Jérusalem-Est : Les risques d'expulsion de familles palestiniennes à Sheikh Jarrah rappellent que le cessez le feu entre Israël et le Hamas est bien fragile

Un manifestant agite un drapeau palestinien dans le centre de Johannesburg, le 23 mai 2021

© MICHELE SPATARI - AFP

Le fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas n’empêchent pas les affrontements de se poursuivre dans le quartier palestinien de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, aux abords de la vieille ville. Des policiers israéliens ont chassé samedi des manifestants venus dénoncer le barrage que les forces de l’ordre ont installé pour contrôler le passage à l'entrée du quartier. Des barrières de métal et des blocs de béton empêchent désormais les palestiniens d’y circuler librement, tandis que les riverains sont soumis à des contrôles stricts. "Les habitants juifs peuvent passer sans problème !", déplore l’un des riverains.


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Depuis le 3 mai, les manifestations de soutien à des familles palestiniennes menacées d’expulsions par des colons israéliens, sont quasi-quotidiennes à Sheikh Jarrah, entrainant parfois des violences. Quatre familles - vingt-sept personnes au total – risquent l’éviction dans une affaire qui a été jugé en première instance, en début d’année. Le tribunal de Jérusalem a estimé que ces familles vivaient illégalement sur des terres qui ont appartenu à des associations juives, avant la création d’Israël, en 1948. La justice a ainsi donné raison à des israéliens qui revendiquent les droits de propriété. Les familles palestiniennes ont fait appel. La Cour suprême devait se prononcer le 10 mai, mais a décidé de reporter l’audience en raison de l'escalade des tensions entre palestiniens et israéliens, notamment à Jérusalem-Est.

Mahammad Sebbagh dans la maison où il vit depuis 1956, à Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est.
Mahammad Sebbagh dans la maison où il vit depuis 1956, à Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est. © Tous droits réservés

Les bases légales pour les demandes d’expulsions reposent sur deux lois discriminatoires

"Les chances d’avoir gain de cause dans ce cas-ci, sont très faibles", explique Hagit Ofran membre de l’ONG israélienne Peace Now. "Les bases légales pour les demandes d’expulsions reposent sur deux lois discriminatoires. L’une, votée en 1970 à la Knesset, dit que les terres ayant appartenu aux juifs à Jérusalem-Est, avant la création d’Israël en 1948, peuvent revenir à leurs anciens propriétaires. Tandis qu’une autre loi, dit que les propriétés des Palestiniens avant 1948, ne peuvent pas être rendues à leurs anciens propriétaires". Sur cette base légale, des israéliens partent à la recherche d’anciens propriétaires juifs. Ils entament une procédure juridique pour racheter leur titre de propriété et ensuite ils poursuivent les familles palestiniennes en justice. "Par le passé, les familles palestiniennes qui ont été expulsées de Sheikh Jarrah dans les mêmes circonstances n’ont pas eu de compensations", déplore Hagit Ofran.


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Des affaires comme celles-ci ne sont pas isolées, à Sheikh Jarrah. Huit autres familles sont menacées d’éviction, comme la famille Sebbagh qui a reçu un ordre d’évacuation en 2018. "Le problème, c’est que nous ne sommes pas les propriétaires", explique Mohammad Sebbagh. "Nous avons reçu cette maison du gouvernement jordanien en 1956. A l’époque, nous venions d’être expulsés de Haïfa". De fait, aucune des familles palestiniennes poursuivies en justice ne possède de titre de propriété. A l'époque où elles sont entrées dans ces maisons, après avoir été expulsé de Jaffa ou de Haïfa, elles avaient le statut de réfugié et dépendaient de l’autorité de la Jordanie qui annexait la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

La maison où vit la famille Sebbagh depuis 1956, à Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est.
La maison où vit la famille Sebbagh depuis 1956, à Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est. © Tous droits réservés

"L’affaire est gelée parce que nos avocats contestent les droits de propriété de la partie adverse", explique encore Mohammad Sebbagh. "Ils ont découvert qu’au 19ème siècle, l’autre partie louait ces terres mais n’en était pas propriétaire… Des papiers l’attestent. La partie adverse aurait donc changé la location en propriété. C’est de ça dont ils discutent à la cour".

