Belgique

Jeudi en Prime : Franchiser les magasins Delhaize, une "régression" pour le Setca, "l'avenir" pour l'UCM

© RTBF

Par Jean-François Noulet

Un face-à-face était à l’affiche de l’émission Jeudi en Prime, sur la Une pour discuter de l’actualité chez Delhaize.

D’un côté, Myriam Delmée, la Présidente du Setca, avait affûté ses arguments pour critiquer la décision de Delhaize de confier à des franchisés, c’est-à-dire des indépendants, la gestion de ses 128 magasins.

De l’autre côté, Pierre-Frédéric Nyst, Président de l’UCM, l’Union des Classes Moyennes, avait lui préparé la défense de ces franchisés appelés par Delhaize à reprendre les supermarchés.

Le passage des supermarchés Delhaize sous franchise est-il une régression ?

Première à répondre à cette question, Myriam Delmée, du Setca qualifie cette décision de "régression sociale". Pour elle, Delhaize "déverse son passif social dans d’autres entreprises, en l’espèce des indépendants". "Quoi qu’on en dise, tous les emplois ne vont pas passer chez les franchisés", estime-t-elle. Et pour les employés qui iront travailler pour un franchisé, "c’est un nouveau monde qui s’ouvrira", affirme la syndicaliste. "Après le passage sous franchise, on aura nécessairement des régressions dans les conditions d’emploi", ajoute-t-elle, faisant référence au fait qu’après six mois, le franchisé pourra dénoncer les conventions d’entreprise. "Or, chez Delhaize, elles sont nombreuses", explique Myriam Delmée qui ne croit pas les discours tels que "ne vous inquiétez pas, tout le monde va pouvoir passer chez les franchisés et rien ne changera".

En face Pierre-Frédéric Nyst, Président de l’UCM, parle de "procès d’intention". Il rappelle le "choix qui a été posé par Delhaize" qui, dans un contexte de "marché tendu" veut "faire appel à ceux qui connaissent le mieux le métier". "Et aujourd’hui, les résultats sont là, ils sont du côté des franchisés", ajoute Pierre-Frédéric Nyst.

Pour lui, "la société a évolué". "Il y a des gens qui demandent que les magasins soient ouverts le dimanche. Il y a des travailleurs qui demandent à travailler le dimanche, c’est une réalité", oppose le patron de l’UCM à la Présidente du Setca.

Pour Pierre-Frédéric Nyst, "on doit s’interroger et revoir le modèle, ce qui est difficile". "On doit vivre avec notre temps", ajoute-t-il.

La franchise : le supermarché de demain ?

La franchise est-elle l’avenir des supermarchés ? C’est non pour Myriam Delmée du Setca. "Je lis dans la presse que 600 supermarchés, dont des franchisés, sont au bord de la faillite et qu’un indépendant sur trois serait dans des difficultés financières", argumente-t-elle. "Donc je ne sais pas si c’est l’avenir", ajoute-t-elle.

"Vous ne me ferez pas dire que l’avenir, ce sont les habitudes du consommateur sans qu’on y mette jamais aucune limite", poursuit Myriam Delmée en faisant référence aux heures et jours d’ouverture différents pour les franchisés que pour les supermarchés intégrés, notamment l’ouverture de ces magasins le dimanche.

Mais, dit-elle, "si demain on a les mêmes conditions dans le commerce, qu’on a une représentation collective partout, que tout va bien dans le meilleur des mondes, que ça s’appelle Delhaize ou que ça soit le franchisé du coin, pour moi, c’est égal".

En face, Pierre-Frédéric Nyst défend la manière dont les franchisés traitent leurs salariés. "Je rencontre aussi des travailleurs qui ont travaillé dans des magasins intégrés, qui travaillent maintenant chez des franchisés et qui disent qu’il y a beaucoup d’avantages", explique-t-il.

Et de citer, selon lui, les avantages des magasins franchisés. "Vous avez un patron qui est un chef d’entreprise, que vous pouvez rencontrer. Il y a une proximité qui est beaucoup plus importante", argumente Pierre-Frédéric Nyst. "Cela permet de désamorcer beaucoup de problèmes, beaucoup de conflits quand on travaille dans des petites équipes", ajoute-t-il.

Pour le patron de l’UCM, les travailleurs des magasins franchisés n’ont pas un statut précarisé. "Il y a des témoignages qui disent nous avons également un treizième, voire un quatorzième mois", explique-t-il. "Il faut arrêter de dire que c’est une régression. Ce sont des procès d’intention", ajoute Pierre-Frédéric Nyst.

"Qu’il y ait des indépendants qui payent un treizième mois, qu’il y ait des indépendants qui mènent leur barque convenablement, qui sont de vrais entrepreneurs, vous ne m’entendrez pas dire le contraire", se défend Myriam Delmée. Mais pour elle, par rapport à la problématique de Delhaize, il faut "aligner les arguments qui sont objectifs et juridiques". Et pour elle, objectiver les choses, c’est rappeler que chez Delhaize, il y a "une tradition de concertation sociale, où des avantages ont été négociés et qui peuvent disparaître moyennant un préavis de six mois".

 

Des risques que tous les 9000 salariés de Delhaize ne soient pas repris par les franchisés ?

Et puis, selon la syndicaliste, rien ne dit que tout le monde sera repris. "Vous allez m’expliquer quel indépendant va reprendre un directeur de magasin, qui va reprendre un adjoint, qui va reprendre des bouchers là où les boucheries sont exploitées par des sous-traitants ?", interroge Myriam Delmée. Et d’interpeller le patron de l’UCM : "Vous allez regarder les travailleurs dans le blanc des yeux, comme essaye de le faire Delhaize, en leur disant qu’il n’y aura de risques pour personne".

