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#Investigation : Carl de Moncharline soupçonné de viol sous soumission chimique, "un tissu de mensonges", affirme-t-il

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Par Gérald Vandenberghe

Dans le cadre de notre enquête sur les drogues du viol, un personnage connu de la nuit bruxelloise nous a été présenté à plusieurs reprises comme un agresseur sexuel. Il s’agit de Carl De Moncharline, patron du Wood, boîte techno branchée du bois de la Cambre, aujourd’hui fermée. Plusieurs témoins nous ont affirmé y avoir été drogués puis agressés sexuellement par cette figure connue du monde de la nuit. Carl De Moncharline dément ces accusations, et a annoncé sur Facebook, dans un post publié après la diffusion de l'émission, avoir déposé une plainte pour diffamation.

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Tout a commencé par une série de témoignages figurant sur la page Instagram #Balancetonbar. Plusieurs jeunes femmes y évoquent des agressions sexuelles où une drogue aurait été utilisée pour les neutraliser. Les faits se passent toujours au même endroit : le Wood, une boîte techno branchée qui se trouvait dans le bois de La Cambre. Elle fermera ses portes en 2016 pour tapage nocturne.

Les témoignages y mettent systématiquement en cause des membres de la direction du Wood. Et dans les commentaires, d’autres jeunes femmes se demandent pourquoi "on ne balance pas son nom puisque tout le monde sait de qui il s’agit". C’est sur base de ces affirmations que nous allons lancer notre enquête.

C’est Carl…

Nous commencerons par rencontrer Maïté Meeus, la créatrice de #Balancetonbar. Elle nous confirmera "qu’il y a des noms de prédateurs qui se retrouvent mentionnés à plusieurs reprises dans différents témoignages concernant le Wood ou d’autres bars de nuit". Mais elle nous expliquera aussi qu’elle ne s’est jamais permis de les donner afin d’éviter toute procédure pour diffamation.

Fort de cette information, nous tentons de joindre l’une ou l’autre personne qui affirmerait avoir été victime de ce type d’agression, lorsque le Wood était encore ouvert. Nous rencontrerons tout d’abord Valentine, étudiante de 23 ans. Elle évoquera avec nous ce qu’elle a vécu dans cette boîte de nuit, il y a quelques années.

"J’ai 17 ans à l’époque, je sors très souvent dans cette boîte. Je suis souvent en contact avec Carl De Moncharline. Il a la possibilité de nous faire rentrer gratuitement. J’ai son numéro de GSM, il suffit que je lui envoie un SMS en précisant le nombre de personnes qui m’accompagnent."

"Ce soir-là, il est derrière le bar à sa place habituelle. Je danse un peu puis à un moment il m’offre une bière qui ne vient pas directement du bar. A partir de ce moment tout devient flou. Je ne me souviens pas de la manière dont la suite s’est passée, mais je me retrouve à l’étage du Wood. Il commence à m’embrasser, à me toucher le haut du corps. Je suis consciente mentalement, mais physiquement, je ne contrôle plus rien. Je suis paralysée. Je suis molle et figée. Je suis totalement consciente de ce qui est en train de se passer, je ne suis pas d’accord, je veux que ça s’arrête mais je suis incapable de sortir un mot ou de faire une action physique pour que ça cesse".

"Je me rappelle une phrase qu’il me dit et qui me met super mal à l’aise. Il sait que j’ai un petit copain et il se compare à lui. Il affirme qu’il embrasse mieux que lui. Je trouve que ce n’est vraiment pas le cas, ce vieux qui veut montrer qu’il est encore jeune me dégoûte. C’est un truc de fou. Il me touche la poitrine aussi, mais ce n’est pas allé jusque la culotte parce que mon GSM ne cesse pas de vibrer et qu’il le sent. Ce sont mes amis qui me cherchent. Ils ont constaté ma disparition et celle de Carl aussi. Les vibrations finissent par le gêner puisque mon téléphone est aussi en contact avec sa jambe. Il finit par me dire de partir".

En arrivant au rez-de-chaussée, Valentine voit ses amis en train de se disputer avec le sorteur. Ils tentent de la rejoindre à l’étage. "Lorsque Carl descend à son tour, ils lui crient dessus. Lui, il prend un air innocent et il sous-entend que je suis d’accord avec ce qui vient de se passer. Il parle de moi comme d’une petite copine et que c’est normal de faire cela à une copine".

