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Iran : un an après la mort de Mahsa Amini, que reste-t-il de la révolte ?

Mahsa Amini avait 22 ans, elle est décédée le 16 septembre 2022.

© Getty images

Par Johanna Bouquet avec Théo Renaudon

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, jeune iranienne de 22 ans a été arrêtée par la police des mœurs à Téhéran, quelques jours plus tôt. La raison ? Un voile "mal mis" qui ne répondait pas aux codes imposés par le régime. Elle n’est pas sortie vivante de cette arrestation. Sa mort a provoqué une onde de choc en Iran, mais aussi dans le monde. En Iran, des manifestations ont embrasé les rues pendant plusieurs mois, sans jamais vraiment totalement s’arrêter. Le mouvement "Femme, vie, liberté", est né dans la foulée, soutenu également par de nombreux hommes. Aux lois liberticides, s’ajoute un contexte politique et surtout économique qui n’est plus tenable pour la population iranienne. Encore moins pour la jeunesse qui ne perçoit plus d’avenir possible. Mais face à une révolte tenace, la répression du régime s’est voulue sanglante. Sans pour autant réussir à la museler.

Mahsa Amini, le voile et la police des mœurs

En septembre 2022, Mahsa Amini, originaire du Kurdistan est en visite dans la capitale iranienne, Téhéran. Elle a 22 ans. Le 13, septembre, elle est arrêtée par la police des mœurs pour "vêtements inappropriés". Elle porte un voile, comme l’impose la loi en Iran, mais celui-ci ne recouvre pas entièrement ses cheveux. Le 16 septembre, elle décède à la suite de sa garde à vue, après avoir été plongée dans le coma. La police essayera de nier les violences.

Extrait JP 18H : Eurinter : témoignage iranienne (T. Renaudon 15/09/23)

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Dans un communiqué daté du 20 septembre 2022, les Nations unies indiquent que dans les mois qui ont précédé la mort de Mahsa Amini, "la police des mœurs a multiplié ses patrouilles dans les rues, harcelant verbalement et physiquement les femmes perçues comme ne portant pas correctement le hijab, et les arrêtant". La Haute-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme par intérim, Nada Al-Nashif, appelait alors les autorités à "cesser de cibler, harceler et détenir les femmes qui ne respectent pas les règles sur le hijab".

Et c’est justement autour de cette question du voile que l’onde de choc provoquée par la mort de Mahsa Amini va s’étendre dans de nombreuses villes du pays et au-delà. Sur les réseaux sociaux, plusieurs femmes se filment en se coupant une mèche de cheveux dans les rues, sans porter le hijab, et vont même jusqu’à le brûler.

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Plusieurs artistes occidentales, comme Angèle, Marion Cotillard ou encore Pomme, vont soutenir ses femmes en se coupant également une mèche de cheveux publiquement, quelques jours à peine après le début du mouvement.

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"Les cheveux, pour toutes les religions, ça a une signification particulière", souligne Firouzeh Nahavandi, sociologue belgo-iranienne, auteure du livre, Etre femme en Iran, quelle émancipation ? Dans le sillage de la révolution iranienne de 1979, le symbole du cheveu mais également du voile est devenu central, "primordial politiquement pour l’Iran".

L’auteure explique que le "foulard qui couvre les cheveux est devenu le symbole de la protection des hommes mais surtout de la politique de la république islamique. Et je pense que c’est pour cela que ça a été tellement repris dans le monde, puisque beaucoup de femmes en guise de protestation se sont coupé une mèche de cheveux et ont montré leur solidarité avec les femmes iraniennes".

Un temps disparu, après les manifestations dans le pays, la police des mœurs, a fait son grand retour en juillet dernier. Et actuellement, un projet de loi est examiné au Parlement iranien. S’il est adopté, il augmenterait les amendes et les peines de prison pour "les femmes et les filles qui enfreignent les dispositions obligatoires sur le port du voile", rappelle les Nations-unies.
 

Femme, vie, liberté

Et pourtant depuis des mois, le mouvement de protestation s’est poursuivi, sans relâche, prenant diverses formes au cours des mois. On ne compte plus les images de ces jeunes femmes qui prennent les risques en sortant dans les rues, sans porter le voile. On se souvient, par exemple, de ces jeunes filles qui dansaient sur le célèbre titre du chanteur Nigérian Rema, "Calm down".

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Les images marquantes des jeunes, qui en courant, s'attaquer aux couvre-chef des religieux iraniens, en pleine rue ont aussi fait le tour du monde. Une sorte de geste à la fois espiègle mais en même temps très symbolique. Ce geste s'est propagé tout un temps et est devenu l'unes des multiples formes de protestation contre le régime. 

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Ces signes de protestation sont autant de représentations de ce qui devient très vite le mouvement "Femme, vie, liberté". Un mouvement rejoint aussi par de nombreux hommes. "C’est une première que ce soit les femmes qui commencent à protester en Iran. Il y a eu beaucoup de grands mouvements de protestations politiques et économiques en Iran mais cette fois-ci, ce sont quand même les femmes qui l’ont initié. Au début je pense que les hommes ont un peu tâtonné. Mais très vite, effectivement les hommes ont rejoint le mouvement", détaille Firouzeh Nahavandi.

