Belgique

Isolement, fin de vie, coronavirus : ce que les vieux ont à nous dire

Caroline Smissmans vit depuis plusieurs années en maison de repos et s’y sent bien.

© Africa Gordillo – RTBF

Par Africa Gordillo, Miguel Allo & Diego Verheyen

Pandémie de Covid-19, gestion dans certaines maisons de repos… les personnes âgées n’ont pas vraiment été épargnées ces deux dernières années, victimes de décisions prises en leur nom, tantôt pour leur bien, tantôt par souci de rentabilité à tout prix, tantôt…

Etonnamment, leur prise de parole est rare. La Belgique comptait pourtant 2.202.684 personnes de plus de 65 ans au 1er janvier 2021, soit un peu moins d’un habitant sur 5. Est-on déclassé, passé un certain âge ? Les vieux portent-ils une date de péremption qui les empêche de parler ? Deux fois non. D’ailleurs, quand on leur tend le micro, ils le saisissent. Et si on les écoutait ?

Marthe Drouot a été malade du Covid-19 pendant la première vague. Elle a vu la mort de près. Elle vit en maison de repos.
Gisèle Rabiller vit en maison de repos.
Marie-Louise De Leneer ne voit presque plus à cause de la macula. Elle vit en maison de repos.
Mohamed Meggour, 61 ans, vit en maison de repos depuis qu’il a perdu l’usage du bas du corps, après un accident de voiture.
Carme Van den Berge souffre de polyarthrite évolutive et vit en maison de repos.

Une population âgée

Bien avant le premier confinement lié à l’épidémie de Covid-19, mi-mars 2020, ils étaient nombreux à se rendre en maison de repos et plus nombreux encore à continuer à vivre à la maison. Plutôt "elles" que "ils" d’ailleurs puisque l’espérance de vie des femmes est plus longue que celle des hommes, comme en attestent les dernières statistiques au 1er janvier 2021 publiées par Statbel. Le constat est frappant à partir de 75 ans : parmi les 1.032.285 personnes de plus de 75 ans, 60% sont des femmes. Un coup d’œil sur la population belge de centenaires finit de nous éclairer : les femmes représentent 84,8% de cette catégorie d’âge (1522 en chiffres absolus).

Au-delà de la réalité chiffrée, se profilent autant de vies qui, bien souvent, se ressemblent, se répondent, se complètent. Parmi ces histoires, celle de Marie-Louise De Leneer. Comme beaucoup d’autres personnes de la maison de repos de Rebecq que nous rencontrons, elle est assise sur une chaise située à côté de la fenêtre. Dans le cas de Marie-Louise, cette ouverture vers le monde extérieur est gênée par la macula qui la rend progressivement aveugle. De sa fenêtre ouverte, cette dame de 90 ans sent le souffle du vent et devine les ombres au loin.

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"C’est un mouroir ici"

Ces problèmes de vue ont sonné la fin de l’autonomie pour Marie-Louise de Leneer : "Je n’avais pas le choix", souffle la vieille dame. Et elle lance sans crier gare : "Je sais que c’est un mouroir ici. Dites ce que vous voulez mais c’est un mouroir. On vient pour mourir. Ici, il y a des gens de cent ans et plus même… On n’a pas le choix dans la vie". Il n’y a ni colère ni reproche dans la voix de Marie-Louise mais une sorte de résignation. "Je trouve ça bien les maisons de repos parce que, à un certain âge, on est parfois difficile…".

Par "difficile", cette douce nonagénaire veut nous signifier ses problèmes de santé et sa perte d’autonomie. Elle se qualifie volontiers de maniaque et explique qu’elle avait son propre rythme de vie : une lève-tôt et une couche-tôt avec une journée réglée "comme une horloge" entre les deux.

En arrivant à la Résidence d’Arenberg à Rebecq, elle a dû s’adapter, non sans difficulté au début : "Je dois parfois attendre pour être lavée. Je ne suis pas seule ici ! C’est parfois difficile. Je dois m’adapter à un règlement", souffle-t-elle avec une certaine sagesse.

Roger Salesse vit avec son épouse Raymonde à la maison.
Raymonde et Roger Salesse.
Raymonde Gilquin souffre de la maladie de Parkinson.

Quand le corps vieillit

Disposer de son temps à sa guise est plus facile chez soi. Mais vivre seul à la maison passé un certain âge n’est pas toujours une sinécure. Roger Salesse, 84 ans, et son épouse Raymonde Gilquin, 82 ans, savent de quoi il en retourne.

