Quand nous nous rendons à l’hôpital, c’est pour en ressortir en meilleure santé. Et c’est le cas pour la majorité des séjours hospitaliers mais il arrive que tout ne se passe pas comme prévu. Selon des chiffres de l’OMS (l’organisation mondiale de la santé), près de 20.000 erreurs médicales se produiraient chaque année dans nos hôpitaux et conduiraient à quelque 2000 décès. Ce serait devenu la troisième cause de mortalité après les maladies cardiovasculaires et les cancers.
Revoir notre reportage :
Mais aujourd’hui encore, pour les victimes d’une erreur médicale, c’est souvent le début d’un long combat pour obtenir réparation. Investigation s’est intéressé à ces parcours parfois dramatiques souvent bouleversants. Nous avons entendu les histoires d’une bonne quinzaine de victimes. Cinq d’entre elles, ont accepté de témoigner.
Muriel, un accouchement anormalement compliqué avec une épisiotomie beaucoup trop profonde
Muriel Dirick est marquée à vie par un accouchement qui s’est mal passé. Depuis, elle se déplace avec une canne mais la plupart des dommages qu’elle a subis sont invisibles.
Sa vie a basculé lors de la naissance de son deuxième enfant en avril 2009. L’accouchement se passait normalement jusqu’à l’intervention du gynécologue de garde. Muriel Dirick n’oubliera jamais ce qui s’est passé : "Il a fait un grand mouvement avec le scalpel, une stagiaire qui l’accompagnait a pris un forceps pour écarter les chairs et lui, avec l’autre paire de forceps, a pris le bébé et l’a arraché. J’ai hurlé, tout est sorti ! Je me sentais littéralement vidée de tous mes organes."
C’est le début de son calvaire. " Il y a plus de mille lésions dans le bassin, des nerfs déchirés qui ne se remettront sans doute jamais, des ligaments et des muscles abîmés" nous raconte-t-elle. En 13 ans, elle subira 25 opérations.
L’expert en chirurgie digestive qui a tenté de la reconstruire, fera état, dans un rapport, d’une " descente des anses intestinales extériorisées au niveau du périnée " suite poursuit le médecin à " un accouchement anormalement compliqué en lien avec un geste fautif d’une épisiotomie beaucoup trop profonde. Ceci est le point de départ de l’ensemble des complications par la patiente après son accouchement".
Muriel tente de trouver un accord avec l’hôpital mais face aux pressions, elle refuse la médiation telle que proposée par l’établissement. Elle décide de porter plainte contre le gynécologue devant les tribunaux. Son parcours judiciaire sera lui aussi semé d’embûches. L’hôpital ne veut pas lui fournir son dossier médical ce qui est pourtant un droit fondamental du patient. La justice saisit finalement le dossier dans lequel se trouve notamment le rapport de l’accouchement. Ce rapport détaille quasiment demi-heure par demi-heure la manière dont l’accouchement s’est déroulé jusqu’à l’arrivée du médecin de garde puis… Plus rien. Le reste de la page est blanc. Malgré les pièces d’expertise fournies au tribunal, celui-ci donnera raison au gynécologue qui se défendra en expliquant qu’il voulait, avec ce geste, sauver le bébé en détresse. Muriel a perdu : "Psychologiquement, c’est l’effondrement à tous points de vue".
En 2010, un fonds pour indemniser les victimes est créé mais seules 5% des demandes aboutissent
Muriel comme de nombreuses autres victimes aura passé plusieurs années en justice, à espérer un dédommagement, sans rien obtenir. C’est pour éviter ces situations longues et dramatiques que le Fonds des Accidents Médicaux (le FAM) voit le jour en avril 2010. La ministre de la Santé de l’époque, Laurette Onkelinx promet que le FAM permettra de trancher les litiges et d’indemniser toutes les victimes dans les 6 mois. C’était en tout cas l’ambition. 12 ans plus tard, on déchante.
En 2020, la cour des comptes a épluché la comptabilité du FAM. Les chiffres du rapport sont sans appel, en 10 ans d’existence, seuls 5% des dossiers ont conduit à une indemnisation. Plus interpellant encore, 85% des demandes sont jugées sans fondement et directement rejetées.
Il faut dire que les débuts ont été difficiles, les trois premières années, le FAM est un organisme fantôme qui n’existe que sur papier et déjà les dossiers s’accumulent. Mia Honinckx, la directrice explique : "Vous vous rappelez sans doute qu’à l’époque, nous n’avions pas de gouvernement. Cela a été très difficile. C’est en 2013 que le fonds est devenu un service de l’INAMI. Et encore à ce moment-là, le fonds ce n’employait que deux juristes et un médecin ".
