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Istanbul: le calme est revenu sur la place Taksim

Istanbul:  les manifestants ont à nouveau investi mardi soir la place de Taksim. Les policiers turcs les ont attaqués à coup de tirs de gaz lacrymogènes

© AFP PHOTO / BULENT KILIC

Par AFP

Peu avant 05H00, alors que l'appel à la prière du muezzin montait dans les rues menant vers le Bosphore, plusieurs camions-poubelle achevaient de ramasser douilles de gaz lacrymogènes, détritus et restes des barricades qui, huit jours durant, ont bloqué tous les accès à la place Taksim et au parc Gezi, l'espace vert à l'origine de la fronde des manifestants.

Des camionnettes de la municipalité, munies de puissants balais-brosse, s'activaient sur toute la place tandis que les services de la voirie nettoyaient à la lance à incendie le bitume de la place.

Les policiers et leurs véhicules blindés étaient regroupés devant le centre culturel Ataturk, un immense bâtiment noir qu'ils avaient repris mardi matin peu avant 08H00 en investissant la place Taksim en force.

Au pied du monument de l'Indépendance, à l'autre bout de la place, plusieurs unités de policiers se reposaient ou dormaient.

La célèbre rue Istiqlal, théâtre d'affrontements dans la soirée, était également vidée de ses manifestants et les vendeurs de sandwichs toujours ouverts. Certains policiers s'y restauraient.

Turquie: le jour se lève Place Taksim

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Une journée d'affrontements

Malgré les mises en garde du Premier ministre Recep Erdogan, les manifestants avaient à nouveau investi mardi soir la place Taksim. Les policiers turcs les ont repoussés à l'aide de gaz lacrymogène et d'autopompes, au terme d'une journée d'affrontements avec les contestataires et une première évacuation mardi matin.

Au douzième jour de la contestation née autour d'un projet immobilier visant à bâtir un centre commercial ou un musée de style "caserne ottomane" sur un petit parc Gezi jouxtant la place de Taksim, les choses avaient pris une tournure plus tendue, alors que le Premier ministre a annoncé qu'il ne tolérerait plus la contestation.

Mardi jour de grand nettoyage

Peu après 7h30 locales mardi, les forces de l'ordre sont intervenues manu militari sur la place, repoussant des centaines de protestataires qui y avaient passé la nuit en tirant des grenades lacrymogènes ou des billes de plastique et en utilisant des canons à eau.

Après trois heures d'échauffourées, les forces de l'ordre sont parvenues à éloigner les contestataires du centre de la place. La plupart des drapeaux et des banderoles qui hérissaient Taksim ont été rapidement enlevés et des pelleteuses ont démantelé les barricades érigées dans la plupart des rues menant à la place.

La police a investi le parc Gezi, et chassé les occupants. Mardi après-midi, la tension est remontée d'un cran. Des groupes de manifestants casqués et équipés de masques à gaz ont riposté par des jets de pierre et de cocktails molotov.

Hier soir, la police s'étant retirée sur les bords de la place, des milliers de personnes l'ont à nouveau occupée. Mais au coucher du soleil, la police les a repoussés à coup de grenades lacrymogènes et d'arroseuses. Plusieurs petits foyers d'incendie étaient visibles sur la place.

Le parc Gezi transformé en hôpital de campagne
 
Si les policiers anti-émeute ont pris le contrôle de la place Taksim adjacente à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau, ils ne sont pas entrés dans le parc. Malgré les nuages de gaz qui l'ont envahi, de nombreux blessés affluaient dans un des quatre centres de premier soin qui y ont été installés.
 
L'arrivée de blessés "urgents", portés sur des brancards de fortune, y était annoncée par un coup de sifflet. "Au cours de la dernière heure, environ 25 blessés sont passés par notre centre avant d'être transportés par ambulance vers des hôpitaux", a expliqué une infirmière volontaire, parlant sous couvert de l'anonymat. "Il s'agit principalement de brûlures, de personnes qui ont été touchées par des grenades lacrymogènes, à la tête ou ailleurs, de personnes qui sont tombées, de fractures, de crises d'asthme, de points de suture à poser", a-t-elle précisé à l'AFP.
Autour de la place, les combats se poursuivaient en fin de soirée dans les petites rues, les policiers répondant à coups de gaz lacrymogènes aux pierres lancées par des petits groupes de jeunes Turcs. 

La police investit la place Taksim à Istanbul

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Le gouverneur d'Istanbul a assuré mardi soir que la police turque poursuivrait ses opérations jour et nuit jusqu'à la fin de l'occupation de la place : "Nous allons poursuivre nos actions de manière inlassable, que ce soit le jour ou la nuit, jusqu'à ce que les éléments marginaux soient chassés et que la place soit rouverte au peuple", a déclaré Huseyin Avni Mutlu à la télévision.

Des manifestants téléguidés par les autorités?