Ils vivent toujours dans la jolie maison de Casteau qu’ils ont eux-mêmes construite en 1962. Depuis trente ans toutefois, leur vie a basculé lorsque la maladie de Parkinson a été diagnostiquée chez Raymonde et que les problèmes neurologiques ont progressivement altéré sa parole, sa mobilité et son moral.

"Nous sommes confinés depuis dix ans", confie Roger, calé dans son fauteuil dans le salon. Raymonde est assise près de lui. Ces deux-là ne savent pas vivre l’un sans l’autre, c’est une évidence. "Avant, on allait au restaurant, au cinéma, en vacances et depuis une dizaine d’années, nous ne bougeons plus. Nous sommes ici, c’est tout", lâche Roger. La maladie a rogné sans ménagement leur périmètre de vie. Ils ont la chance d’être bien entourés et aidés : deux filles et des petits-enfants aux petits oignons et un voisin "exceptionnel".

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C’est là que Raymonde se lève et marche, de manière quelque peu saccadée, jusqu’à la cuisine. Roger baisse la voix et dit doucement, sur le ton de la confidence : "C’est triste… C’est pire que si j’étais en maison de repos […]. Si j’étais en maison de repos, j’aurais des gens à qui parler tandis qu’ici, je suis tout seul avec mes bouquins, c’est tout. Elle le sent aussi. Elle a mal dans les bras, dans les mains et on ne sait rien y faire".

S’il avait l’occasion, Roger partirait en maison de repos. Mais Raymonde ne veut pas quitter leur maison et lui ne partira jamais sans elle. Cette confidence n’est pas prononcée avec rancœur. Roger n’éprouve pas de ressentiment envers Raymonde. Au contraire, le vieil homme explique avec tendresse que son épouse a besoin de lui. "Je reste ici avec elle. Quand elle est au lit, je dois la couvrir… Non… Non… On fera tout le nécessaire pour qu’elle reste le plus longtemps possible ici".

C’est alors que Raymonde revient et s’installe à nouveau près de son mari. Roger, lui, quitte le ton de la confidence sans presque s’en rendre compte et dit à haute voix, bien audible pour que son épouse l’entende : "De toute façon, en maison de repos, nous ne partirons jamais hein fille…".

La pandémie et l’isolement

Jeanine Kasza a également 82 ans mais une vie complètement différente. Elle est en bien meilleure santé même si elle se déplace avec une canne. Jeanine habitait dans sa maison de Liberchies lorsque, voici trois ans, elle a décidé de louer un appartement au sein de la Résidence Services Saint-François à Soignies, à proximité de la maison de son fils. Un petit appartement qu’elle qualifie volontiers de "minouche" dans lequel elle est totalement indépendante. Il est lumineux, joliment décoré. Jeanine, elle, est pétillante, pleine de vie, un sourire scotché sur le visage.

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"Je suis tout à fait autonome. Je suis ici comme chez moi et je fais ce que je veux", commence Jeanine. "Je reçois qui je veux et je trouve que c’est magnifique. Je ne suis jamais seule et c’est ce que je voulais parce qu’à mon âge, c’est triste. Mais j’ai souvent la visite de mes petits-enfants. Je me suis fait des amis aussi".

Bien sûr, la pandémie a chamboulé tout ça. Jeanine Kasza rêvait d’indépendance et le Covid-19 l’a isolée. "Il y avait une certaine réserve. On disait : attention n’embrasse pas les enfants, ne fais pas ceci ou cela". C’est là que la vieille dame alerte nous confie qu’elle n’a plus embrassé son fils depuis trois ans et enchaîne : "Un jour, je vais sauter sur lui, le prendre par le cou et lui donner un petit bisou ! ". Elle a conscience d’être vaccinée et d’être davantage protégée mais ajoute "Je reste prudente et je respecte les autres et surtout ma famille".

La souffrance et la peur de mourir

Beaucoup de personnes âgées, une catégorie fragile de la population, ont souffert du coronavirus. Beaucoup en sont mortes. La première vague de la pandémie au début du printemps 2020 a laissé des traces, notamment chez Marthe Drouot, 94 ans, elle aussi une résidente de la maison de repos de Rebecq. Une très vieille dame toute en rondeur qui respire la gentillesse. "J’étais fort mal. J’ai eu le covid et pour finir, on ne savait plus quoi. On m’a transportée à l’hôpital […] où je suis restée trois semaines. Ma fille téléphonait tous les jours et donnait ensuite des nouvelles à la maison de repos", explique-t-elle lentement.