Benoit Collin, l’administrateur général de l’Assurance Maladie Invalidité renchérit : "On avait décidé de mettre en place une procédure à côté de la procédure judiciaire qui était considérée comme longue, coûteuse et complexe parce que c’était à chaque fois dans des situations de conflits. C’est une procédure civile à côté de la procédure judiciaire mais avec la même expertise".
Et de poursuivre, "ce qui ne veut pas dire qu’on est là pour indemniser, on est là pour rendre un avis, selon les conditions de la loi. Et on rend un avis dans 100% des avis demandés."
La faute à pas de chance selon l’orthopédiste lors d’une opération devenue banale de pose d’une prothèse de hanche
"C’est la faute à pas de chance" aurait dit l’orthopédiste qui a placé une prothèse de hanche à Léna Pjétri, il y a 7 ans. Cette traiteuse très active organisait des banquets et autres événements festifs, elle est aujourd’hui enfermée la plupart de son temps chez elle, elle utilise une chaise roulante pour se déplacer.
Dès le lendemain de l’opération, les douleurs sont intenses. "J’avais l’impression qu’on m’arrachait les chairs avec les mains": nous raconte-t-elle mais on lui rétorque que c’est normal et que cela va passer. Mais cela ne passe pas. Après 3 jours, un neurologue de l’hôpital va l’examiner. Ses conclusions sont sans appel. Dans la note, que nous nous sommes procurée, il insiste "Il faut faire un scanner voire révision si possible".
Le chirurgien qui l’a opérée ne suivra pas cette voie. Léna Pjétri comprend alors qu’elle n’aura pas d’aide. Elle rentre un dossier devant le Fonds des Accidents Médicaux. Il faudra plusieurs années avant qu’il soit géré. Un délai qui n’a rien de surprenant.
5 ans de délai moyen au lieu des 6 mois promis pour traiter les dossiers de victimes
La Cour des comptes s’est intéressée aussi aux délais de traitement des dossiers. Et là encore, les chiffres interpellent.
"Au lieu des 6 mois promis, le délai moyen est de 5 ans. En 2020, il y avait sur le bureau du FAM, 2500 dossiers en attente de traitement."
Frank Vandenbroucke, l’actuel ministre de la santé a secoué les responsables du FAM lors de son entrée en fonction fin 2020 : "La situation était objectivement inacceptable. Il y avait un arriéré très important et aussi des problèmes de communication."
La directrice du fonds tempère : "Il y avait très peu de personnel. Il y avait beaucoup de demandes (...) et nous n’avions rien, aucun répertoire d’experts, on avait un médecin, deux juristes, c’était cela le fonds en 2013."
Quelques employés pour traiter des centaines de dossiers qui s’accumulent, cette situation a perduré pendant des années. Frank Vandenbroucke a mis 33 millions sur la table et dégagé des moyens humains temporaires pour que le FAM fasse le ménage et boucle les 2500 dossiers en retard d’ici 2023. Le FAM nous affirme que le retard se résorbe petit à petit mais le patron de l’INAMI prévient déjà : "On s’est vite rendu compte que c’était impossible si la justice prenait quelques années, de croire qu’en 6 mois on allait pouvoir répondre à des cas parfois lourds. Le temps d’avoir l’avis des experts médicaux, le temps de l’analyser sur le plan juridique, le temps de rendre l’avis et d’indemniser les victimes, aujourd’hui encore, 6 mois cela reste impossible."
En attendant, derrière tous ces dossiers, se cachent des drames et des vies qui basculent à tout jamais. Les victimes d’erreurs médicales se sentent abandonnées. Elles se retrouvent encore aujourd’hui sans défense face au silence des médecins et des hôpitaux. 12 ans après la création d’un fonds censé leur venir en aide, ces victimes continuent de galérer pour obtenir réparation.
Léna Pjétri, elle aussi, vient d’être déboutée. Le FAM estime que "Le dommage allégué par la demanderesse ne découle ni d’un fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins ni d’un accident médical sans responsabilité au sens de la loi. Par conséquent le Fonds ne peut procéder à une indemnisation."
Aujourd’hui, le constat est là, au vu des délais de traitement et du faible taux d’indemnisation, de plus en plus de victimes se détournent du fonds et passent directement par les tribunaux. Alors est-ce un retour à la case départ ? Un cuisant échec du FAM dans ses missions ? Les responsables affirment commencer à résorber l’arriéré.
Les victimes d’erreurs médicales attendent, elles, d’être enfin respectées en recevant des réponses dans des délais raisonnables.