Certains occupants de la place de Taksim, contactés par la RTBF, réfutaient mardi tout acte de violence de la part des manifestants. "Depuis le début des manifestations, il n'y a eu aucune action avec des cocktail Molotov ou des choses de ce genre de la part des manifestants", expliquait un occupant de la place. Ils affirmaient que les autorités auraient elles-même organisé les débordements. "Depuis quelques heures, des photos circulent sur les réseaux sociaux, montrant ces soi-disant manifestants qui sont en fait munis de talkies-walkies", ajoutait-il mardi.

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Une cinquantaine d'avocats interpellés

La police a interpellé mardi une cinquantaine d'avocats qui protestaient contre l'intervention dans la matinée des forces de l'ordre contre les manifestants occupant la place de Taksim, a annoncé leur association.

En grève depuis le début de la fronde, il y a douze jours, ces avocats se sont réunis dans l'enceinte du palais de justice d'Istanbul pour dénoncer la police, qui a repris manu militari le contrôle de la place de Taksim, aux cris de "Taksim est partout", "la résistance est partout", a raconté à l'AFP une avocate ayant requis l'anonymat.

La police est alors intervenue dans le palais de justice pour les en déloger. Après de brèves échauffourées, une cinquantaine de manifestants ont été interpellés, a rapporté l'Association des avocats contemporains.

Voir la vidéo sur le site de Milliyet ainsi que celle twittée par un témoin

Dans un commentaire publié sur sa page Facebook, le président des barreaux de Turquie, Metin Feyzioglu, s'est ému de ces arrestations. "Nous nous rendons (d'Ankara) à Istanbul pour rencontrer les autorités sur place", a dit Me Feyzioglu. Les avocats sont fréquemment la cible des autorités turques.

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"On ne vous touchera pas"

Le gouverneur d'Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, avait assuré que l'objectif de l'opération n'était pas de chasser les manifestants du parc. "Notre intention est d'ôter les pancartes et les dessins sur la place. Nous n'avons pas d'autre objectif", a déclaré Hüseyin Avni Mutlu sur Twitter. "On ne touchera en aucun cas au parc Gezi et à Taksim, on ne vous touchera absolument pas. A partir de ce matin, vous êtes confiés à vos frères policiers", a également affirmé le gouverneur, appelant les manifestants à "rester à l'écart des possibles méfaits" de provocateurs.

Combats sur la place Taksim à Istanbul

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"Est-ce que vous pouvez croire ça ? Ils attaquent Taksim et nous gazent alors qu'ils ont proposé hier soir de discuter avec nous ?", s'était interrogé Yulmiz, un manifestant de 23 ans. "Nous n'abandonnerons pas le parc", avait-il assuré, "ils peuvent envoyer des milliers de policiers s'ils veulent".

Le Premier ministre : "Plus de tolérance"

"Le parc Gezi est un parc, pas une zone d'occupation. J'invite tous ceux qui sont sincères à se retirer", avait lancé Recep Tayyip Erdogan lors d'un discours devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP), quelques heures après que la police eut repris le contrôle de la place Taksim d'Istanbul, près du parc Gezi. "Nous ne montrerons plus de tolérance" envers les manifestants qui réclament depuis douze jours sa démission, avait-il affirmé. "Ils (les manifestants) rendront des comptes pour ce qu'ils ont fait, je vous l'assure", avait-il aussi promis, ovationné par ses élus et ses partisans.

Les manifestations à travers la Turquie ont coûté la vie à quatre personnes, trois manifestants et un policier, a déclaré aussi le Premier ministre. "Trois jeunes et un policier ont perdu la vie dans les événements", a-t-il dit devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP). L'Association turque des médecins (TBB) a revu son bilan précédent de trois morts, confirmant mardi le bilan du Premier ministre.

Quatre morts et presque 5000 blessés

Le quatrième mort serait un ouvrier de 26 ans, blessé à la tête lors d'une manifestation dans la capitale Ankara, et proclamé plusieurs fois mort par les médias ces derniers jours. Selon les médias turcs, il a été touché à la tête par plusieurs coups de feu tirés par la police, un scénario qui n'a pas été confirmée par les autorités.

Selon la TBB, les troubles qui secouent la Turquie depuis 12 jours ont fait, outre ces quatre morts, un total de 4947 blessés. La TBB a fait en outre état mardi d'un ouvrier de 47 ans foudroyé par une crise cardiaque en marge des manifestations le 5 juin à Ankara et a annoncé enquêter pour savoir s'il s'agissait d'un décès lié à l'usage des gaz lacrymogène par la police.

La reprise, symbolique, de la place Taksim intervenait au lendemain de l'annonce d'une rencontre, prévue ce mercredi, entre Recep Tayyip Erdogan et des représentants de la contestation, qu'il a présentés à longueur de discours comme des "pillards" ou des "extrémistes". Plusieurs représentants reconnus des manifestants ont cependant affirmé n'avoir jamais reçu d’invitation pour cette rencontre. Ils soupçonnent le gouvernement d'avoir choisi ses interlocuteurs, et déclarent qu'ils ne se rendront pas à la rencontre.

RTBF avec agences

Dans l'onglet audio: notre correspondant à Istanbul Jérôme Bastion raconte l'opération de police sur la place de Taksim.

Turquie : la place Taksim evacuée

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