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"Je veux être noir" : cette chanson de Nino Ferrer soutenait le mouvement des droits civiques aux États-Unis

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En 1966, Nino Ferrer chante Je veux être noir. Un titre pouvant être perçu comme maladroit pour le regard du XXIe siècle, mais une chanson qui, dans le contexte de sa sortie, se porte comme un hommage à la communauté afro-américaine. Elle soutient notamment le mouvement des droits civiques qui s'intensifie aux États-Unis dans les années 60.

Nino Ferrer s'exclame à plusieurs reprises Je voudrais être noir, même si le titre de la chanson est plus affirmatif puisqu'elle s’intitule Je veux être noir. Le texte pop, est écrit par l'artiste lui-même. Il doit néanmoins être replacé dans le contexte de l’époque, mais reste pertinent aujourd’hui.

Plusieurs reprises françaises de standards afro-américains

Nino Ferrer n'est pas le premier artiste à chanter des hommages à la culture noire à son époque. Un an avant, en 1965, Claude Nougaro chante le fameux Armstrong, je ne suis pas noir, je suis blanc de peau. Avant lui, Léo Ferré chante Dieu est nègre en 1958, titre repris dans une étonnante version free jazz en 1971 par Nicoletta.

Cependant, chez Nino Ferrer, la passion du noir, et plus particulièrement le rhythm and blues et la soul, sont de l’ordre de l’obsession.

Nino Ferrer a notamment enregistré une version en français de It’s A Man’s Man’s World de James Brown : Si tu m’aimes encore, en 1966 aussi. Autre classique blues afro-américain, Nobody Know You When You’re Down And Out, la version soul d'Otis Redding, a été réenregistrée en français sous le nom Le millionnaire. Enfin, moins connu, Big Nick, instrumental enregistré en 1963 par le pianiste noir James Booker a été adapté par Nino Ferrer et cela a donné un de ses plus grands succès en 1966 avec Les cornichons.

Qui, dans le show-biz post-yé-yé, a envie de chanter une chanson qui s’appelle Les cornichons ? Mieux : qui a l’idée d’appeler une chanson Les cornichons ? Personne. Sauf Nino Ferrer qui a fait sien ce style burlesque existentiel, entre chanson comique et désespoir. Pour rappel, Nino Ferrer s’est suicidé en 1998. Il n’avait que 63 ans.

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Hommage aux monuments de la soul

Revenons sur les paroles de Je voudrais être noir. Elles commencent de cette manière : "Hey hey hey Monsieur Wilson Pickett / Hey hey hey toi, Monsieur James Brown / S'il vous plaît dites-moi comment vous faites / Monsieur Charles. Monsieur King. Monsieur Brown / Et moi, je fais de mon mieux pour chanter comme vous / Mais je ne peux pas grand-chose. Je ne peux rien du tout / Je crois que c'est la couleur la couleur de ma peau qui n'va pas / Et c'est pourquoi je voudrais, je voudrais être noir".

Hommage à la musique noire avec ce name-droping. James Brown, roi du rhythm and blues qu’on vient d’entendre. Wilson Pickett est un immense chanteur des années 60 qui a livré à la postérité d’immenses chansons soul : In The Midnight Hour, Mustang Sally, Funky Broadway. Monsieur Charles et Monsieur King, il s’agit respectivement, de Ray Charles et de Ben E. King, créateur de Stand By Me. Nino Ferrer les apostrophe, leur avoue vouloir chanter comme eux, mais que sur la balance de la soul, il ne ferait pas le poids.

Une chanson engagée pour les droits civiques

Nino Ferrer en janvier 1970 durant un enregistrement d'une émission télévisée de l'ORTF à Paris.

La suite du texte : "Hey hey dis-moi Monsieur Faubus / Dis-moi comment les blancs / Font pour vendre les nègres à l'argus / Et pour en brûler de temps en temps / Et moi je fais de mon mieux pour ne pas y penser / Et je me sens très souvent très embarrassé / Par la couleur de ma peau qui me démoralise un p'tit peu. Et c'est pourquoi je voudrais être noir".

Ici, la chanson prend une tournure politique. Je veux être noir est une chanson engagée, elle s’inscrit dans le sillage du mouvement américain des droits civiques. Quand il cite Monsieur Faubus, il pointe Orval Faubus, gouverneur de l’Arkansas qui s’est opposé à la fin de la ségrégation raciale jugée anticonstitutionnelle en 1954. Un homme qui a milité contre la présence des enfants noirs dans les écoles blanches. Et quand il l’interpelle pour lui demander "comment font les blancs pour vendre les nègres à l’argus, et pour en brûler de temps en temps", il fait référence à la vente des esclaves, à leur valeur (d’où l’argus), et au Ku Klux Klan qui signe ses actes en brûlant des maisons ou en faisant flamber des croix.

Si on observe ce qui se passe sur le front des luttes antiracistes, on se dit qu’avec Je veux être noir, Nino Ferrer est éveillé sur la question des discriminations : il est woke avant le wokisme. À l’époque de cette chanson, interrogé par Rebecca Manzoniil dans l’émission Pop ‘n Co sur France Inter, il disait : "Il y a une chose que je n'aime pas, c'est le racisme et la ségrégation raciale, que ce soit envers les noirs, els juifs ou les Algériens, ou qui que ce soit. Je ne peux pas supporter cela donc je fais une chanson contre la ségrégation raciale".

La suite de la chanson poursuit l’hommage à la culture noire. Nino Ferrer évoque le gospel : "Vous, les saints, les élus. Qui chantez tout de blanc vêtus". Il parle de La Nouvelle-Orléans, du Mississippi, de "belle couleur d’ébène" et de "cheveux crépus". Je veux être noir se situe entre le fantasme schizophrénique et l’autoportrait de l’artiste en éternel insatisfait... ce que Nino Ferrer était.

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