Guerre en Ukraine

"Je vous raconte tout, une fois pour toutes", le témoignage bouleversant d'une femme violée par des soldats russes

Par Alain Lechien, sur base d'un reportage en Ukraine de Maurine Mercier

Maurine Mercier est en Ukraine pour la RTBF et elle y a recueilli un témoignage rare qui fait ressentir l’horreur que les femmes et les filles mineures ont vécue à Boutcha. Une mère a accepté de raconter son calvaire pendant deux semaines et demi : des viols continus. Les soldats russes ont pratiquement élu domicile chez elle, sa maison qu’ils ont transformée en enfer. Sa fille a aussi tenu à témoigner. Pour des raisons évidentes, ces témoignages ont été rendus anonymes.

Sur cette photo prise le 02 avril 2022, des corps de civils gisent dans la rue Yablunska à Bucha, au nord-ouest de Kiev, après le retrait de l'armée russe de la ville.
Sur cette photo prise le 02 avril 2022, des corps de civils gisent dans la rue Yablunska à Bucha, au nord-ouest de Kiev, après le retrait de l'armée russe de la ville. © RONALDO SCHEMIDT / AFP

Nous l’appellerons Katarina. Elle a 38 ans. Elle vit dans une petite maison à Boutcha avec sa fille, 13 ans, et sa mère, 75 ans. Sa mère est trop âgée pour fuir. Voilà pourquoi ces trois femmes ont dû faire face, subir l’occupation russe. Elle dit : "Je vous raconte tout. Une fois pour toutes, il faut que les femmes sous occupation russe sachent qui ils sont et de quoi ils sont capables. Il faut que le monde sache". Cette femme dit : "Ce n’est pas à moi d’avoir honte".

Tous les jours, ils venaient me violer

Voilà comment commence son histoire : "La première fois qu’ils sont venus, il faisait jour. Ma voisine m’a fait signe pour que je comprenne que je n’avais pas d’autre choix que de les laisser entrer. J’étais terrorisée. Ils pointaient leurs armes sur moi. Ils tiraient en l’air. Je les ai laissés entrer. La nuit, ils sont revenus, ils m’ont demandé de m’agenouiller. Ils m’ont dit 'Ta fille est très belle'. Je les ai suppliés de ne pas la toucher. Je leur ai dit : 'Faites tout ce que vous voulez avec moi, mais ne la touchez pas'. Ils m’ont forcée à leur faire des fellations à tour de rôle. Ça n’en finissait pas. Ils défilaient comme un tapis roulant".

Pour protéger sa fille, cette femme va se faire violer ainsi plusieurs fois par jour, durant deux semaines et demie. Les soldats ne venaient jamais seuls, toujours en groupe, se souvient-elle : "Il était impossible de les contredire, sinon ils tiraient en l’air, entre nos jambes. Je leur rappelais qu’ils avaient une famille, des enfants, mais ça ne les calmait pas. Tous les jours, ils venaient me violer. Tous les jours. Même lorsque j’avais mes règles, ils s’y mettaient à plusieurs."

"Je crois que seuls mes yeux et mes oreilles n’ont pas été violés. Ils me disaient ''Tais-toi ! On était en poste en Biélorussie et ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de femme. Alors, ferme-la'. Ils menaçaient sinon de détruire tout le quartier, de tuer tout le monde, mes voisins, ma fille".

Ils pouvaient nous tuer à n’importe quel moment

Cette femme s’est donc sacrifiée durant ces deux semaines et demie. Elle a tout fait pour survivre et surtout sauver sa fille ainsi que ses voisins en tentant en vain de calmer ceux qu’elle définit d’un mot "psychopathes" : "Je savais qu’il avait déjà tué beaucoup de mes voisins et qu’ils pouvaient nous tuer à n’importe quel moment : enfants, grands-mères ou un animal. Pour eux, c’était du pareil au même. Ils ne cessaient de me demander : 'Où est-ce qu’il y a des jeunes ?' Je répondais que je ne savais pas. Je leur disais que tout le monde avait fui la ville. Oui, ils m’ont dit qu’ils tuaient et qu’ils violaient des enfants".

Au côté de Katarina, il y a sa fille de 13 ans qui raconte : "Ils me demandaient de regarder ma mère se faire violer pour que j’apprenne, disaient-ils, pour qu’ils puissent nous utiliser toutes les deux. Une nuit, ils sont venus à 8. Je dormais, ils sont venus dans le lit, ils m’ont touchée, mais finalement ils sont allés voir ma mère. Ils l’ont violée les huit en même temps".