"Je ne pense pas que cette affaire soit juridique", réagit Hagit Ofran, "il s’agit d’une affaire politique. Derrière ces décisions, il y a un projet d'occupation qui consiste à expulser des palestiniens de tout un quartier, pour les remplacer par des colons israéliens. Cet objectif utilise des moyens juridiques. Mais ces expulsions peuvent être empêchées par une volonté politique. La Knesset peut changer la loi. Le gouvernement peut aussi refuser d’envoyer la police pour procéder aux expulsions…".


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Pour François Dubuisson, professeur à l’ULB, ces lois israéliennes vont à l’encontre du droit international. "Ces lois sont problématiques dans le sens où Jérusalem-Est est considéré comme un territoire palestinien occupé qui a été pris illégalement par Israël en 1967 puis annexé. Et selon le droit international qui concerne l’occupation, les autorités israéliennes ne peuvent pas légiférer et adopter une loi israélienne qui va étendre les effets de l’occupation et décider de questions de propriétés à Jérusalem-Est. Israël prétend étendre sa souveraineté et ses décisions à un territoire occupé, qui comme tel devrait être régit par le droit de l’occupation. Un des grands principes de ce droit est le maintien de la législation civile en vigueur dans le territoire occupé et l’interdiction pour la puissance occupante de prévoir des législations spécifiques qui ont en plus une dimension discriminatoire".

Affrontements entre des palestiniens et les forces de sécurité israéliennes au checkpoint de Hawara au sud de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 21 mai 2021, à la suite de manifestations de soutien aux Palestiniens à Sheikh Jarrah à Jérusale
Affrontements entre des palestiniens et les forces de sécurité israéliennes au checkpoint de Hawara au sud de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 21 mai 2021, à la suite de manifestations de soutien aux Palestiniens à Sheikh Jarrah à Jérusale © JAAFAR ASHTIYEH - AFP

Quel est le statut de Jérusalem ?

A ce régime international, viennent se superposer les accords d’Oslo II, signés en 1995. Ces accords prévoient que la Cisjordanie soit découpée en trois zones A, B et C. Dans les faits, l’Autorité Palestinienne ne contrôle que 30% de la Cisjordanie (si on additionne les zones A et B) répartie sur des confettis territoriaux éparpillés, puisque la zone C qui représente 62 % de la Cisjordanie, reste encore aujourd'hui, sous le contrôle total d'Israël. Mais ces accords ne précisent pas la question du statut de Jérusalem-Est - ni celle des colonies, ni des réfugiés - qui ont été reportées à des "négociations finales".

"Il n’y a jamais eu de Palestine indépendante, il n’y a jamais eu d’état palestinien", affirme de son côté l’ambassadeur d’Israël en Belgique, Emmanuel Nahshon. "Les palestiniens ont été sous mandat britannique et ensuite sous occupation jordanienne. Nous avons pris notamment Jérusalem-Est en 1967. A nos yeux, le statut de ce territoire n’est pas encore déterminé, parce qu’il ne s’agit pas d’un territoire occupé n’ayant pas été pris d’une puissance souveraine. Le statut de ce territoire est à déterminer dans le cadre de négociations directes entre israéliens et palestiniens. C’est ce que stipulent les accords d’Oslo. Donc négocions pour décider quelles sont les frontières exactes de la Palestine. Malheureusement les palestiniens refusent systématiquement de retourner à la table des négociations".

Dans les faits, en 1949, le conflit entre Israël et les états arabes s’était soldé par une scission de la ville : l'Est était occupé par la Jordanie, l'Ouest par Israël, qui en fait officiellement sa capitale en 1950. Et en 1967, victorieux de la Guerre des Six Jours, Israël prend le contrôle de l'ensemble de la ville et la proclame "indivisible" en 1980. C’est ainsi que les colonies israéliennes s’étendent dans les quartiers à l'Est. Cependant, la communauté internationale reconnait Jérusalem-Est comme un territoire palestinien et ne reconnaît pas Jérusalem comme la capitale d'Israël.

"Tout récemment encore, la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a considéré que Jérusalem-Est faisait partie du territoire de la Palestine", ajoute pour sa part François Dubuisson. D’autre part, une série de résolutions adoptées au Conseil de sécurité de l’ONU demandent à Israël de mettre fin à l'occupation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie.

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