Valentine finit par quitter la boîte. Elle sera malade une bonne partie de la nuit, en ayant toujours l’impression que son corps et sa tête sont deux parties sans lien. Des sensations bien différentes de l’alcool, qu’elle n’a de toute façon pas eu le temps de consommer en grande quantité.

"Je ne porte pas plainte à l’époque. Je veux sans doute effacer cela de ma mémoire. Ce n’est que des années plus tard, lorsqu’une de mes amies sera victime d’un viol que je comprendrai la gravité de ce qui m’est arrivé à moi aussi. C’est à ce moment-là que j’ai porté plainte contre Carl." Et c’est vrai que ces faits concernant une mineure sont loin d’être anodins. Selon un avocat pénaliste que nous avons consulté, si ces faits sont confirmés, il s’agit d’actes qui pourraient être qualifiés d’intoxication et d’attentat à la pudeur, pouvant mener à plusieurs années de prison.

Les garçons aussi…

Nous trouverons rapidement un deuxième témoin prêt à nous expliquer ce qu’il a vécu au Wood. Pour préserver son anonymat, nous l’appelons Sita. Il a 18 ans au moment des faits. Lui aussi entretient des contacts réguliers avec Carl De Moncharline pour ne pas payer l’entrée de la boîte de nuit. Lui aussi se voit offrir un verre par le patron du Wood, dès son arrivée. A peine le verre fini, il est victime d’un black-out immédiat…

"Tout est rapidement devenu flou, je me suis rapidement trouvé sur ce que l’on appelait la terrasse, l’étage qui surplombe la boîte. Seuls Carl et les sorteurs y ont accès. Je me suis retrouvé médusé, incapable de bouger. Je sens que l’on me traîne sur un fauteuil. Je ne sais pas combien d’heures j’y reste. Je me souviens juste avoir essayé de sortir en rampant, mais quelqu’un m’a ramené à mon point de départ".

Sita va en fait passer la nuit à cet endroit. Lorsqu’il se réveille, encore à moitié drogué, au petit matin, Carl De Moncharline l’attend au pied de l’escalier. Il a un casque de moto à la main. Il lui propose de le ramener chez ses parents.

"Il ne va pas me ramener chez moi. Il va m’emmener chez lui et me proposer de dormir encore un peu. Je suis encore complètement étourdi et je ne résiste pas. Il m’emmène dans une chambre impersonnelle avec des murs bordeaux et juste un lit. Il n’y a même pas de couette. Il y a plein de bouteilles d’eau sur l’appui de fenêtre. Il est derrière moi, il ferme la porte, il me pousse contre le lit et enlève mon pantalon. Il fait ce qu’il a à faire… Ça ne dure pas très longtemps. Moi par sécurité, je ne me débats pas. Je me rends compte que je suis en train de me foutre dans quelque chose qui va me rattraper toute ma vie…".

"Il me demande de changer de rôle. Et là, c’est plus fort que moi, ce n’est pas ma position. Ce n’est pas ce que je veux, il n’y a pas de consentement. Je n’ai pas demandé ça. Utiliser mon corps pour lui, ce n’est pas possible. Il voit sur ma tête qu’il y a un rejet, une peur. Là tout va aller très vite, il remballe tout et me fout à la porte."

Aux yeux de Sita, Cette agression a fait éclater sa vie. Elle va détruire toute estime de soi. Il va avoir des comportements à risque et contracter le sida. Il passe de longs moments à l’hôpital. Il abandonne ses études…

"Depuis cette époque, je suis en mode survie, par rapport au VIH mais aussi par rapport à mon corps. Je ne sais plus déterminer si les gens m’aiment ou veulent juste mon corps. J’ai eu honte. Je n’en ai parlé à personne. Le fait que j’ai été drogué annule complètement le consentement que j’aurais pu donner. Je me souviens de ne jamais l’avoir donné. J’étais un objet sexuel. Aujourd’hui, j’ai 26 ans, et je vois que cette personne est toujours active dans le milieu de la nuit, ce qui est pour moi une vraie injustice. C’est pour ça que je parle aujourd’hui, même si je n’ai pas porté plainte à l’époque".

Nous contacterons Carl De Moncharline afin qu’il réponde à ces affirmations. Dans un premier temps, il nous fixe un rendez-vous pour une interview. Mais le jour dit, il ne répond plus à nos appels et nous envoie son avocat.

