Belgique

Jean-Luc Crucke, le ministre wallon du Budget démissionne "Mes convictions ne sont plus en pleine adéquation avec la ligne de mon parti"

C’est accompagné de son président de parti, Georges-Louis Bouchez, que le ministre wallon du Budget, Jean-Luc Crucke (MR) a annoncé sa démission, de manière inattendue

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Par Jean-François Noulet

"Le Ministre Jean-Luc Crucke vous propose de faire le point sur le travail de ces dernières semaines et vous convie à une rencontre presse de rentrée". C’est par cette phrase mystérieuse que le ministre wallon du Budget a convié, de manière inattendue, la presse ce lundi matin.

C’est un coup de tonnerre : le ministre wallon MR du Budget démissionne. Il sera le candidat du MR à la Cour constitutionnelle.

En décembre, son projet de réforme de la fiscalité s’était heurté à l’opposition du Président du MR, Georges-Louis Bouchez. "J’en tirerai les conclusions", avait alors annoncé Jean-Luc Crucke.

Cette réforme était présentée par le ministre comme visant à "lutter plus efficacement contre des pratiques destinées à échapper et/ou à contourner certains impôts". Il y était question de réforme des droits de succession et d’enregistrement et de réforme de la fiscalité automobile, entre autres. Du côté du MR, certains n’avaient pas caché leur opposition à ces réformes qui risquaient de porter atteinte à la "classe moyenne" et à l’électorat du MR.

Le projet de décret pour "un impôt plus juste" avait fait vaciller le gouvernement wallon le mois dernier. On parlait alors déjà d’une possible démission, car le ministre avait été désavoué par son propre parti qui avait renvoyé son texte à l’arriéré. C’est au Parlement wallon qu’était revenu le rôle d’approuver le texte.

Plus en adéquation avec la ligne du parti, J-L Crucke démissionne pour ne pas mettre le gouvernement wallon en difficulté

C’est accompagné de son président de parti, Georges-Louis Bouchez, que Jean-Luc Crucke a expliqué à la presse les raisons pour lesquelles il quitte son poste de ministre du Budget, après cinq années passées au sein du Gouvernement wallon. 

"Ce lundi 3 janvier, j'ai remis ma démission à mon président de parti. Il ne m'a rien demandé. J'ai pris ma décision seul, sans aucune pression", a déclaré d'emblée Jean-Luc Crucke, le ministre wallon du Budget démissionnaire.

Ce sont les divergences d’opinions autour de la réforme de la fiscalité portée par Jean-Luc Crucke qui en sont la cause. "La crispation politique amenée par le décret impôt plus juste m’a porté vers une conclusion très simple. J’aime ma Région, et je la sers avec loyauté. Mes convictions qui, ne vous y trompez pas, sont des convictions libérales, ne sont cependant plus en pleine adéquation avec la ligne de mon parti. C’est une réalité, pas un regret", a expliqué le ministre MR démissionnaire.

"J’ai toujours eu des opinions qui étaient qualifiées comme "à la marge" au sein de ma formation politique, notamment au niveau climatique, migratoire, énergétique, mais encore, et aussi désormais, fiscal. Jusqu’ici, ça faisait également ma force. Mais celle-ci met désormais mon parti, mais aussi par ricochet la majorité gouvernementale, parfois en difficulté", a estimé Jean-Luc Crucke qui souhaite ne pas ralentir le travail gouvernemental.

Dans l’épisode du mois de décembre où le projet de réforme de la fiscalité a cristallisé les débats, "on ne parlait plus du fond", a estimé Jean-Luc Crucke. "Ma personnalité a pesé dans cet emballement", a-t-il ajouté. Et de préciser que, "ce texte, impôt plus juste, n’était, selon tous les experts, pas une révolution, juste un texte nécessaire qui collait, notamment, aux dispositions fédérales. Il est sain pour l’égalité fiscale de tous nos concitoyens et respecte la volonté du législateur".

Selon Jean-Luc Crucke, cet épisode autour de la réforme de la fiscalité a éclipsé d’autres points importants du Budget wallon. "Nous n’avons, au final, pas parlé suffisamment de l’essentiel : un budget 2022 avec des efforts de 150 millions par an (cumulatifs) à faire, des décisions très importantes pour l’aéroport de Charleroi globalement passées sous silence… Bref, ce n’est pas normal", a-t-il ajouté.

Le président du MR était au courant de la démission depuis le 3 janvier

C’est lundi 3 janvier que Jean-Luc Crucke a remis sa démission à son président de parti, Georges-Louis Bouchez. Jeudi dernier, le 6 janvier, les deux hommes se sont rencontrés chez Jean-Luc Crucke. "Nous avons discuté, très franchement, calmement et dans la bonne humeur. Je lui ai expliqué que je ne voulais pas que les textes portés par " Jean-Luc " deviennent une source de crispation, pas sur le fond, mais sur la forme", a expliqué Jean-Luc Crucke. "Il ne m’a rien demandé, j’ai pris ma décision seul, sans aucune pression extérieure", a-t-il précisé.

Le secret absolu devait être respecté jusqu’à ce jour. Le Ministre-Président wallon, Elio Di Rupo a été averti ce lundi matin, 10 janvier. Ce dernier a réagi officiellement par Twitter, remerciant le ministre pour le travail accompli au sein du Gouvernement wallon. "Je tiens à saluer ses compétences, ses grandes qualités morales, son honnêteté intellectuelle et sa sympathie", a communiqué Elio Di Rupo, souhaitant bonne chance au ministre démissionnaire dans ses projets futurs.  