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Marthe Drouot se souvient très bien de son départ vers l’hôpital : "Quand je suis partie d’ici, j’étais devant et tout le monde avait de l’eau dans les yeux. J’ai été fort malade. Mais je suis revenue trois semaines plus tard et ils étaient contents de me revoir". Marthe raconte aussi sa peur de mourir. "Je suis partie en croyant que je ne reviendrais pas… J’ai fait des efforts… Je me suis dit 'Marthe, tu ne peux pas partir !". Mais elle reconnaît que beaucoup de "choses" ont changé et que "l’on n’est plus comme avant parce que l’on pense à ce qu’on a vécu".

Choisir de vivre en maison de repos

Contrairement à Marthe Drouot, Caroline Smissmans, déclare ne pas avoir peur du Covid-19. Sa vie n’est pas un long fleuve tranquille. A 87 ans, cette dame au caractère fort reste profondément marquée par la mort de sa mère alors qu’elle était enfant. Très tôt, elle a appris à vivre en pension. Alors, vivre en maison de repos semble assez naturel et elle se plaît à la Résidence d’Arenberg.

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"Les filles sont gentilles, celles qui viennent nous soigner par exemple. Il y en a une qui vient me laver tous les matins. Je peux tout lui demander, elle est là tout de suite. Même quelques fois, quand elle a terminé son travail, elle vient crier "je suis partie Caroline et je reviens demain !". Ce témoignage est aux antipodes de certains autres, notamment mis en évidence dans le scandale Orpea. Il indique simplement la multitude des situations. Une maison de repos n’est pas l’autre…

Caroline Smissmans nous raconte qu’elle a totalement confiance dans la maison de repos, dans les médecins : "Si je pouvais vivre encore quelques années… Je suis bien devant ma petite fenêtre. Je vois tout. Les gens me font signe. J’aime bien ça". Et Caroline rit de bon cœur. Quand elle parle de la pandémie de Covid, elle ajoute dans un souffle, un brin énervée : "Je m’en fous de ce qui se passe. J’ai tellement eu des misères. J’ai eu des poux, des "ci", des "là". J’ai été opérée des amygdales et mon papa ne le savait même pas […] et j’ai guéri de tout".

Le plus dur, c’est "l’isolement"

Autre maison de repos, autre vécu : Carmen Van den Berge a éprouvé beaucoup de difficultés depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Elle souffre d’une forme de polyarthrite évolutive qui lui rend le corps douloureux. Elle a d’ailleurs été opérée à maintes reprises et a perdu l’usage de ses jambes récemment, après une chute. La dégradation de sa santé l’a poussée à vivre en maison de repos, une souffrance qu’elle cache avec difficulté. Sa voix tremble lorsqu’elle évoque sa maison, son passé.

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Elle a souffert de l’isolement de sa famille pendant les confinements, malgré son attachement au personnel de la maison de repos MMI de Soignies. Carmen ne peut s’empêcher de pleurer quand elle évoque cette période. "Ah c’était dur parce que beaucoup de personnes âgées ont eu le Covid-19 et beaucoup en sont mortes dans la résidence. A l’époque, le personnel ne savait pas nous 'raisonner' tandis qu’aujourd’hui, elles prennent le temps de parler. Mais à ce moment-là, rien du tout".

Autrement dit, l’univers de Carmen se heurtait aux murs de sa chambre quand son esprit l’emmenait ailleurs, près de sa famille qu’elle chérit. Pour passer le temps, Carmen tricotait, cousait, faisait des mots croisés. Le plus dur, c’était "le soir" quand elle se retrouvait seule avec ses pensées.

Le droit de s’exprimer et d’être entendu

Un peu plus loin dans la maison de repos vit Mohamed Meggour, un jeune vieil homme de 61 ans. Il a perdu l’usage du bas du corps à cause d’un accident de voiture. Il raconte qu’il entendait des pleurs venus des autres chambres de son étage lors des différents confinements, "surtout des femmes" apeurées et souffrant de leur isolement.

Quand on leur tend le micro, les personnes âgées – beaucoup – sont avides de raconter ce qu’elles ont vécu tant pendant la pandémie, qu’avant ou après. Elles nous ont aussi parlé de leur rapport à la mort qu’elles savent proche, qu’elles l’appréhendent ou pas. Elles déplorent parfois que d’autres parlent pour elles. Jeanine Kasza explique :"On a le droit de s’exprimer aussi. Quand je dis que je suis pour le vaccin, j’ai le droit d’être pour le vaccin. Ce n’est pas parce que je suis une personne âgée qu’on doit dire 'allez, on la vaccine et on est tranquille'. Non ! "

Écoutez le reportage "Ce que les vieux ont à nous dire" dans Transversales :

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