Selon Jean-Pierre Buyle, Carl De Moncharline "est extrêmement choqué. Il conteste les faits. Ce que ces témoins expliquent ne correspond pas du tout au profil de mon client. Il est actif dans la vie nocturne bruxelloise depuis 30 ans. Il a créé cinq établissements de tout premier rang où il n’a jamais eu de problème. Mon client a un casier judiciaire vierge. Il n’a jamais eu à répondre d’une quelconque atteinte de ce type. Il a été entendu dans le cadre d’une plainte et elle a été classée sans suite". Reste qu’à notre connaissance toutes les plaintes portées contre Carl de Moncharline n’ont pas été classées sans suite pour le moment…

Jean-Pierre Buyle critique aussi l’anonymat des personnes qui portent ces accusations. Il nous reproche également de ne pas avoir accepté de lui montrer ces interviews au moment où nous l’avons rencontré. Cette démarche s’explique pourtant simplement : nos témoins craignent d’être l’objet de procédures en diffamation destinées à les faire taire, s’ils sont reconnus. Ils ont réclamé cette garantie d’anonymat comme préalable à toute interview.

Maître Buyle se lancera également dans un comparatif entre #Balancetonbar et le phénomène #Metoo qui a frappé le cinéma hollywoodien. "#Metoo a libéré la parole, mais il a eu aussi des effets dévastateurs. Il y a une tendance actuelle à régler ses comptes sur les réseaux sociaux et les médias. Il est ici question de l’honneur d’un homme qui est attaqué par des ombres et des personnes qui ne se dévoilent pas à son égard. Il n’a pas de précision sur les faits or il est question de la renommée de quelqu’un".

L’avocat reviendra aussi sur des éléments précis des accusations. Notamment la distribution de boissons qui auraient contenu de la drogue. Sa défense est très simple, Carl De Moncharline n’a drogué personne puisqu’il ne donne jamais de verre lui-même… "Il n’y a pas là de Modus Operandi. Mon client ne remet jamais de verre à ses visiteurs. C’est son personnel qui s’occupe de ça".

Ces propos peuvent étonner. On peut supposer que les patrons de ce type d’établissement offrent de temps en temps des verres, parce que c’est tout simplement une manière normale d’entretenir sa clientèle. Par ailleurs, nous recueillerons le témoignage d’une ancienne membre du personnel du Wood, qui confirmera que "Carl avait l’habitude d’offrir des verres en particulier aux jeunes filles".

Enfin l’avocat Jean-Pierre Buyle reviendra sur les "prétendues relation sexuelles entre mon client et des jeunes gens de 17 ou 18 ans. Mon client n’a jamais eu de relation de ce type. Ce n’est ni son profil, ni son expérience, ni la manière dont il est perçu dans la cité. Ça ne lui est jamais arrivé sur 30 ans de carrière".

16 et 17 ans

Sur ce point précis, un autre témoignage vient contredire ces dénégations. Nous avons rencontré Adèle. Elle a 59 ans. Il y a plusieurs années, elle est allée récupérer deux amies de sa fille qui affirmaient avoir été agressées par Carl De Moncharline, toujours au Wood, toujours à l’étage. Elles avaient 16 et 17 ans… "Elles ont appelé ma fille au secours par GSM. Le téléphone de ma fille était branché sur un haut-parleur. J’ai donc entendu l’appel à l’aide et me suis rendue sur place".

Adèle parviendra à sortir les deux jeunes filles de la boîte de nuit. Elles expliqueront s’être vues offrir des verres, s’être retrouvées à l’étage sur la terrasse… "L’une des deux se sentira mal et ira vomir aux toilettes. Lorsqu’elle reviendra, elle verra Carl De Moncharline couché sur son amie, les mains dans le pantalon de la jeune fille. C’est là qu’elle s’enfuira et appellera au secours".

"Lorsque je les récupère, je les emmène à l’hôpital. Elles sont examinées par un médecin qui fait des prélèvements de sang. Elles sont vertes, en tant que maman cela me rassure qu’on les examine. Je les ramène ensuite chez elles. Elles me font jurer de ne rien dire à leurs parents."

"Quelques jours plus tard, une des mamans de ces jeunes filles m’appelle. Elle m’explique que les deux jeunes filles accompagnées de leurs deux mères ont déposé plainte. Elle m’explique que le policier qui les a entendues a précisé qu’il existait déjà d’autres plaintes contre le même personnage, Carl De Moncharline. Elle m’apprend également que l’on a retrouvé de la drogue (MDMA) dans le sang des deux jeunes filles."

Adèle ajoutera en guise de conclusion qu’il est temps de s’assurer que de pareils faits ne se reproduisent pas encore aujourd’hui.

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