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JAZMYN : “J’ai encore du mal à parler de santé mentale via la parole, j’ai plus de facilité à le faire en musique”

© Lina Wielant

Par Diane Theunissen via

Si vous aimez le jazz, la soul et Bruxelles, vous tomberez à coup sûr sous le charme de JAZMYN. Une artiste à la voix grave et envoutante qui, entourée de ses musiciens, vous emmène dans un univers hybride et singulier : un monde où les paroles touchantes et les suites d’accord sirupeuses se mêlent aux mélodies fracassantes, et où chaque silence a son importance. Étoile montante de la scène néo-soul locale, JAZMYN a remporté il y a quelques semaines le deuxième prix du Concours-Circuit, et ouvrira le bal du Chouette Festival jeudi soir à l’Antidote. Pour l’occasion, on a pris un café et on a (beaucoup) papoté : injonction à la productivité, plaisir de travailler en groupe ou encore processus d'écriture et pannes d'inspiration, tout — ou presque — y est passé. Rencontre. 

Tu as lancé ton projet musical il y a un peu plus d’un an. Comment est-ce que tu en es arrivée à faire de la musique ? Quelle est la place de la musique dans ta vie ?

J’ai un papa qui est mélomane, il y a toujours eu de la musique chez moi quand j’étais gamine. Ça a toujours été quelque chose que j’aimais beaucoup. J’ai toujours voulu chanter mais je n’ai pris aucun cours de chant avant très, très tard. Mes parents m’emmenaient souvent en concert, j’allais beaucoup à la médiathèque aussi. J’avais aussi la possibilité de créer mes goûts musicaux à moi, en écoutant de nouvelles choses. Ça me passionnait : j’étais tout le temps avec mon Walkman, mon Discman (avec la petite pochette avec les CDs), et puis mon fameux MP3. J’ai toujours voulu faire du chant, pendant longtemps je n’ai pas osé puis mon père m’a emmenée à Londres quand j’avais 17 ans, juste pour le weekend. Je suis tombée amoureuse de la ville, j’ai vraiment adoré. Mon objectif était clair : pouvoir faire une école de musique à Londres après avoir terminé les secondaires. J’ai cherché une école qui était relativement payable, et j’ai trouvé l’ICMP. J’ai passé une audition, j’ai été prise. J’ai fait un an là-bas. Mon option était basée sur le live, sur la performance. Le premier cours de chant que j’ai pris, c’était là-bas. 

Quel a été l’impact de Londres sur tes influences ?

En vérité, je suis assez basique au niveau de ce que j’écoute (rires). Je commence un peu à me mettre à la page, pendant des années je n'ai écouté que des artistes qui n’étaient pas du tout contemporains. Je suis une grande fan de jazz : ma chanteuse préférée au niveau de la technique vocale et du son, c’est Ella Fitzgerald. J’écoute aussi beaucoup de soul et de néo-soul, mais aussi des artistes qui sont complètement inclassables, comme Keziah Jones par exemple. J’adore le RnB aussi, je viens vraiment de cette génération RnB début 2000, ça reste parmi les choses que j’écoute le plus. À Londres, j’ai surtout découvert le plaisir de jouer avec des gens. Ça m’a sortie du RnB et tirée vers la soul et la néo-soul, justement. J’ai pu découvrir cette idée de full band : pour la première fois, je me suis retrouvée à devoir gérer un groupe. On avait des petits examens tous les trois mois avec à chaque fois il y avait un concert, c’était trop cool. Le plaisir de jouer avec les autres ne m’a plus jamais quittée. Dans la société, on a une façon de sacraliser les chanteurs : quand tu ne t’y connais pas en musique et que tu penses à chanter, tu ne penses pas nécessairement aux musiciens. Quand tu regardes des émissions de télé-réalité avec des chanteurs, t’as le chanteur tout devant, les musiciens tout derrière. Cette formation m’a permis de me rendre compte de ce que ça impliquait au niveau de la dynamique de groupe. Après cette année à Londres, je suis rentrée à Bruxelles. J’ai fait un an de formation au jazz studio, puis c’est tout. J’ai vécu comme une période de battement, où je n’ai pas fait beaucoup de musique.