Katarina poursuit : "Ils me reprochaient de ne pas avoir suffisamment peur. Ils me disaient 'Tu penses vraiment qu’on ne va pas violer ta fille alors qu’on viole d’autres enfants, filles et garçons ?' Et moi, je tentais de les implorer en leur disant 'Oui, j’ai peur, mais on peut être amis. Nous faisions partie d’un seul pays, l’Union soviétique'. Ils disaient que leur vie était horrible là où ils habitent. Alors je leur disais : 'Vous pourrez revenir ici, mais maintenant ne touchez à personne, cessez de tuer'. J’essayais de leur parler ainsi. Parfois cela marchait. Et puis tout à coup, leur regard tournait et ils redevenaient fous d’un coup, ils étaient totalement imprévisibles. J’ai vraiment eu le sentiment qu’on n’avait pas devant nous des soldats, mais des gens échappés de l’hôpital psychiatrique. On leur avait donné des armes et envoyé faire la guerre, mais ils ne sont pas normaux".

Des militaires systématiquement ivres et très jeunes

La mère décrit ces militaires systématiquement ivres, et qui pillaient du haschich dans les maisons, qui tiraient sur le portail pour signaler qu’ils arrivaient chez elle et qui restaient des heures durant dans sa cour à se balancer comme des pendules après l’avoir violée. Sa fille n’a pas échappé non plus à cette torture psychologique, explique-t-elle : "Un jour, ils m’ont fait rentrer dans la petite cour de mes voisins et le militaire m’a dit : 'Regarde, c’est ce que j’ai fait ce matin. C’est la femme que j’ai tuée'. Il y avait du sang qui coulait de sa bouche. 'J’ai attendu qu’elle souffre avant de l’achever'. Je lui ai dit : 'Vous avez vraiment fait ça ?' Il m’a répondu : 'Oui, j’aime tuer, ça m’excite'. Il avait 18 ans, cinq ans de plus que moi, donc. Ils nous ont montré leurs lunettes de vision nocturne. On a compris qu’ils voyaient exactement sur qui ils tiraient, qu’ils savaient ce qu’ils faisaient quand ils tuaient des civils. Il y a un soldat qui nous disait 'Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme, c’est de la torture psychologique. Comme ça, votre président Zelensky va finir par comprendre qui on est'.

Lorsqu’elles évoquent leurs bourreaux, les soldats russes, cette femme et sa fille décrivent des militaires très jeunes, entre 18 et 25 ans. Et ils venaient des régions de l’intérieur de la Russie, de Yakoutie notamment. "Ils mettaient des préservatifs, il les avait volés dans un magasin, ils pillaient tout : des gadgets, tout. Ils venaient de Yakoutie, des régions encore plus loin. Pour eux, nos magasins, c’était le paradis, les préservatifs, je ne suis pas sûre qu’ils en avaient vu avant. Ils trouvaient cela incroyable. Ils venaient du fond de la Russie, ou encore plus loin où la vie est terriblement dure. Je crois qu’ils ont choisi volontairement ces jeunes. Ils étaient épatés par tout, même par nos maisons", dit encore Katarina.

Le maire a été le premier à déguerpir

Le courage de parler, elle le trouve dans sa colère contre les autorités ukrainiennes, contre le maire de Boutcha. Elle veut pourtant déposer plainte et c’est extrêmement rare, la plupart des femmes ne réussissent pas à dénoncer ce qu’elles ont enduré, onze jours après la libération de sa ville : "Personne n’est venu me demander si j’avais besoin d’aide. Le maire a été le premier à déguerpir lorsque les Russes nous ont envahis et c’est le premier qui est revenu jouer les héros devant les caméras lorsque les Russes ont fui. Je n’ai plus confiance en personne désormais. Auparavant, je soutenais le président, mais plus maintenant. Encore moins le maire de Boutcha. Ces derniers jours, après le départ des Russes, il n’a même pas été fichu de nous fournir des générateurs. On a tous besoin d’électricité".

À ces hommes du quartier qui ont laissé parfois entendre qu’elle aurait pu peut-être éviter ce qui lui est arrivé. Voilà ce que réplique Katarina : "Ceux qui ont essayé de résister sont morts ou ils ont été obligés de voir leurs enfants se faire violer sous leurs yeux. Je ne sais même pas comment c’est possible de voir cela. J’ai regardé ces hommes droit dans les yeux. Ils étaient ivres morts et fous. J’ai compris ce que je devais faire. Non, je n’ai pas honte de ce qui m’est arrivé. J’ai plus honte pour ceux qui ont fui en abandonnant leurs parents âgés derrière eux. Peut-être que j’ai tort, mais je crois qu’il est mieux de se faire violer si c’est ce qu’il faut pour protéger votre enfant et votre mère que de les abandonner".

Onze jours après la libération de Boutcha, Katarina a enfin pu passer une expertise médicale.

Retrouvez les témoignages de cette femme et sa fille ci-dessous :

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