C’est l’un des grands critiques littéraires qui vient de s’éteindre. Auteur lui-même, longtemps critique au Soir et Secrétaire Perpétuel de l’académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, Jacques De Decker fut aussi présent à la RTBF, dans diverses émissions, dont Mille-Feuilles, où il fut chroniqueur durant six ans.
Il était capable de s’enflammer pour une phrase, un texte, une voix. Jacques De Decker fut sans doute le plus grand passeur de mots de ces quarante dernières années en Belgique. La longévité de sa carrière, la pertinence de ses avis, la justesse de sa plume, le poids de ses critiques restent à ce jour inégalés dans le petit milieu des lettres belges. Homme de culture, mais aussi - et peut-être surtout, de cultures, avec un "s". Car ce féroce érudit de lettres belges n’a jamais cessé de pousser la curiosité au-delà des frontières de genres ou de langues. Traducteur, germaniste passionné, il défendait le français tout en se délectant de l’anglais, de l’allemand ou du néerlandais. Et pouvait aussi bien se passionner pour une pièce de théâtre que pour une nouvelle, pour une bande dessinée que pour un grand roman picaresque médiéval.
Brillait dans l’œil de Jacques De Decker un mélange de malice et de séduction qui le rendait magnétique. Il savait captiver son auditoire. En l’élevant, en le tirant toujours vers le haut, vers la réflexion. Ce qu’il cherchait au fond, derrière le beau, c’était le sens de la vie. Et cette quête l’a mené à se pencher sur les mots des autres plus qu’à exercer sa propre plume. Il y a peu, la manière dont il s’est investi pour remettre en avant l’écrivain belge José-André Lacour en était un exemple frappant. Il avait précédé la réédition du Rire de Caïn d’un texte vibrant en 2019, à La Table Ronde. Pourtant, De Decker était lui aussi un auteur. De théâtre et de nouvelles, surtout, les genres dans lesquels il excellait.
Durant six années, Jacques De Decker fut à mes côtés dans le studio de Mille-Feuilles, à Charleroi. Chacune de ses interventions brillait d’intelligence et d’enthousiasme. Je n’oublierai jamais son lyrisme à propos du premier roman de Tom Lanoye traduit en français par Alain van Crugten, La Langue de ma mère. Ni l’amour qu’il portait au style de Lydia Flem (Comment j’ai vidé la maison de mes parents, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais à mes vingt ans,…) ou à celui de Véronique Bergen (Kaspar Hauser, Tous doivent être sauvés ou aucun,…) deux romancières qu’il a largement contribué à faire entrer à l’Académie royale de langue et littérature françaises, dont il fut jusqu’il y a peu le Secrétaire Perpétuel. Une voix s’est éteinte. Et avec elle, une page se tourne.