Ce mouvement "Femme, vie, liberté", va au-delà de la situation des femmes

C’est aussi ce dont témoigne, Soheila Sokhanvari, une artiste iranienne, vivant à Londres, qui témoigne auprès de l’agence AP : "Je crois que ce qu’il y a d’important aussi à propos de ces protestations, c’est que les hommes iraniens, pour la première fois de l’histoire de l’Iran, se tenaient aux côtés des femmes, ils les soutenaient et leur montraient du respect".

Parce que la révolte en Iran a fini par dépasser la question du genre et celle du port du voile. Dans un contexte économique de plus en plus difficile, c’est tout le régime iranien qui est remis en question. Pour Firouzeh Nahavandi, c’est ainsi, "que la protestation monte d’un cran, dit-elle en ajoutant, mais la répression aussi".

Répression violente

La réponse répressive violente, elle aussi s’est maintenue tout au long des mois qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. Elle a fait 500 morts officiels, dont 71 mineurs, depuis le début de la révolte et 22.000 personnes ont été arrêtées. C’est sans compter "les personnes qui sont suicidées et les personnes qui se suicident", explique Firouzeh Nahavandi. On évoque aussi des "viols systémiques", dit la sociologue. Rappelons que la journaliste Nazila Maroufian, qui avait interviewé la mère de Mahsa Amini et avait été arrêtée à plusieurs reprises, affirmait au début du mois de septembre avoir été victime d’agression sexuelle pendant sa détention.

Au départ, la répression est forte, violente. Des journalistes et de nombreux manifestants, font état de violences, de faits de tortures et plusieurs meurent au cours de ces détentions, à l’instar du militant iranien Javad Rouhi décédé en prison. A la violence de cette répression, il faut ajouter une donnée nouvelle, "la surveillance et l’utilisation de la technologie […] avec l’utilisation massive d’outil de reconnaissance des visages, des personnes etc. C’est tout à fait nouveau, en tout cas pour l’Iran".

Je ne regretterais jamais d’avoir manifesté. Je ne fais aucune faute

Selon l’ONU, un an après le début des arrestations, "le harcèlement des femmes et des filles par l’Etat est en augmentation". Ce sont les familles de manifestants qui subissent "le harcèlement et l’intimidation" des autorités iraniennes, à grand renfort d’interpellations et de convocations, souligne l’ONU.

Dans ce contexte, de nombreux Iraniens et Iraniennes ont fait le choix de l’exil, le plus souvent en Turquie ou en Irak. C’est le cas d’Azar, qui, après avoir été emprisonnée avec sa mère et sa sœur, a fui en Irak, dans la voiture de contrebandiers. Au micro de Théo Renaudon, notre correspondant au Kurdistan irakien, elle explique : "Je ne regretterai jamais d’avoir manifesté. Je ne fais aucune faute, explique-t-elle, pour moi vivre fièrement, c’est bien mieux que de vivre dans ce régime". Mais, un après la mort de Mahsa Amini, Azar ne peut contenir son émotion quand elle explique : "je suis triste que mon pays n’ait pas été libéré, que des jeunes continuent de mourir et que personne ne nous protège. 7 mois ! 7 mois pendant lesquels ils ont tué les jeunes gens d’Iran et personne ne nous a soutenus. On a besoin d’action et tout le monde s’en fout !"

Et la répression ne semble pas vouloir s’arrêter. A la veille de l’anniversaire de Mahsa Amini, de nouvelles arrestations ont eu lieu, notamment de personnes soupçonnées d’organiser une manifestation. Et il y a une dizaine de jours, c’est l’oncle de Mahsa Amini, Safa Aeli, qui a été arrêté dans sa ville natale de Saqez.

Manifestation et craintes de répression pour ce samedi

C’est d’ailleurs dans cette même ville qu’à la veille du jour anniversaire du décès de la jeune femme, les forces de sécurité iraniennes ont été déployées, en prévision d’une recrudescence des manifestations. Selon, l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, basée en Norvège et citée par Reuters, plusieurs villes kurdes de l’ouest de l’Iran "ont connu une atmosphère d’intimidation et la déclaration d’un état de guerre au cours des derniers jours".

Une grève organisée par 5 partis kurdes iraniens, réfugiés en Irak, est prévue ce samedi, selon notre correspondant dans le Kurdistan irakien. Osha, une ancienne manifestante, également réfugiée en Irak, raconte au micro de Théo Renaudon son inquiétude pour celles et ceux qui iront manifester ce samedi : "Je suis inquiète mais pleine d’espoir. D’abord inquiète pour ceux qui manifestent et vont manifester dans la rue ce samedi. Ils seront menacés, frappés, blessés et tués. Mais j’ai de l’espoir aussi car notre peuple est conscient de ce qu’il se passe. Ils savent ce qu’ils veulent et maintenant ils savent comment l’obtenir".

"Aujourd’hui on peut parler d’une désobéissance civile tous azimuts. Il n’y a plus les grandes confrontations dans les rues, notamment à Téhéran et dans les grandes villes. Même si, la contestation dans la rue continue dans le Kurdistan et le Boulechestan", indique Firouzeh Nahavandi.

Mais à mesure que la répression persiste, cela signifie aussi que les protestations ne s’arrêtent pas. "Cela n’a pas dissuadé les Iraniens, et encore mois les Iraniennes […] tout simplement parce qu’ils ne voient plus aucun avenir et n’ont plus rien à perdre", lance la sociologue.

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