Est-ce que cette pause t’a permis de prendre le recul nécessaire pour te mettre à écrire ?

Oui, il a fallu que je me pose. Je courrais un peu dans tous les sens, je me suis donnée a fond pour mes études mais finalement, je me suis mise assez tard à écrire. J’écrivais des textes mais j’avais vraiment du mal à écrire des chansons. Il fallait que je prenne un moment de pause après ces cinq années de course-poursuite entre le boulot et l’école. Il fallait que je prenne du temps pour moi, du temps pour me soigner et pour faire des choses juste pour le plaisir de les faire. Pas dans le but d’en tirer quelque chose. Lire des livres, prendre des cours de théâtre, regarder des films, et vraiment prendre le temps de ne pas toujours être productif. 

La fameuse productivité ! Est-ce quelque chose que tu t’imposes ?

C’est une pression qu’on ressent tous et toutes, la productivité. Mais le simple fait de vivre est suffisant ! Une journée ne doit pas toujours être remplie de plein de choses. Je pense seulement que j’avais une frustration énorme parce que j’avais tellement envie d’écrire, j’avais énormément de choses à exprimer mais j’avais vraiment un blocage sur la façon de les mettre en musique. Je pense que c’est aussi à ce moment-là que je me suis rendu compte que la musique, ce n’était pas quelque chose que je pouvais faire toute seule : il y a plein d’artistes qui font de la production, qui jouent d’un instrument, qui écrivent leurs paroles, qui font leurs choeurs, et il a fallu que j’arrive à la conclusion que ce n’était pas mon cas. Au final ce n’est pas plus mal, je suis une personne extrêmement asociale et indépendante dans tous les aspects de ma vie (rires). Le seul moment où j’ai besoin d’être avec des gens, c’est pour faire de la musique. J’aime bien le fait de créer ensemble. Mais trouver les bonnes personnes avec lesquelles collaborer, c’est quelque chose qui prend du temps. Surtout la façon dont moi je travaille, ça demande beaucoup d’investissement de la part des musiciens (rires). 

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Quel est le rôle de ton groupe au sein de ta musique ? À quoi ressemble votre processus créatif ?

Moi j’écris les paroles — c’est ce que je fais le plus naturellement —, j’écris la mélodie et une base d’accords sur un ukulélé ténor (rires). Ma chanson Golden par exemple, je l’ai écrite là-dessus. Ça a été retravaillé par quelqu’un évidemment, après. En ce moment, les chansons que je fais, elles partent de ça. Après, on va peut-être commencer un autre processus, on va partir dans l’autre sens. Moi j’écris une base d’accords, puis mon guitariste et ma bassiste passent dessus. Ils gardent des choses, ils changent des choses, ils retranscrivent la mélodie, etc. Ils participent largement à la composition des morceaux. Après on fait les arrangements tous ensemble avec mon batteur aussi. Ce sont des musiciens qui ont le temps et l’envie de s’investir, c’était pas facile à trouver (...) Certaines personnes sont clairement plus multi-taches que d’autres. Moi je ne suis pas très multi-taches (rires). Après rien n’est figé, on verra. Cette année, j’ai envie de continuer à explorer ma façon de composer, ma façon d’écrire avec eux. Ce qui va sortir comparé à ce qui est sorti il y a un an, ça n’a rien à voir. 

En décembre dernier, tu as participé à la finale du Concours Circuit. Quel a été l’impact de cette aventure sur ton évolution en tant qu’artiste ?

