Dans une lettre du 30 mai 1907, il évoque déjà la guerre :
"Comme c’est barbare la guerre ! Quand je pense au nombre d’intelligences qui travaillent depuis des siècles pour obtenir la destruction, il faut vraiment être habitué pour ne pas trouver cela phénoménal, et je conçois la surprise d’êtres d’un autre monde qui mettraient le pied sur la terre et auxquels on expliquerait avec quelle perfection les hommes sont arrivés à se détruire."
Quand la guerre éclate, il écrit le 11 octobre 1914 :
"Il faisait un calme radieux. Pas une étoile qui n’eût son reflet dans l’eau, sans une ride. Une fraîcheur exquise, une impression de paix absolue vous pénétrait l’âme. L’homme est vraiment un être bien inférieur dans l’échelle des êtres pour que la guerre, l’horrible guerre, soit sur terre une nécessité. Que penser de nous, du rang que nous occupons dans la création, devant ce spectacle de boucherie, de tuerie qui a toute l’Europe pour scène ? Non, l’homme n’est pas le roi de la création. Et nous sentons intensément tout ce qui nous domine. C’est même là notre seul dégoût, ce sentiment que nous portons en nous d’un monde d’où sont bannies ces luttes viles, où règne éternellement la paix infinie."
Pendant la guerre, Jean Cras travaille aussi à la partition d’un opéra qui sera notamment très admiré par Maurice Ravel et Albert Roussel.
En pleine guerre, Jean Cras prend part dans l’Adriatique au blocus des côtes dalmates au commandement du contre-torpilleur Commandant-Bory. Non seulement le climat est on ne peut plus anxiogène, mais en plus, ses moments de repos sont rares. Et pourtant, il achève la partition de son unique opéra, Polyphème, un drame lyrique en 4 actes et cinq tableaux sur un poème d’Albert Samain, un poète symboliste. Jean Cras confie : "A chaque appareillage, je la déposais sur le Marceau, vieux garde-côte cuirassé qui nous servait de ravitailleur. Savait-on jamais si l’on reviendrait ? Et au retour, à peine le bâtiment amarré à quai, mon fidèle maître d’hôtel n’ignorait pas que son premier devoir était de me rapporter le précieux manuscrit."
Jean Cras est nommé capitaine de vaisseau à quarante-quatre ans, le plus jeune de son grade. Il commande le croiseur Lamotte-Picquet et le cuirassé Provence. Ces bâtiments sont assez vastes pour qu’il puisse y faire entrer un piano à queue. Il quitte ses vaisseaux en 1929 pour rentrer à Paris comme chef de service des recherches scientifiques à l’état-major général de la Marine.
Il ne cesse de composer. Il se passionne aussi pour la musique d’autres compositeurs. Les partitions des quatuors de Beethoven qu’il décrit comme (le plus de substance dans le minimum de poids) ne l’ont pas quitté pendant des années… Il confie : "Ainsi cette forme épurée de la musique est devenue pour moi la forme essentielle, bien que je n’aie pas dédaigné la symphonie et le théâtre,. Et puis j’ai passé trente ans à contempler des horizons vastes, des étendues à la fois uniformes et infiniment variées, des cieux illimités, à respirer des atmosphères vierges, à vivre de grands calmes ou d’immenses tourmentes : j’ai contracté l’amour de tout ce qui est pur… La musique de chambre a eu et aura toujours mes préférences… pourtant j’ai écrit avec une joie profonde certaines œuvres d’orchestre comme mon Journal de bord. Je suis attiré par tout ce qui est poésie délicate et profonde…"
Jean Cras a composé un Journal de bord pour orchestre… La partition comprend trois mouvements. Le premier s’intitule Quart de huit à midi : houle au large, ciel couvert se dégageant au coucher du soleil. Rien en vue, le second Quart de minuit à quatre. Très beau temps, mer très belle, rien de particulier. Clair de lune. et le troisième Quart de quatre à huit (la terre en vue, droits devant). Dans une note, Jean Cras décrit le contenu de chaque tableau. Le deuxième mouvement évoque le calme et la sérénité d’une nuit tropicale : on ne sait plus où finit l’eau, où finit le ciel.