Ces signes de protestation sont autant de représentations de ce qui devient très vite le mouvement "Femme, vie, liberté". Un mouvement rejoint aussi par de nombreux hommes. "C’est une première que ce soit les femmes qui commencent à protester en Iran. Il y a eu beaucoup de grands mouvements de protestations politiques et économiques en Iran mais cette fois-ci, ce sont quand même les femmes qui l’ont initié. Au début je pense que les hommes ont un peu tâtonné. Mais très vite, effectivement les hommes ont rejoint le mouvement", détaille Firouzeh Nahavandi.
Ce mouvement "Femme, vie, liberté", va au-delà de la situation des femmes
C’est aussi ce dont témoigne, Soheila Sokhanvari, une artiste iranienne, vivant à Londres, qui témoigne auprès de l’agence AP : "Je crois que ce qu’il y a d’important aussi à propos de ces protestations, c’est que les hommes iraniens, pour la première fois de l’histoire de l’Iran, se tenaient aux côtés des femmes, ils les soutenaient et leur montraient du respect".
Parce que la révolte en Iran a fini par dépasser la question du genre et celle du port du voile. Dans un contexte économique de plus en plus difficile, c’est tout le régime iranien qui est remis en question. Pour Firouzeh Nahavandi, c’est ainsi, "que la protestation monte d’un cran, dit-elle en ajoutant, mais la répression aussi".
Répression violente
La réponse répressive violente, elle aussi s’est maintenue tout au long des mois qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. Elle a fait 500 morts officiels, dont 71 mineurs, depuis le début de la révolte et 22.000 personnes ont été arrêtées. C’est sans compter "les personnes qui sont suicidées et les personnes qui se suicident", explique Firouzeh Nahavandi. On évoque aussi des "viols systémiques", dit la sociologue. Rappelons que la journaliste Nazila Maroufian, qui avait interviewé la mère de Mahsa Amini et avait été arrêtée à plusieurs reprises, affirmait au début du mois de septembre avoir été victime d’agression sexuelle pendant sa détention.
Au départ, la répression est forte, violente. Des journalistes et de nombreux manifestants, font état de violences, de faits de tortures et plusieurs meurent au cours de ces détentions, à l’instar du militant iranien Javad Rouhi décédé en prison. A la violence de cette répression, il faut ajouter une donnée nouvelle, "la surveillance et l’utilisation de la technologie […] avec l’utilisation massive d’outil de reconnaissance des visages, des personnes etc. C’est tout à fait nouveau, en tout cas pour l’Iran".
Je ne regretterais jamais d’avoir manifesté. Je ne fais aucune faute
Selon l’ONU, un an après le début des arrestations, "le harcèlement des femmes et des filles par l’Etat est en augmentation". Ce sont les familles de manifestants qui subissent "le harcèlement et l’intimidation" des autorités iraniennes, à grand renfort d’interpellations et de convocations, souligne l’ONU.
Dans ce contexte, de nombreux Iraniens et Iraniennes ont fait le choix de l’exil, le plus souvent en Turquie ou en Irak. C’est le cas d’Azar, qui, après avoir été emprisonnée avec sa mère et sa sœur, a fui en Irak, dans la voiture de contrebandiers. Au micro de Théo Renaudon, notre correspondant au Kurdistan irakien, elle explique : "Je ne regretterai jamais d’avoir manifesté. Je ne fais aucune faute, explique-t-elle, pour moi vivre fièrement, c’est bien mieux que de vivre dans ce régime". Mais, un après la mort de Mahsa Amini, Azar ne peut contenir son émotion quand elle explique : "je suis triste que mon pays n’ait pas été libéré, que des jeunes continuent de mourir et que personne ne nous protège. 7 mois ! 7 mois pendant lesquels ils ont tué les jeunes gens d’Iran et personne ne nous a soutenus. On a besoin d’action et tout le monde s’en fout !"
Et la répression ne semble pas vouloir s’arrêter. A la veille de l’anniversaire de Mahsa Amini, de nouvelles arrestations ont eu lieu, notamment de personnes soupçonnées d’organiser une manifestation. Et il y a une dizaine de jours, c’est l’oncle de Mahsa Amini, Safa Aeli, qui a été arrêté dans sa ville natale de Saqez.
Manifestation et craintes de répression pour ce samedi
C’est d’ailleurs dans cette même ville qu’à la veille du jour anniversaire du décès de la jeune femme, les forces de sécurité iraniennes ont été déployées, en prévision d’une recrudescence des manifestations. Selon, l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, basée en Norvège et citée par Reuters, plusieurs villes kurdes de l’ouest de l’Iran "ont connu une atmosphère d’intimidation et la déclaration d’un état de guerre au cours des derniers jours".
Une grève organisée par 5 partis kurdes iraniens, réfugiés en Irak, est prévue ce samedi, selon notre correspondant dans le Kurdistan irakien. Osha, une ancienne manifestante, également réfugiée en Irak, raconte au micro de Théo Renaudon son inquiétude pour celles et ceux qui iront manifester ce samedi : "Je suis inquiète mais pleine d’espoir. D’abord inquiète pour ceux qui manifestent et vont manifester dans la rue ce samedi. Ils seront menacés, frappés, blessés et tués. Mais j’ai de l’espoir aussi car notre peuple est conscient de ce qu’il se passe. Ils savent ce qu’ils veulent et maintenant ils savent comment l’obtenir".
"Aujourd’hui on peut parler d’une désobéissance civile tous azimuts. Il n’y a plus les grandes confrontations dans les rues, notamment à Téhéran et dans les grandes villes. Même si, la contestation dans la rue continue dans le Kurdistan et le Boulechestan", indique Firouzeh Nahavandi.
Mais à mesure que la répression persiste, cela signifie aussi que les protestations ne s’arrêtent pas. "Cela n’a pas dissuadé les Iraniens, et encore mois les Iraniennes […] tout simplement parce qu’ils ne voient plus aucun avenir et n’ont plus rien à perdre", lance la sociologue.