"Je n’ai pas de boule de cristal", répond Pierre-Frédéric Nyst. "Je ne peux pas vous garantir qu’il y aura 100% de maintien de l’emploi, ni dans Delhaize si c’était toujours le système des intégrés, ni au niveau des franchisés", ajoute-t-il.

"Personne ne peut le dire, le marché est compliqué aujourd’hui", estime le patron de l’Union des Classes Moyennes, rappelant la nécessité de "travailler en tenant compte aujourd’hui des souhaits de la société" et de "s’adapter".

Et s’adapter, pour lui, "c’est peut-être de regarder si ce qu’il y a dans certaines commissions paritaires pour les intégrés est encore aujourd’hui d’actualité en tant que tel". Et, dit-il à la Présidente du Setca, "vous refusez de voir la réalité".

Jusqu’où ira le conflit chez Delhaize ?

Comment va évoluer le conflit chez Delhaize ? Les derniers conseils d’entreprise n’ont pas permis d’ouvrir des portes. La direction du groupe campe sur ses positions alors que les syndicats réclament un retrait du plan. Jusqu’où ira le conflit ? "Jusqu’à ce que Delhaize ouvre des portes à la négociation", répond Myriam Delmée.

Avec un risque de conséquences pour les magasins franchisés, notamment en termes d’approvisionnement ? "Chacun exerce son droit de grève", répond Myriam Delmée. "La violence, c’est la violence de Delhaize qui met 9200 travailleurs à l’affiche. Ne venez pas nous dire que notre réaction est disproportionnée. On a des gens qui voient leur vie brisée", poursuit Myriam Delmée. "On est en à plusieurs tentatives de suicide depuis l’annonce. Et tous les jours Delhaize remet de l’huile sur le feu", ajoute-t-elle.

Par rapport au risque d’approvisionnement des magasins franchisés suite au blocage des dépôts ou à la grève du personnel des dépôts, le Président de l’UCM réagit. "Il y a des franchisés qui attendent d’être livrés", "Je reçois des messages de franchisés qui disent, s’il y a un blocage, ce sont nos business models qui sont remis en cause", explique Pierre-Frédéric Nyst.

 

Autre enjeu du conflit chez Delhaize, l’absence de représentation syndicale chez les franchisés ?

Le refus des syndicats du plan de Delhaize de faire passer les magasins sous franchise s’explique-t-il aussi par le fait que les syndicats seraient largement exclus des futurs magasins franchisés, puisque la législation sociale ne prévoit de délégation syndicale qu’à partir d’un certain nombre de travailleurs et que la plupart des commerces franchisés seraient en dessous de ce seuil ?

"Ce qui me dérange, c’est qu’on va avoir des travailleurs qui vont se retrouver seul face à l’arbitraire de leur employeur", répond Myriam Delmée, du Setca. Elle fait alors référence aux conventions qui régissent les relations entre les salariés et leur employeur dans les magasins intégrés du groupe Delhaize, "c’est-à-dire des droits et des obligations collectives, attribués automatiquement" qui n’existeraient plus une fois que les travailleurs seront passés sous franchise. "Il y a certainement de bons indépendants qui vont trouver des solutions, mais si en face de moi, j’ai un cow-boy, l’automaticité de ma convention collective va me protéger", argumente Myriam Delmée.

Pour l’UCM, Pierre-Frédéric Nyst demande qu’on ne parle pas de "régression". Ce sont "des procès d’intention", déclare-t-il. Selon lui, les indépendants, les employeurs qu’il représente disent "on n’a pas besoin d’avoir des délégations syndicales". "Madame traite les indépendants de cow-boy, moi je vais traiter les délégations syndicales de cow-boy aussi", rétorque le patron de l’UCM.

Selon Pierre-Frédéric Nyst, les indépendants, les franchisés "ont des mécanismes où on peut désamorcer les conflits parce qu’on a la possibilité de rencontrer le personnel en permanence". "Et ça, ça ne correspond pas au business model des syndicats", poursuit-il.

 

Quel avenir pour le commerce et la distribution ?

Quel sera le modèle de magasin s’imposera à l’avenir ? Que faudrait-il changer ?

Pour la Présidente du Setca, il faut "une discussion en amont sur l’avenir du commerce dans sa globalité". Selon elle, il y a plusieurs problématiques, "les commissions paritaires, l’e-commerce, les implantations commerciales, leurs régulations, le trop grand nombre de magasins, les habitudes du client". Et de plaider pour l’organisation d’une grande table ronde pour discuter de tout cela. "Jusqu’à présent, les organisations patronales ont toujours refusé", explique Myriam Delmée qui plaide pour une discussion au niveau sectoriel.

"Je ne sais pas quel est le magasin de l’avenir, bien sûr qu’on a des idées", répond Pierre-Frédéric Nyst. "Aujourd’hui, ce sont des PME, ça, c’est l’avenir. C’est ce que nous pensons", argumente-t-il. "C’est-à-dire des gens qui créent leur emploi, qui créent l’emploi d’autres, qui ont un siège social en Belgique, qui ne se délocalisent pas", poursuit-il. "Et le fait de travailler avec des franchisés, qui sont des patrons locaux, il y a cet ancrage local", continue le patron de l’UCM. "Mais apparemment, les syndicats ne veulent pas de ça", ajoute-t-il, en conclusion d’un débat aux propos assez musclés, mais cordiaux.

 

Jeudi en Prime

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