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#Investigation : pourquoi nous sommes tous (un peu) complotistes

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La Terre est plate, dirigée par une élite sataniste et pédophile, par des reptiliens ou par les Illuminatis… Les théories du complot ont toujours fasciné, mais elles restaient jusqu’ici l’apanage d’une minorité marginalisée. Portées par internet et les réseaux sociaux, elles sont désormais devenues mainstream. Impossible de ne pas voir passer sur son fil Facebook un post partagé par un ami, proche ou lointain, qui avance des théories conspirationnistes. D’autant que la crise sanitaire a encore exacerbé cette tendance. Pour notre nouvel épisode sur YouTube, nous nous sommes penchés sur les mécanismes psychologiques qui entraînent certains vers ces théories.

Les complots, ça existe

Autant désamorcer la bombe tout de suite : oui, les complots existent. À l’heure d’écrire ces lignes, quelque part dans le monde, des gens sont peut-être en train de comploter pour faire tomber leur patron, leur Premier ministre… Et comme nous le fait remarquer Olivier Sartenaer, professeur en philosophie des sciences à l’UCLouvain, il ne faut pas chercher loin pour trouver des exemples : "L’assassinat de Jules César, ou plus proche de nous, le complot industriel du DieselGate, ce sont des complots". Pour Jérôme Jamin, politologue à l’ULiège, "celui qui ne croit pas au complot, c’est lui qui pose problème car les complots, c’est l’histoire".

Les complots, c’est l’histoire.

Pire, nous sommes nous-mêmes victimes, lors de notre enfance, d’un complot orchestré par nos parents, avec l’aide de l’école et même des médias : la Saint-Nicolas. Ensemble, nos parents nous font croire qu’un Saint à barbe passe par la cheminée le 6 décembre pour nous livrer les cadeaux que nous lui avons demandés. Certes, ici, les intentions sont bonnes et participent à la magie de notre enfance. Mais cela n’en reste pas moins un exemple heureux de conspiration entre plusieurs acteurs pour cacher une vérité à une partie de la population.

Des mécanismes psychologiques communs à tous

De nombreux experts se sont penchés sur les théories conspirationnistes, ceux qui les propagent et ceux qui y adhèrent. Pour expliquer le phénomène, plusieurs disciplines peuvent nous être utiles. L’une d’elles, c’est la psychologie. Et en réalité, autant vous le dire tout de suite: nous sommes tous prédisposés à devenir complotistes. Pour Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB et spécialiste du complotisme, "les mécanismes psychologiques qui interviennent dans le conspirationnisme sont des mécanismes dont on est tous victimes".

L’un de ces mécanismes, c’est ce qu’on appelle le raisonnement motivé. Ce biais cognitif nous pousse à rechercher toutes les informations qui confirment nos croyances, et à rejeter, ou ignorer ce qui les remet en question. "Par exemple, si on est écolo,  on sait que c’est mauvais pour la planète de prendre l’avion pour aller en vacances dans le Pacifique. Mais si on a très envie d'y aller, on va quand même trouver un tas de bonnes raisons d’y aller", explique Olivier Klein.

Autre réflexe psychologique, les gens qui adhèrent à des théories complotistes ont également tendance à voir de l’intentionnalité partout. Aucune place pour le hasard. Si tel événement a eu lieu, il y a forcément eu une intention cachée derrière. "Même si on montre des choses qui n'ont rien à voir avec un complot, comme des formes qui bougent de manière aléatoire, on a pu montrer que les complotistes ont plus tendance à considérer qu’une forme poursuit l’autre", analyse le psychologue.

Souvent, les personnes qui croient aux théories du complot sont très en colère.

Si les mécanismes psychologiques sont communs à tous, comment expliquer alors que certains basculent dans le complot et d’autres pas ? De nouveau, cela se passe souvent dans la tête : pour Olivier Klein, ce qui va activer ces mécanismes psychologiques qui vont mener jusqu’au complotisme, c’est souvent un sentiment viscéral d’injustice, de colère ou encore de détresse.

