Belgique

"Je reçois des messages de haine tous les jours", quand le travail des journalistes est entravé par la peur

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Par Aubry Touriel

La VVJ, l’association flamande des journalistes professionnels, dénonce l’augmentation inquiétante des agressions envers les journalistes. Messages de haine, agressions, intimidations via des photos partagées sur les réseaux sociaux… de plus en plus de journalistes subissent des pressions en Belgique.

" En 2019, nous avons reçu une petite quinzaine de signalements. Nous en avons reçu 20 en 2020 et 25 en 2021 ", explique le secrétaire national, Pol Deltour dans De Standaard, traduit par le site DaarDaar. L’association flamande des journalistes (VVJ) assiste depuis trois ans à une augmentation du nombre de signalements d’actes de violence.

" De plus en plus de journalistes refusent même de couvrir sur place les manifestations contre les mesures sanitaires ou de signer leurs articles ", ajoute Pol Deltour.

Ma photo était accompagnée d’un texte : 'si vous la voyez, n’hésitez pas à lui faire du mal'

C’est le cas de Samira Atillah, journaliste au quotidien De Morgen. Elle a refusé de se rendre à la manifestation contre les mesures sanitaires dimanche dernier car elle avait vu sa photo circuler dans des groupes privés de manifestants sur Facebook. " Ma photo était accompagnée d’un texte : si vous la voyez, n’hésitez pas à lui faire du mal ", témoigne la journaliste.

Quelques jours auparavant, elle exprimait déjà sa détresse sur Twitter face à l’avalanche de menaces dont elle est victime : " Je ne veux pas trop vous accabler avec mes complaintes sur les messages de haine que je reçois. Je poste un message de temps en temps à ce sujet. En vérité, je reçois tous les jours des messages de haine. Y compris des menaces de mort, comme hier et ce week-end ? "

Problèmes d’insomnie

Ce mardi, la journaliste qui a commencé sa carrière dans le média indépendant Apache, est venue témoigner dans l’émission De Wereld Van Sofie sur Radio 1 (VRT).Ça a un impact sur ma vie. Je reçois des messages de haine sur les réseaux sociaux et via mail, j’ai reçu aussi des appels téléphoniques anonymes de menace. "

Samira Atillah trouve que le phénomène s’est intensifié ces dernières années, notamment avec la crise covid-19. Il y a quelques mois, elle a suivi l’affaire de l’ancien militaire Jürgen Coninx comme tous les journalistes.

Elle a rédigé un papier où elle expliquait dans quelles organisations Jurgen Coninx était actif. " Ça a été un élément déclencheur pour m’attaquer. J’ai reçu des appels avec une voix de robot qui me disait qu’il savait où j’habitais, qu’il allait venir me chercher. À ce moment-là, j’ai vraiment eu peur. "

Ces messages quotidiens ont un impact important sur sa vie et la qualité de son sommeil : " Si j’écris un article sur un sujet sensible, je suis plus nerveuse et angoissée. J’en ai des insomnies. Je regarde toujours derrière moi quand je me rends quelque part. J’imagine que ce n’est pas le but de quelqu’un qui veut simplement faire son métier… "

Le ministre flamand des médias, Benjamin Dalle (CD&V), a réagi au témoignage de la journaliste sur Twitter :

Témoignage émouvant et courageux de Samira Atillah dans De wereld van Sofie sur Radio 1. Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail sans craindre la violence, la haine ou les menaces. " " Il est très important de signaler toute forme de haine ou de harcèlement à la permanence téléphonique (meldpunt) du VVJ. "

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Journalistes = ennemis ?

Le nombre de violences envers les journalistes signalées sur la plateforme du VVJ ne cesse d’augmenter ces dernières années. Dernier exemple en date : dimanche passé, le photographe de presse Kristof Vadino du Standaard couvrait par exemple la manifestation contre les mesures sanitaires à Bruxelles. Après sa journée de travail, il est rentré chez une lésion grave au genou, il est en incapacité de travail.

Les violences et la diffusion de messages de haine envers les journalistes ne sont pas l’apanage des médias flamands. Le week-end dernier, une équipe de la chaîne de télévision locale BX1 s’est aussi fait agresser alors qu’elle filmait des manifestants en train de déchausser des pavés lors de la manifestation contre les mesures sanitaires.

Fin décembre, notre collègue Eric Boever a été attaqué par des manifestants à la suite d’une autre manifestation contre l’obligation vaccinale. D’abord traité de "collabo" par des jeunes très remontés, le journaliste RTBF a ensuite été encerclé par une vingtaine de manifestants. Il a reçu à ce moment-là du spray au poivre dans les yeux.

La secrétaire générale Martine Simonis ne cachait d’ailleurs pas son inquiétude face à la montée de violence dans un précédent article d’Inside (RTBF) : "On doit faire le constat d’un climat hostile, de menaces. Avant, on avait des événements sporadiques lors de manifs qui tournent mal. Des cas isolés. On a aujourd’hui beaucoup plus un mouvement de fond qui vise les journalistes. Donc avec des groupes qui pensent qu’il faut agresser des journalistes. Que les journalistes sont leurs ennemis. Ces groupes sont très minoritaires mais très actifs et très visibles dans l’espace public".

Après ses témoignages dans les médias, la journaliste Samira Atillah garde tout de même espoir : "J’ai attiré l’attention de ministres belges et de dirigeants européens qui m’ont contactée. Espérons que quelque chose va bouger pour tous les journalistes de notre pays."

Les violences physiques envers la presse

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