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Intelligence artificielle : les craintes et réactions du monde de l'art

L'intelligence artificielle est dorénavant capable de créer en quelques secondes n’importe quelle image à partir d’une description textuelle.

Photographie peepo / Getty Images ©

Midjourney, Imagen ou encore DALL-E, de plus en plus d'intelligences artificielles sont employées à des fins artistiques. Des utilisations qui suscitent la crainte et la réaction des artistes quant à l’avenir de la création.

En aout 2022, L’artiste américain Jason Allen a remporté un concours d’art organisé au sein du Colorado State Fair avec un tableau généré par l’intelligence artificielle de Midjourney. L’œuvre en question, intitulée Théâtre D’opéra Spatial, aurait nécessité 80 heures de travail, ou plus précisément de "prompt crafting". Mais l’annonce de cette victoire — aussi modeste soit-elle — n’a pas fait l’unanimité au sein de la communauté artistique. Certains créateurs y ont même vu le signe que "l’art est en train de mourir sous nos yeux", comme on peut le lire sur Twitter. D’autres redoutent que l’avènement des programmes d’intelligence artificielle génératrice contribue à l’ubérisation des industries créatives.

Des craintes ravivées par la dernière campagne du San Francisco Ballet (SFB) pour Casse-Noisettes. La compagnie de danse américaine s’est servie d’illustrations générées par Midjourney pour assurer la promotion du célèbre ballet… pour le plus grand déplaisir des internautes. Ils sont nombreux à avoir exprimé leur consternation sur les réseaux sociaux quant au fait que le SFB ait choisi de se servir d’un logiciel d’intelligence artificielle génératrice, et non d’un illustrateur "en chair et en os". "Tellement décevant de voir qu’une organisation dans le domaine des arts utilise l’art généré par l’IA et nuit délibérément aux artistes visuels", a écrit un internaute sous une publication Instagram du SFB. "L’art généré par l’IA dans sa forme actuelle exploite le travail des artistes sans leur consentement, sans les créditer et sans les rémunérer".

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Face à l’engouement que suscitent les programmes d’IA générative, certains artistes entrent en résistance. Ils ont notamment exprimé leur mécontentement sur la plateforme ArtStation, où ils sont nombreux à héberger leur travail. Tout a commencé lorsque certains d’entre eux ont remarqué en décembre que des images créées par des logiciels d’intelligence artificielle ont été mises en ligne sur la plateforme. Une situation inadmissible pour Suzanne Helmigh, directrice artistique chez Ghostfire Gaming. "J’envisage vraiment d’enlever mon travail d’endroits comme Artstation", s’est-elle insurgée sur Twitter. "S’il n’y a plus d’intérêt à créer de l’art, et que notre travail est juste bon à être introduit dans une machine, pour être malmené et Frankensteinisé en des visuels d’IA".

Des images dénonçant la présence de ces œuvres controversées ont été massivement publiées sur ArtStation avec le hashtag #noaiart pour appuyer les protestations des artistes digitaux qui utilisent la plateforme. Une polémique à laquelle ArtStation a réagi en déclarant que ses "directives en matière de contenu n’interdisent pas l’utilisation de l’IA dans le processus de publication des œuvres d’art”. La filiale d’Epic Games a ajouté qu’elle ne souhaite pas "devenir un gardien avec des conditions qui étouffent la recherche et la commercialisation de l’IA ", tout en soulignant que les artistes devraient être libres de décider comment leurs créations sont utilisées. Certaines banques d’images comme Shutterstock ont pris le parti d’ArtStation en accueillant à bras ouverts les images générées par une intelligence artificielle, tandis que d’autres comme Getty les ont interdites.

Un outil plus qu’un artiste à part entière

Mais qu’en est-il des musées et autres institutions culturelles ? Sont-ils prêts à accueillir des images générées par DALL-E 2, Midjourney et consorts, au côté d’œuvres de Léonard de Vinci, Pablo Picasso ou encore Yayoi Kusama ? L’idée fait encore débat puisqu’elle est entourée de questionnements éthiques sur la conception de ces images, leur transparence ou encore le consentement des créateurs dont le travail est utilisé pour entraîner les logiciels d’intelligence artificielle. A cela s’ajoutent des interrogations autour de la passivité de la machine : est-elle au commande de la création ou juste un outil supplémentaire pour les artistes visuels, au même titre que l’appareil photo ?

Le Museum of Modern Art de New York voit surtout dans cette technologie un moyen de mettre en avant la richesse de sa propre collection. Il a convié l’artiste digital turco-américain Refik Anadol à se servir des quelque 200.000 œuvres d’art en sa possession pour illustrer l’histoire de l’art moderne, avec le concours d’une intelligence artificielle. Les visiteurs du musée new-yorkais peuvent admirer le résultat final, jusqu’au 5 mars, dans plusieurs installations immersives, collectivement appelées "Refik Anadol : Unsupervised". Elles prennent la forme de trois sculptures de données protéiformes qui donnent à voir les "rêves" et les "hallucinations" de la machine, comme l’explique Refik Anadol.

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Des songes en perpétuel changement à l’image de l’art, selon Michelle Kuo, conservatrice au MoMa et co-organisatrice de l’exposition "Refik Anadol: Unsupervised". "Ce projet remodèle la relation entre le physique et le virtuel, le réel et l'irréel", a-t-elle déclaré dans un communiqué. "Souvent, l'IA est utilisée pour classer, traiter et générer des représentations réalistes du monde. Le travail d'Anadol, en revanche, est visionnaire : il explore les rêves, l'hallucination et l'irrationalité, proposant une autre compréhension de l'art moderne— et de la création artistique elle-même". 

Mais, aussi esthétiques soient-elles, les rêveries de la machine restent nourries par celles d’hommes et de femmes bien réels. Si l’intelligence artificielle repousse plus que jamais les limites de l’expression de la créativité humaine, elle ne crée que sur les instructions d’un individu en chair et en os. Elle n’a aucunement l’intention de réaliser une œuvre d’art : c’est nous qui interprétons ses réalisations comme telles. Cette technologie n’est donc pas prête de se substituer aux artistes et n’a même jamais ambitionné de le faire.

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