Les différentes phases de la conceptualisation d’un projet paysager peuvent tout à fait se construire en s’inspirant de la façon dont les punks vivent dans la société, sans vouloir en suivre les règles, écrit Eric Lenoir.
Depuis quelques siècles, on a fait du jardin quelque chose qui est l’exaltation de la maîtrise par l’homme de la nature. Pour survivre, on a protégé nos récoltes des animaux, du froid, du vent. Mais ensuite, le jardinage est devenu un outil de gloire de l’humain face à la nature, c’est le cas par exemple des jardins de Versailles.
Mais nous sommes aujourd’hui arrivés à un stade où il faut penser différemment, affirme Eric Lenoir.
Il souligne aussi, par rapport à la nature, "la volonté de bien faire et le désespérant échec à y parvenir, comme dans le cas des alentours de HLM. On a besoin d’autre chose que d’une nature aseptisée, on a besoin d’une nature avec laquelle on peut recréer un lien. Avec le confinement, on s’est rendu compte à quel point la nature nous a manqué. Aujourd’hui, la priorité est d’essayer de comprendre pourquoi on fait les choses et pourquoi elles sont là."
Désapprendre pour mieux apprendre
Il faut revoir notre façon de jardiner. Dans 95% des cas, il n’y a, par exemple, aucune raison valable de tondre.
"La tondeuse est un atavisme et quelque chose de compulsif. C’est une sorte de pression sociale, c’est culturel : on a un jardin, donc il faut tondre. C’est pour cela que je parle de désapprendre, apprendre à désapprendre, c’est vraiment réfléchir au pourquoi des choses. C’est pour cela que je fais le parallèle avec le mouvement punk, qui conteste ce qui n’a pas de sens à ses yeux. "
Et pourtant, Eric Lenoir passe parfois la tondeuse dans son jardin, mais avec mesure. Il y a des règles à respecter pour avoir un jardin à l’esprit punk.
Vers un changement de mentalité ?
Les gens cherchent à maîtriser leur jardin parce qu’ils ont le souci de faire propre, de rentrer dans le moule, sinon ça les inquiète. Il faut les éduquer au changement. Il y a très clairement une évolution dans ce sens-là, observe Eric Lenoir, par le fait déjà que l’on découvre peu à peu l’ampleur du désastre de l’érosion de la biodiversité. Par ailleurs, les collectivités qui ont fait de la gestion différenciée, il y a une quinzaine d’années, qui ont laissé des parties de parcs non tondues, nous ont fait réfléchir.
"Moi je m’amuse à dire que c’est par fainéantisme que je ne tonds pas ; ça fait partie des raisons, clairement. Mais c’est aussi et surtout parce que je considère que l’espace que j’exploite à mes propres fins, qui est normalement un espace naturel, mérite que je préserve un maximum de ce que la nature voudrait y faire pousser."
Le jardin punk doit être pas cher, facile à faire, rapide à faire, facile à entretenir, autonome dans la mesure du possible, résistant aux agressions, non nuisible, écologiquement intéressant et plus beau que l’existant.
Bien sûr, on ne laisse pas tout faire, sinon ça ne s’appelle pas un jardin, ça s’appelle la nature, rappelle Eric Lenoir.
Un jardin, c’est quelque chose qui remplit une fonction pour son usager. Cette fonction est propre à chaque personne. Il faut réfléchir à ce que l’on souhaite, il faut aussi connaître les possibilités du terrain,… d’où la nécessité de prendre le temps d’observer avant de se lancer.
"La première chose, c’est de ne rien faire", c’est d’observer son jardin, de faire comme le punk installé dans la rue avec son chien, qui connaît mieux tout ce qui se passe dans la rue que le simple passant.
Il est intéressant de laisser vivre le jardin pendant une année pour relativiser ses besoins, pour voir comment on y vit. "Parce que quand on arrive devant une page vierge, on a tendance à reproduire ce qu’on a appris, c’est culturel, on est formaté. Ce temps de réflexion permet de poser les bonnes bases, de reconsidérer le désordre et ne plus maîtriser les conditions extérieures."
Toutes les initiatives qui vont dans le sens de ramener le végétal au coeur des villes sont louables, comme les bacs partagés dans les rues… Cela permet au citoyen de retrouver un contact avec la nature au quotidien.
Conseils pour un jardin de ville
Faites sauter le béton, les briques, les pavés ! Remplacez-les par des plantations variées, exhorte Eric Lenoir. Observez, repérez la nature du sol, cherchez où est l’ombre, la lumière, l’humidité,… voyez ce qui pousse spontanément et qui est parfois très joli.