"Je suis puceau et c’est moi qui vais la soulever !" : sexisme, misogynie et harcèlement au menu du stream caritatif Zevent

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Par Adeline Louvigny

Le Zevent, c’est l’événement caritatif francophone de l’année pour les communautés de gamers : durant près de 50h, une cinquantaine de streamers se succèdent sur Twitch afin de récolter un maximum de dons pour une association. D’année en année, l’événement a gagné en popularité, au-delà même des sphères vidéoludiques : un certain Emmanuel Macron a encouragé et félicité l’initiative sur Twitter, alors que le record de dons était battu : 10 millions d’euros pour l’ONG "Action pour la Faim".

Mais malheureusement, ce grand rassemblement de streamers et streameuses, cette année encore, n’est pas exempt de dérives sexistes, misogynes, et de harcèlements de la part des viewers (celles et ceux qui regardent les streams). Le site spécialisé Gamekult le rappelle dans cet article : les éditions précédentes ont eu leur lot de moments sexistes, sans qu’il n’y ait d’interventions des organisateurs. En 2018, un "test de pureté" "défiait" des streamers de ne pas regarder, sur des vidéos de créatrices de contenus, "le décolleté ou les fesses", via un système d’eye tracking. En 2019, le streamer Jiraya tweetait des propos transphobes, suite à l’étonnement d’un viewer du manque de diversité parmi les streamers. Un tweet qui est toujours visible sur la plateforme.

Cette année, comme pour illustrer la difficulté du monde du streaming à se remettre en question, le "test de pureté" a été renouvelé (avec la participation, notamment, du présentateur Samuel Etienne qui s’est récemment lancé sur Twitch), accompagné de nombreux messages sexistes dans le chat.

C’est la meuf la plus fraîche que j’ai vue de ma vie

Mais un événement a particulièrement marqué cette édition 2021 : c’est la réaction d’un jeune créateur de contenu sur YouTube, Inoxtag, face à l’arrivée de l’actrice mexicaine Andrea Pedrero au Zevent. Ils avaient déjà collaboré sur un clip musical. La veille, il l’avait appelée pour lui annoncer qu’il lui avait acheté un billet d’avion pour le rejoindre au Zevent, parlant déjà de "lui faire l’amour". En français dans le texte, l’actrice ne parlant pas cette langue, elle ne comprenait pas ce qu’il lui disait.

Quand Andrea Pedrero arrive au Zevent, sa rencontre avec Inoxtag est diffusée en direct. Et la femme se transforme en proie sexuelle. "Oh putain de merde, c’est une femme" s’exclame le streameur très excité. "Elle a 29 ans, j’ai 19 ans, je vais m’évanouir. Oh c’est une bombe atomique sa mère" ajoute-t-il, semblant ne pas contrôler ses pulsions. "Eh là j’suis classe !" dit-il alors qu’Andrea et lui tombent dans les bras l’un de l’autre, heureux de se rencontrer. On comprend vite qu’elle ne parle pas français quand Inoxtag doit lui dire "Sit down", après un "Assieds-toi" pour qu’elle s’installe sur sa chaise.

Inoxtag se tourne vers l’écran de stream et s’exclame "C’est la meuf la plus fraîche que j’ai vue de ma vie, elle a 29 ans et je suis encore puceau ! Et c’est moi qui vais la soulever !". "Nan j’rigole" s’empresse-t-il d’ajouter envers elle, qui continue de sourire sans comprendre ce qui vient d’être dit. Et de préciser, alors qu’elle se demande ce qu’il dit, "I say, you’re beautiful, and I like you".

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Les gens présents autour rigolent, n’interviennent pas face au sexisme flagrant de cette scène. Alors ça ne s’arrête pas là, tandis que le compteur de viewers, et Inoxtag, s’emballent. Il lui fait répéter, en français : "Ines (le vrai nom du streamer), tu as une grosse bite". "What did you make me say ?" demande-t-elle le voyant éclater de rire. Et de laisser entendre, un peu après, que s’il fait ce qu'il faut pour qu'elle passe un bon moment lors de son passage à Paris "c’est sûr qu’après on va faire l’amour".

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"Le record de viewers, mais à quel prix ?"

Face à ces frasques sexistes et misogynes, une streameuse, Ultia, elle aussi en direct pour le Zevent, s’insurge contre la "performance" d’Inoxtag, et demande au créateur de l’événement, ZeratoR, de faire cesser le stream d’Inox. "Mais c’est une blague ! Je suis scandalisée en vrai" quand on lui apprend qu’il a battu le record du nombre de viewers simultanés. "Ah bah, sous couvert de blague, on peut en dire des choses homophobes, sexistes, racistes… C’est très facile de dire que c’est une blague. Le record de viewers, mais à quel prix ? "

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Harcèlements et menaces vont déferler sur ses comptes de réseaux sociaux suite à sa réaction face au comportement d’Inoxtag. Comme beaucoup de femmes avant elle, Ultia est obligée de passer temporairement son compte Twitter en privé, déclarant avoir reçu des menaces de mort et de viol. Il faudra attendre plusieurs heures avant que les autres streamers ne manifestent leur soutien et que l’organisateur, ZeratoR, ne fasse une déclaration, en précisant qu’ils "ne peuvent pas toujours contrôler l’escalade", en condamnant le harcèlement subi par Ultia. Ouest-France a pu garder une trace d'un tweet supprimé où l'on voit que l'organisateur du stream caritatif, a, dans un premier temps, décrit la situation comme un "pseudo-drama". Du comportement d’Inoxtag, il en sera peu question. Beaucoup considèrent que ses excuses auprès d'Ultia, d'Andrea Pedrero et ses explications en direct, suffisent. Inox s’est exprimé lors de son stream, disant que s’il a déclaré ça, c’est du "second degré" et qu’ils sont "amis" et qu’ils se parlent "souvent au téléphone". "J’passais un bon moment et j’ai juste rigolé tu vois. On m’a dit qu’il y avait des gens qui le prenaient trop au sérieux et tout."

A aucun moment, un communiqué officiel de l'événement n'a dénoncé clairement les propos sexistes, ou annoncé l'intention d'établir, dans le futur, des règles, un code de conduite des streamers, une charte, pour éviter que ça ne se reproduise.

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Le sexisme, l’homophobie et le racisme sont toujours bien présents dans le monde vidéoludique, que ce soit dans certains jeux vidéo ou dans les pratiques vidéoludiques périphériques, notamment les vidéos YouTube ou les streams. Début 2021, une vague de soutien avait déferlé envers la streameuse belge Manonolita, victime depuis plusieurs mois de menace de viol, de mort envers elle et sa famille, et harcèlement en ligne incessants. En écho de l’enfer que vivent de nombreuses femmes actives sur Twitch.


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Au sein des studios de développement de jeux vidéo, les problèmes de ce type sont aussi bien présents. Les révélations d’agressions sexuelles, racisme et sexisme au sein de gros studios comme Ubisoft en 2020, et Blizzard en 2021 ne sont que la pointe de l’iceberg… Tandis qu’une partie de l’industrie se réinvente afin de sortir de ces mentalités, en voulant créer des environnements de travail respectueux et inclusifs, et créer des jeux vidéo représentatifs de nombreux imaginaires.

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