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#Investigation : "Mon beau sapin, roi du business"

Investigation / Mon beau sapin roi du business

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Par T.G.

La Belgique est un poids lourd du sapin de Noël, en Europe. Notre pays est au top de la production de Nordmann, d’épicéas ou de fraseris. Un véritable conte de Noël ? Peut-être pas.

Les chiffres

Officiellement, notre pays produit deux millions d’arbres de Noël, chaque année. Le chiffre d’affaires des membres de l’Union Ardennaises des Pépiniéristes (ndlr : UAP, le groupement des producteurs) avoisine les 35 millions d’euros. Le secteur affirme assurer un millier d’emplois directs et indirects. Un vrai fleuron de l’économie wallonne. Ça, c’est pour le côté pile.

Pesticides cancérigènes et perturbateurs endocriniens

Côté face, il y a les méthodes de production. Qui posent de nombreux problèmes. Pourquoi ? Car le sapin est assimilé à une culture, au même titre que la pomme de terre, la betterave sucrière ou les céréales. Et dans la culture conventionnelle – comprenez non biologique — les producteurs ont recours à des intrants chimiques : pesticides de synthèse et autres engrais chimiques. Oui, et alors ?

Alors, la panoplie des produits phytosanitaires à disposition des cultivateurs de sapins de Noël est longue. (Voir document)

Le Dr Martin Dermine, membre du Pesticide Action Network Europe, un collectif d’organisations non gouvernementales, a analysé la liste des produits autorisés.

À commencer par le glyphosate, herbicide couramment utilisé dans la culture de sapins. "Plusieurs publications scientifiques ont démontré qu’il s’agit d’un génotoxique. En clair, il est capable de modifier l’ADN humain. Dans la liste, on peut également pointer des molécules accusées d’être cancérigènes ou perturbateurs endocriniens. La liste des produits autorisés est très préoccupante".

Une analyse qui permet à Martin Dermine de balayer l’idée d’un sapin réputé naturel. "Quand on revient chez soi avec son beau sapin de Noël, on se dit qu’il est naturel. Mais quand on voit tous les pesticides qui sont utilisés pour le produire, on se rend compte qu’il s’agit en réalité d’une catastrophe pour l’environnement".

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Soyons de bon compte : comparée à d’autres cultures très présentes en Belgique, l’utilisation de produits phyto dans la production de sapins de Noël est moindre. Seules les prairies permanentes affichent un meilleur bilan. "Oui, mais jusqu’à preuve du contraire, le sapin ne se mange pas", souligne Yves Vandevoorde, de la FUGEA, une fédération d’éleveurs et d’agriculteurs.

Les autres sont des cultures dites nourricières. "Le sapin ne participe à aucun moment à notre souveraineté alimentaire. Il s’agit d’un produit de consommation utilisé trois semaines, durant les fêtes de Noël, puis jeté à la poubelle ".

Hormones de croissance

Dans l’armada chimique des producteurs, on retrouve aussi les hormones de croissance. "Ils permettent de réguler la croissance des Nordmann, afin d’éviter des différences de longueurs entre les couronnes du sapin", explique Jean-Marc Gillet, un important vendeur de produits phytosanitaires, situé à Glaireuse, en Province de Luxembourg. Le best-seller, c’est le Pomoxon. Lors des dernières années de production, le haut du sapin est badigeonné d’hormone. Quand on vous parlait de sapin naturel…

Le Pomoxon est interdit d’utilisation en Belgique. En théorie, seulement. Car l’UAP a demandé en 2019 une autorisation exceptionnelle au Service Public Fédéral de la Santé. Autorisation acceptée, sous forme d’une "dérogation 120 jours". En clair, les producteurs peuvent s’en servir durant une période n’excédant pas 120 jours par an.

Largement suffisant pour appliquer le Pomoxon, uniquement utile au printemps. Un laissez-passer pas si exceptionnel, en réalité. La dérogation a déjà été renouvelée deux fois (ndlr : en 2020 et 2021). Les autorités sanitaires du pays s’expliquent :

"Les producteurs sont capables d’atteindre un rendement d’environ 80% en utilisant le régulateur […] sans le régulateur les producteurs ne pourront pas atteindre un rendement supérieur à 20%, ce qui signifie […] que la production ne sera pas rentable"

Un argument uniquement économique ? Pas selon le SPF santé, qui ajoute :

" La composante économique est un des facteurs pris en compte […] mais n’est certainement pas le seul. Les évaluations approfondies et positives de la toxicologie, le comportement dans l’environnement ou encore l’écotoxicologie, ainsi que la confirmation de la problématique rencontrée par le secteur font également partie des aspects pris en compte et ayant mené à cette autorisation. 

