseignements qui manquent de moyens.

Il n’y a, par exemple, pas de banque de données commune aux services de renseignements, comme l’a relevé la Commission "attentats" en 2017. "Nous avons eu le cas d’une personne qui travaillait dans la zone sécurisée de Zaventem. Pendant quatre ans, elle a pu travailler sans la moindre difficulté alors que l’on savait qu’elle était la compagne d’un des coauteurs présumés des attentats de Bruxelles", rappelle Serge Lipszyc.

Pour lui, il faut investir dans la sécurité et prendre des mesures. "La Sûreté de l’Etat reconnaît être capable de suivre au quotidien 20% des dossiers qu’elle a suivis. Le SGRS, à l’heure d’aujourd’hui manque 20% de son personnel", une situation qui n’est pas nouvelle, explique le Président du Comité R. Ïl estime qu’il est "possible de faire mieux" et que la sécurité n’est pas plus et moins importante que la Santé".

Pourra-t-on comprendre comment et pourquoi Jürgen Conings en est arrivé là ? "L’homme n’est pas un Robin des Bois. C’est pas un Rambo. L’homme a été formé et effectivement, un certain nombre d’individus passent à l’acte. C’est la réalité". "Je ne peux pas comprendre non plus que 40 ou 50.000 personnes voient en lui quelque chose de beau ou magnifique", ajoute Serge Lipszyc.

Peut-on avoir confiance en la hiérarchie de la Défense ?

"J’ai confiance, on a confiance", répond Serge Lipszyc. "Parmi 25.000 membres de la Défense, il y a certainement un petit groupe, comme dans toute société, toute entreprise", ajoute Serge Lipszyc qui explique avoir "interpellé les différents responsables". Il faut, selon lui, s’inquiéter de la "banalisation de l’extrême droite, un véritable problème, une gangrène de la société qui existe depuis des années". Est-ce un problème de l’armée ? "Certainement pas, c’est toute la société. Il y a une banalisation au quotidien de ce que peut représenter l’extrême droite. On le voit par le discours et la réaction de la classe politique et du monde en général", répond le patron du Comité RMercredi, en commission de la Défense, un député s’interrogeait sur une certaine forme de "complaisance" au sein de l’armée, vis-à-vis de l’extrême droite. "Je pense aujourd’hui qu’il y a des sensibilités différentes et que l’on peut penser que la barre n’est pas placée pour tous à la même hauteur", estime Serge Lipszyc.

"Il y a un désinvestissement de l’Etat" alors qu’il y a des menaces

Le Président du Comité R rappelle qu’en 2017, aucun accord politique n’a été trouvé sur la question du regroupement des services de renseignements. Serge Lipszyc estime que cela ne permettrait pas forcément de faire mieux. Il faut d’abord "donner les moyens qui sont nécessaires". "Les systèmes d’informatisation, de digitalisation sont archaïques. Il n’y a aucune connexion entre les différentes banques de données. Il n’y a aucun système sécurisé permettant aux services de renseignement de pouvoir dialoguer, pas de GSM, pas de systèmes permettant de travailler à domicile", regrette Serge Lipszyc pour qui il y a un "désinvestissement de l’Etat".

On peut s’inquiéter des sectes, de la grande criminalité, mais "à Bruxelles, au même moment, il y a des espions, de la volonté d’ingérence. Il n’y a pas qu’une seule forme de menace, mais elle est voilée, on n’en parle pas", constate le patron du Comité R.

Serge Lipszyc rappelle qu’en Belgique vivent des personnes issues de nombreuses communautés. "Il y a potentiellement des opposants, potentiellement un besoin de savoir, de peut-être contrôler ces communautés". Il y a une multitude de services étrangers qui procèdent soit à de la manipulation, soit à de la menace", analyse Serge Lipszyc. Devant cette multitude de menaces, faute de moyens, les responsables des services de renseignements doivent "faire des choix".

Il espère, dès lors, que sa voix portera et qu’il y aura "un autre demain".

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