L’observation est la même chez Marie Peltier, historienne: "Ce qui m’a souvent frappé, quand je rencontre des personnes qui adhèrent à ces croyances, c’est qu’ils sont souvent très très en colère". Pour l’historienne, le complotisme amène ce qu'elle appelle une "politisation des affects". Les théories servent à donner une signification politique à ce sentiment de colère et d’injustice. "Ils se disent que s’ils sont mal, s’ils sont en colère, c’est parce qu’on les manipule, parce qu’on leur ment. Et c'est soulagement, parce qu'ils pensent alors avoir compris d'où vient leur sentiment."

Quand bascule-t-on du doute au complot ?

Comment savoir quand on a franchi la barrière qui sépare doute et conspirationnisme ? Pour Jérôme Jamin, politologue à l’ULiège, "le complotisme apparaît quand on ne voit plus que des complots. Et que ces complots ne sont pas des complots nationaux, locaux, mais que ça devient des complots globaux, mondiaux". Oui les complots existent, ils ont souvent façonné l’histoire. Mais il s’agissait toujours de conspirations ciblées, pas de grandes machinations à l’échelle de la planète.

Autre caractéristique du complotisme soulevée par Jérôme Jamin: l’absence de démonstration. "Je ne dis pas qu’il faut toujours une démonstration, parce que tout n’est pas démontrable, précise le politologue. Mais le fait d’accumuler plusieurs éléments douteux, ce n’est pas une démonstration."

On dit souvent que les complotistes n’ont pas les bonnes réponses, mais qu’ils posent les bonnes questions. C’est faux : leurs questions sont orientées et présupposent déjà de la réponse.

Enfin, Olivier Klein estime que c’est erroné de dire que les théories conspirationnistes posent les bonnes questions. Pour le psychologue, c’est même un élément essentiel qui distingue le complotisme du doute cartésien: les théories complotistes partent toujours d’un postulat, qu’elles vont chercher à confirmer. Et contrairement au doute, où l’on sera tout autant satisfait si le postulat de départ est infirmé au bout du questionnement, les questions posées par les conspirationnistes sont orientées pour arriver à la réponse désirée.

Aujourd’hui, un outil permet d’ailleurs de confirmer presque tout ce qu’on veut: internet. "Les réseaux sociaux et Google nous ont habitués à trouver ce qu’on cherche, regrette Jérôme Jamin. Donc si vous voulez avoir la preuve de quelque chose, vous le trouverez."

Comment en sortir ?

Si vous avez un proche qui adhère à une ou plusieurs théories complotistes, vous aurez remarqué qu’il est très difficile, voire impossible de lui faire entendre raison. Vous aurez beau présenter des preuves irréfutables, il n’y croira pas et restera enfermé dans sa théorie. Comment réussir à lui faire changer d’avis ?

Selon certaines études, les anciens complotistes sont les meilleurs atouts pour déconstruire ces théories. Certains en font d’ailleurs des vidéos sur YouTube, comme Sylvain Cavalier, alias le DeBunker des Étoiles. Il y a quelques années, Sylvain est devenu complotiste après avoir vu un documentaire sur les pyramides. "Quand on se dit que même sur ce genre de choses, les autorités nous mentent, on se dit qu’on peut tout remettre en question", explique le YouTubeur.

Après plusieurs années, le déclic est venu de la Lune : "Il y a une théorie qui me dérangeait, c’était celle du Moon Hoax, qui dit qu’on a jamais été sur la Lune, explique Sylvain. Pour moi, la Lune, c’est un des plus grands exploits de l’Histoire, donc j’avais envie d’y croire". Pour la première fois depuis qu’il était complotiste, Sylvain s’est donc mis à vérifier les infos présentées par le documentaire. C’est la révélation : "C’est là qu’a commencé à naître le doute. D’un coup, j’ai compris ce qui n’allait pas dans ma manière de raisonner."

Ça fait très mal à l’ego. Pendant des années, vous croyez être au-dessus du troupeau de mouton, mais en fait, vous êtes dans un autre troupeau de mouton.

Depuis, il fait des vidéos sur YouTube pour déconstruire les diverses théories qui circulent. Est-ce que ça fonctionne ? "C’est difficile de savoir, avoue Sylvain Cavalier. C’est un long travail personnel de changer d’avis, le déclic va se faire sur le long terme. Peut-être que je fais partie des choses qui marchent, mais c’est un tout. Il y a d’autres travaux complémentaires. Je ne pense pas que mes vidéos suffisent".

Revoir l’enquête complète du 28 mai 2021

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