À chaque coin de rue, à chaque feu rouge, devant chaque fast-food, impossible d’échapper à ces bonshommes et leur sac fluo rempli de sushis, de burgers et autres pizzas. Les livreurs Deliveroo et Uber Eats sont partout, à Bruxelles et dans toutes les autres grandes villes du pays. Mais de quoi est fait leur quotidien ? Pourquoi font-ils ce métier ? Qui sont ceux qui traversent la capitale sous la pluie pour nous apporter les sushis que l’on va engloutir dans le canapé, devant une série télé ? #Investigation a passé plusieurs jours Porte de Namur, à l’affût, pour mieux les observer.
Porte de Namur, the place to be
Pour ces livreurs à vélo et en scooter, la Porte de Namur n’est pas un endroit quelconque. C’est même l’un des hotspots de la capitale. Pourquoi la Porte de Namur ? Tout simplement parce qu’on y trouve plusieurs fast-foods, qui attirent à eux seuls de nombreuses commandes. C’est donc un bon point de chute pour attendre l’arrivée d’une nouvelle livraison.
Pendant nos divers passages dans le quartier de la Porte de Namur, nous avons croisé tous types de profils, même certains qui ne sont pas censés pouvoir travailler : parmi les livreurs, il y a des sans-papiers. C’est ce que nous confirme Nada Ladraa, animatrice au centre d’information du MOC.
On ne possède pas de données pour la Belgique mais, à titre d’exemple, une étude a montré qu’à Milan, 40% des livreurs sont des sans-papiers.
Au cours de nos discussions avec les livreurs, nous rencontrons aussi un jeune d’origine syrienne, qui travaille tous les jours pour Uber Eats… après les cours. Il a 15 ans. Et il n’est pas le seul. De nombreux jeunes et sans-papiers font des livraisons en utilisant le compte d’une autre personne, qui prend au passage une commission sur les gains du livreur.
Par tous les temps, tu livreras
Une chose est sûre, nous l’avons constaté par nous-mêmes : qu’il fasse noir, qu’il gèle, qu’il pleuve… il y a toujours des livreurs. "Beaucoup de livreurs vivent avec Uber, nous raconte un jeune étudiant à vélo. Moi, si je ne travaille pas, je le sens tout de suite. Alors même s’il fait froid, si c’est dangereux, on n’a pas le choix." Pas le choix, il faut braver les éléments, pour 4,95€ par livraison, quelle que soit la distance, quelle que soit la durée.
Mais les conditions climatiques, ce n’est pas le plus dur pour ces livreurs. Leur statut reste précaire. Aujourd’hui, en Belgique, la plupart travaillent sous le régime de l’économie collaborative, qui permet à Deliveroo et Uber d’échapper à toute la législation sociale sur le travail. Pour le livreur par contre, peu d’avantage à ce statut : l’assurance est minimale, la protection sociale aussi, et ils ne sont pas payés au temps de travail, mais au nombre de livraisons.
De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour exiger que les livreurs soient salariés, afin qu’ils soient mieux payés et mieux protégés. Deliveroo et Uber Eats refusent : officiellement, parce qu’ils perdraient en flexibilité. Officieusement, c’est surtout que cela leur coûterait trop cher. Preuve en est : Deliveroo envisage de quitter l’Espagne depuis que le gouvernement a décidé d’obliger les sociétés à salarier leurs livreurs.
En Belgique, on en est encore loin : le Ministre de l’Emploi a lancé une consultation en juillet 2021 pour, à terme, changer la loi. Le nouveau projet législatif ne verra pas le jour avant 2022.