Utilisé illégalement depuis longtemps ?

Des arguments pas franchement convaincants pour le Dr Martin Dermine. "Si on regarde les conditions pour autoriser un produit phytosanitaire, cela ne colle pas avec le Pomoxon. Une dérogation s’obtient afin de lutter contre une maladie, un ravageur ou une mauvaise herbe. Où sont ces circonstances exceptionnelles, dans le cas de cette hormone de croissance ? Comme souvent, l’Etat belge délivre une dérogation trop facilement".

Reste un autre problème. Légal, celui-ci. Le Pomoxon serait utilisé depuis longtemps. Bien avant d’avoir reçu la première dérogation, en 2019. C’est un ancien producteur, proche de l’UAP, qui souffle l’info, anonymement. "Plusieurs producteurs belges profitaient d’une foire destinée au sapin, à Langesø, au Danemark, pour aller acheter sous le manteau des hormones de croissance. Ils revenaient le coffre de la voiture bourré de produits". Une information qu’#investigation a pu vérifier à plusieurs reprises. Notamment avec des producteurs danois rencontrés sur place.

Quelles conséquences pour la biodiversité ?

En Ardenne, les terres destinées à la culture de sapins se multiplient. C’est problématique selon Marc Dufrêne, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech et spécialiste de la biodiversité. "Ce qu’il faut, c’est notamment connaître l’historique des parcelles où poussent les sapins. S’ils remplacent une grande monoculture de maïs, très gourmande en phyto, alors pourquoi pas. S’il s’agissait avant d’une prairie, même intensive, c’est une catastrophe. Cultiver du sapin n’entraîne pas automatiquement un désastre pour la biodiversité. Le problème, ce sont ces grandes allées de sapins étendues sur plusieurs hectares. Une grande culture entraîne de grands problèmes".

Moutons, culture bio : la solution verte ?

En Belgique, une poignée de producteurs tentent de cultiver les sapins de manière plus verte. Michaël Rood, cultivateur à Jalhay, en Province de Liège, en fait partie. Parmi ses sapins Nordmanns, ses épicéas et ses fraseris, une quarantaine de moutons. Une race appelée Shropshire qui remplace le désherbage chimique et mécanique.

Chez Michaël Rood, pas de phyto, c’est son cheptel qui s’occupe de nettoyer la parcelle. Une pratique d’un autre genre qui cumule les fonctions d’agriculteurs et d’éleveurs. "Je n’ai jamais été fan des intrants chimiques. Je n’ai pas envie de cultiver mon cancer. Les moutons s’occupent de nettoyer les sapins. Notre terre est riche en biodiversité. Les analyses de sol sont excellentes".

Michaël Rood produit 5000 sapins par an. Dans ses parcelles, il y a moins d’arbres plantés à l’hectare, afin de permettre aux moutons de circuler et de faire leur travail. Moins de sapins, donc moins de rentabilité. Mais un véritable respect de l’environnement.

Les moutons de Michaël Rood, producteur à Jalhay (Province de Liège)
Les moutons de Michaël Rood, producteur à Jalhay (Province de Liège) © Tous droits réservés

Sapin "naturel" ou sapin artificiel : lequel choisir ?

C’est la grande question : quel sapin choisir ? Hugo Thunis, jeune diplômé bioingénieur, à l’ULB, a peut-être la réponse. En partenariat avec le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W) , il a analysé le cycle de vie des sapins. Un savant calcul qui permet de déterminer l’impact carbone, depuis l’extraction du pétrole nécessaire à son transport jusqu’au coût de son compostage.


►►► Des sapins alternatifs Made in Herve, qui s’arrachent comme des petits p (a) ins


Les résultats sont surprenants. "Un sapin artificiel (ndlr : généralement fabriqué en Chine) est écologiquement rentable après seulement 7 années d’utilisation, par rapport à un sapin cultivé en Wallonie ", analyse Hugo Thunis. "C’est un résultat totalement innovant, par rapport à des études ayant été réalisées par le passé". Quant aux sapins cultivés de manière biologique, ils obtiennent également d’excellents résultats.

Un choix qui fera peut-être réfléchir plus d’un acheteur.

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