Honnêtement, ça a été une période très difficile. Je suivais une formation en même temps, qui s’appelle "Urban 360". J’avais 30h de cours par semaine : des cours en production, en management, en marketing, en droit, etc. Je me suis transformée en machine de guerre (rires). Le Concours Circuit se déroulait en même temps, donc ce n’était pas facile à gérer. J’étais épuisée, c’était très demandant. J’ai aussi réalisé beaucoup de choses sur l’industrie de la musique et son fonctionnement. Avec le groupe, on ne voulait pas faire la même chose à chaque fois, du coup dans le processus du concours on a apporté de nouvelles compos. Il y en a une que j’avais écrite l’été dernier, mais qu’on a vraiment arrangée ensemble à ce moment-là. Et une deuxième qu’on avait faite en septembre, entre les étapes. Ça nous a mis dans un rapport de travail très motivant : on s’est mis des objectifs, à chaque étape notre recette était différente. Il y avait une réelle évolution. Je pense que ça a définitivement eu un impact sur le processus : ça nous a fait avancer plus vite, ça nous a offert de la visibilité — envers les gens qui valorisent notre travail, pas nécessairement envers le public, étant donné que Court-Circuit reste un projet plutôt interne. Et puis il y a eu les prix : j’ai gagné des programmations en festival, j’ai été approchée par diverses agences, et puis j’ai gagné une session studio !

Que retiens-tu de cette expérience ?

C’était une très belle expérience, ça nous a aussi permis de sortir un peu de Bruxelles. Cette année j’ai fait une vingtaine de concerts mais c’était toujours à Bruxelles : le projet est neuf, il a seulement un an. Rencontrer des gens aussi, c’était super : des musiciens, des professionnels, voir comment les professionnels réagissent à la musique. On a reçu beaucoup de conseils de leur part, et la journée de formation à laquelle on a participé était super intéressante. Puis jouer au Botanique, c’était un rêve d’enfant ! J’habitais juste en face du Botanique quand j’étais petite et j’avais déjà envie d’y jouer. 

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Tu joues au Chouette Festival en février. À quoi peut-on s’attendre ?

Au niveau du set, ça va être dans la même lignée de ce que j’ai pu présenter jusqu’ici. Mais on va un peu plus loin : on travaille sur des nouvelles tracks, en espérant qu’elles seront terminées d’ici là. Ça va être la même formation, les mêmes musiciens, ça c’est clair. Ça va être super cool !

Quels sont tes plans pour cette nouvelle année ?

Aller en studio ! J’ai longtemps fuit le studio, mais maintenant je me dois d’avoir plus de matériel audio et audiovisuel. L’année dernière j’ai eu la chance de pouvoir beaucoup jouer en live, mais les gens ne venaient pas m’écouter parce qu’ils m’avaient entendue sur les plateformes (...) Au studio, je n’étais pas à l’aise. Ça ne m’amusait pas, j’avais du mal à garder l’énergie que je pouvais avoir sur scène grâce au public, grâce à mes musiciens. Mais j’ai eu pas mal de déclics là-dessus : le studio, c’est complètement différent. Là, j’ai envie de m’amuser à faire des couches, à utiliser des effets, à faire des secondes voix, etc. Pouvoir proposer une expérience complètement différente du live. 

Comment est-ce que tu comptes t’y prendre ?

Je vais travailler avec mes musiciens. On va aller en studio avec un clavieriste et on va utiliser le superbe prix qu’on a reçu de Court-Circuit pour aller au Rubens. On va travailler avec un ingénieur son aussi. Il n’y aura pas une seule personne derrière la production et les arrangements, ça va être collaboratif. Je vais donner des directions claires au niveau du son, mais on va faire ça ensemble. Il y aura de la nouveauté pour le début de l’été, d’office ! 

Est-ce que tu te sens inspirée pour le moment ?