Les personnes qui sont concernées par cette décision, notamment les membres du cabinet du ministre Crucke ont aussi été averties. "La surprise était de taille", a expliqué le ministre. Il a aussi précisé que les membres du cabinet qui souhaiteront rester en fonction pourront le faire, "afin de poursuivre la continuité du travail". "J’ai toujours recruté sur base des compétences, et uniquement de celles-ci. Ce n’est pas mon cabinet, c’est celui de tous les citoyens", a ajouté Jean-Luc Crucke.

G-L Bouchez, à propos de J-L Crucke : "Ce qui nous unit est beaucoup plus fort que les divergences"

Lors de la conférence de presse, le Président du MR, Georges-Louis Bouchez est revenu les divergences survenues ces dernières semaines autour du projet décret sur la fiscalité.

Il n’a pas été question pour lui de critiquer ou de désavouer le ministre wallon du Budget qui a choisi de quitter sa fonction. Il a qualifié Jean-Luc Crucke de "libéral convaincu". "Ce qui nous unit est beaucoup plus fort que les divergences que l’on pourrait avoir sur certains textes ou certaines positions", a-t-il ajouté. A propos des événements des dernières semaines, "il ne faut pas croire que c’est ça qui, à un moment donné engendre le fait qu’il serait impossible de travailler ensemble", a déclaré le Président du MR. "Cela s’est toujours bien passé, même au moment de la discussion du décret sur la fiscalité", a-t-il ajouté. "Les divergences n’empêchent pas d’apprécier les personnes, de les respecter et de travailler ensemble", a complété G-L Bouchez, avant de remercier J-L Crucke, qui "compte au sein du Mouvement réformateur".

J-L Crucke : "Je n’ai jamais joué l’homme. Je joue la balle"

Quand on lui demande s’il n’est plus en adéquation avec son parti ou avec son président, Jean-Luc Crucke répond : "je n’ai jamais joué l’homme, je joue la balle".

Pas question non plus pour le ministre du Budget sur le départ de critiquer son président de parti. "Ce n’est pas parce qu’il y a des divergences qu’il n’y a pas entre nous des contacts qui sont restés profonds", a estimé Jean-Luc Crucke. "Même dans ce que vous pouvez considérer comme étant le centre de la tempête, sur le bateau, on continuait à se parler", a-t-il précisé. Cette démission, "ce n’est pas une question d’homme, c’est une question de loyauté par rapport à ce que vous pouvez donner en politique et à ce que vous pensez", a ajouté Jean-Luc Crucke.

A propos de Georges-Louis Bouchez, "si vous attendez de ma part une quelconque déclaration sur l’homme, vous ne l’aurez pas, si ce n’est de vous dire qu’il est brillant", a déclaré Jean-Luc Crucke. "Cela n’en fait pas pour ça quelqu’un avec qui je partage tout en termes de positionnement", a-t-il précisé.

Direction la Cour constitutionnelle

Jean-Luc Crucke, juriste de formation, avocat, sera le candidat du MR pour devenir juge à la Cour constitutionnelle. C’est la proposition que Georges-Louis Bouchez a faite au ministre wallon démissionnaire. "Ce poste m’a toujours tenté, j’en avais parlé dès 2019 avec lui, on n’efface pas 30 ans de droit. Mais mon mandat ministériel occultait cette possibilité", a déclaré Jean-Luc Crucke.

Une candidature à ce poste que le président du MR, Georges-Louis Bouchez a présenté comme celle d’un "candidat de grande qualité", "juriste émérite", "avocat", "parfait bilingue", "avec l’expérience parlementaire, communale et ministérielle".

Toutefois, la désignation à Cour constitutionnelle n’est pas pour tout de suite. "La décision devrait néanmoins tomber fin du 1er semestre 2022. J’ai rencontré des magistrats, j’ai étudié les possibilités et je suis certain que je vais pouvoir y exercer un rôle qui me conviendra, toujours au service de la démocratie", a expliqué Jean-Luc Crucke qui dit aussi avoir d’autres projets : enseigner, écrire, traverser l’Iran à pied, par exemple.

En attendant une future désignation à la Cour constitutionnelle, Jean-Luc Crucke, après avoir cédé son poste de ministre du Budget à son successeur redeviendra député wallon.

"La meilleure décision de ma vie"

"J’ai toujours été convaincu qu’il existe une vie avant la politique et qu’il existe une vie après la politique", a estimé Jean-Luc Crucke. Il a expliqué ainsi ne pas regretter son choix. "Un de mes enfants me disait hier que j’avais pris la meilleure décision de ma vie", a-t-il confié.

Pour Jean-Luc Crucke, "l’avenir se révèle passionnant". "Pas la peine de spéculer : mes amis sont partout mais je suis et resterai le libéral que je suis aujourd’hui", a-t-il précisé.

Qui sera le nouveau ministre wallon du Budget ?

Qui succédera à Jean-Luc Crucke ? Le Président du MR, Georges-Louis Bouchez a expliqué que la réponse sera communiquée mardi. "Vous serez informés demain (mardi) matin sur le nom de la personne qui succédera à Jean-Luc Crucke", a-t-il déclaré. Le successeur entrera en fonction au plus tard mercredi prochain. En effet, Jean-Luc Crucke reste en poste jusqu’à la réunion du Gouvernement wallon prévue ce jeudi.

Quant au successeur de Jean-Luc Crucke, il devrait reprendre l’ensemble des compétences du ministre wallon du Budget. "Pas de détricotage des compétences, personne n’a le temps de jouer à l’apprenti sorcier", a précisé Jean-Luc Crucke.

"Notre volonté, exprimée d’abord par Jean-Luc, et partagée par l’ensemble du MR était aussi de faire une transition qui permette de ne pas avoir de soubresauts plus forts que les divergences que l’on pourrait avoir sur certains textes ou certaines positions", a déclaré à ce sujet Georges-Louis Bouchez, le président du MR.

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