C’est une bonne question ! Oui et non (rires). J’ai pas mal à faire au niveau organisation et management, du coup je n’ai pas toujours l’espace nécessaire pour la créativité. Pendant le Concours Circuit, j’avais envie d’écrire mais je n’avais pas le temps. Je ne me sens pas non-inspirée. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai eu peur du moment où je m’arrêterais. J’avais peut d’avoir pendant êtres longtemps des périodes sans inspiration. Ça ne m’est plus tellement arrivé. Cela dit, j’écris de façon très éparse : il y a des sujets sur lesquels j’ai envie d’écrire et souvent pendant des semaines, au cours de la journée ou de la nuit, j’écris sur mon téléphone. Je me retrouve avec une note gigantesque sur un même sujet, puis je m’assieds, je réécris tout sur une feuille de papier. Je laisse reposer pendant quelques jours, je reprends mes feuilles, je souligne ce qui m’intéresse. Et après je construis les couplet, le refrain, etc. 

Quels sont les sujets que tu abordes ?

J'écris sur des sujets intenses, en tout cas pour moi. Si dans ma vie, il n'y a pas encore eu de finalité ou de conclusion à la situation vécue, je ne sais pas terminer la chanson. Je peux passer des mois sur une chanson, là j'en ai commencée une et je sais déjà qu'elle va me prendre des plombes (rires). C'est un peu plic ploc. 

D'où est-ce que tu tires ton inspiration ?

Pour le moment, j'écris sur des choses très personnelles. J'ai déjà eu envie de m'attaquer à des sujets plus généraux, plus politiques, mais je n'y suis pas encore arrivée. Pour le moment, ce sont des sujets plus personnels. Cela dit, je pense que beaucoup de gens peuvent s'y reconnaitre. La musique pour moi, ça a été une façon d'exprimer des choses qu'on ne me laissait pas exprimer à voix haute. Des choses que l'on ne voulait pas entendre de moi, notamment quant à mon rapport à la santé mentale. Quand j'étais plus jeune, je vivais des périodes très difficiles par rapport à ça. Le fait de trouver des artistes qui en parlaient — des musiciens, des écrivains, des peintres — ça me faisait beaucoup de bien. 

Est-ce que tu considères la musique comme un exutoire ?

Oui, mais ce n'est pas facile. Les choses dont je parle ne sont pas des sujets faciles ; quand j'amène mes paroles aux musiciens, ce n'est pas évident. Mais je crois que c'est un exercice à faire : c'est hyper important de ne pas être dans le déni par rapport à soi-même, de pouvoir se dire les choses. Mais aussi pour moi. Il arrivera un stade de ma vie où si tu te poses des questions sur moi, les réponses seront dans mes chansons. Je m'applique à être profondément honnête. You, c'est une chanson qui parle de mon lit. J'ai vécu une période de dépression super intense, j'en ai régulièrement. Dans ces cas-là, le seul endroit où j'ai envie d'être, c'est mon lit. Je me suis dit "comme j'ai pas de chanson d'amour, je vais écrire une chanson d'amour à ma sauce". Au final ce n'est même pas triste, il y a un côté presque marrant. Là c'était complètement métaphorique, ce qui est rarement le cas dans mes chansons (...) J'accorde énormément d'importance aux paroles. 

Tes paroles sont exclusivement en anglais. Pourquoi as-tu fait ce choix ?

Déjà vu le style de musique que je fais, ça parait logique (...) C'est une musique qui prend ses bases dans la culture afro-américaine, comme la plupart des morceaux que j'écoute. Et donc, c'est en anglais. C'est une langue que j'aime beaucoup, et puis je me demande si le fait de parler de sujets si intimes et complexes dans une langue qui n'est pas ma langue maternelle ne rendait pas le processus plus simple. Et puis, au niveau de la musique, je sais pertinemment que mon public n'est pas nécessairement en Belgique francophone : je pense qu'il faut que j'aille chercher en Flandre et puis dans le reste de l'Europe, en Hollande, en Allemagne, etc. Au UK aussi ! La scène néo-soul britannique est superbe. Après, je n'ai pas prévu de quitter la Belgique. Jamais. J'habite dans Les Marolles, je suis folle amoureuse de mon quartier. Je vais y mourir, c'est certain. Avec mes chiens. 

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