“Quand j’ai demandé mon revenu d’intégration sociale, j’ai signé un contrat PIIS. Je le sais maintenant, mais au moment même, je n’y comprenais rien. Quand on n’a pas été longtemps à l’école, ce genre de document est beaucoup trop compliqué. Je devais signer un papier pour recevoir mon argent, alors je l’ai fait. J’avais besoin de ce revenu, sinon j’étais à la rue. Financièrement, cela a été une période très difficile, mais ce dont je me souviens encore, c’est comment cette méfiance du CPAS me rongeait de l’intérieur.”
Le Projet individualisé d’Intégration sociale (PIIS) est le contrat que la plupart des demandeurs du Revenu d’intégration sociale (RIS) doivent signer dès qu’ils reçoivent leur allocation. Jennifer était étudiante quand elle a demandé un RIS. Depuis lors, elle a eu son diplôme et elle a un emploi. Mais de nombreuses personnes sont encore aujourd’hui dans sa situation de l’époque. En 2020, pas moins de 106.200 personnes avaient un PIIS en Belgique. Les moins de 25 ans représentent près de la moitié de ces contrats.
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Le RIS n’est pas une allocation inconditionnelle. La loi prévoit clairement que les demandeurs ne doivent pas seulement disposer de moyens insuffisants et avoir épuisé tous leurs autres droits. Ils doivent aussi répondre à des critères liés au séjour, à l’âge, à la nationalité et à la disposition à travailler. L’intention initiale du PIIS était de traduire ces conditions légales, avec l’ayant droit au RIS, en objectifs concrets. Les autorités voulaient ainsi faire en sorte que les personnes puissent “se réintégrer durablement dans la société et retrouver le chemin de l’emploi”. Mais la réalité n’est pas aussi rose que cet idéal.
Les bénéficiaires du RIS ne doivent pas tolérer des ingérences dans leur sphère personnelle
Lorsqu’on élabore un projet d’intégration sociale, on oublie souvent que les conditions du revenu d’intégration sont déterminées par la loi. Dans la pratique, on constate que des critères supplémentaires sont inclus dans le PIIS, souvent sans être conscient que ce n’est pas légal. Même si c’est fréquent dans la pratique, ce n’est pas légal. Dans les PIIS que nous avons pu consulter, ces conditions supplémentaires vont de la participation à des activités bénévoles aux résultats scolaires des enfants en passant par l’obligation de les mettre à la crèche.
Dans ce cadre-là, un CPAS a même fait parler de lui dans les médias parce qu’il voulait inclure dans le parcours d’accompagnement l’usage obligatoire de moyens de contraception. C’est évidemment inacceptable. L’objectif ne peut pas être qu’en demandant un RIS, les gens doivent tolérer des ingérences dans la sphère de leur existence personnelle.
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On pourrait rétorquer que les gens sont libres de ne pas signer le PIIS, mais c’est purement théorique. La plupart des ayants droit au RIS se trouvent dans une position vulnérable pour qui rend difficile de négocier avec leur travailleur social. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant. Le RIS est l’ultime filet de protection dans notre système social. Ne pas pouvoir bénéficier de cette allocation, c’est se retrouver sans revenu. Cette menace fait en sorte que les demandeurs se sentent entièrement dépendants du CPAS. Comme le montre le témoignage de Jennifer, bon nombre d’entre eux ne comprennent pas non plus le contenu, et le jargon administratif du PIIS. On peut déjà se demander si, dans de tels cas, il est déontologique de le faire signer par la personne. Plus fondamentalement, cela fait qu’on ne peut pas qualifier le PIIS de véritable contrat : le déséquilibre de pouvoir entre les parties est trop grand pour cela.
La perspective de perdre leur allocation exerce aussi une pression permanente sur les ayants droit au RIS. C’est aussi l’intention explicite du législateur. L’idée qui sous-tend cette approche rigoureuse est que ‘les sanctions incitent les gens à trouver plus rapidement du travail’. Mais ce n’est pas vrai. La pratique et un nombre croissant de recherches scientifiques montrent qu’il n’est pas efficace de donner un caractère conditionnel à une allocation. Les gens trouvent beaucoup mieux leur place dans la société quand ils ne doivent pas s’inquiéter au sujet de leur revenu.
Les mesures contre la crise du logement sont insuffisantes
Tout cela fait d’ailleurs l’impasse sur la responsabilité de la société à résoudre le problème de la pauvreté. Le PIIS attribue toute cette responsabilité à l’individu. Illustrons cela par un exemple : dans une grande ville, un ayant droit au RIS se voit imposer comme condition dans son PIIS qu’il doit ‘trouver un logement de meilleure qualité, adapté à la composition de son ménage’. C’est une mission quasiment impossible au vu de la grande pénurie de logements abordables et de qualité, en particulier pour les familles nombreuses. Le problème est rendu encore plus aigu parce que les mesures prises par la ville pour s’attaquer à cette crise du logement sont largement insuffisantes. C’est précisément la responsabilité d’une autorité publique de s’attaquer à ce type de causes structurelles.
Personne ne nie que la très grande majorité des travailleurs sociaux dans les CPAS s’efforcent d’accompagner le mieux possible les bénéficiaires d’un RIS. Seulement, ils sont soumis à une très lourde charge de travail. Non seulement tout le monde se tourne vers eux en cas de crises, comme celle du coronavirus ou lors des inondations, mais l’obligation de justification des CPAS vis-à-vis des autorités supra-locales est disproportionnée. Le PIIS n’est pas une aide à cet égard, au contraire. De nombreux travailleurs sociaux indiquent qu’il leur fait encore perdre plus de temps en paperasseries.
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Les ayants droit au RIS ne sont guère convaincus par le PIIS. Les travailleurs sociaux les rejoignent également pour demander sa suppression. C’est un constat important, maintenant qu’une évaluation du PIIS est sur la table du gouvernement fédéral. Karine Lalieux, la ministre en charge de l’Intégration sociale et de la Lutte contre la Pauvreté, a dit qu’elle voulait écouter les gens sur le terrain, en premier aux personnes en situation de pauvreté elles-mêmes. La Plateforme, qui réunit par-delà la frontière linguistique des organisations de lutte contre la pauvreté, des syndicats et des associations professionnelles de travailleurs sociaux de CPAS, ne croit pas que de petits aménagements apporteront une solution : ce sont les principes sur lesquels s’appuie le PIIS qui sont erronés. C’est pourquoi nous demanderons à la ministre d’assurer que les AS aient suffisamment de temps pour accompagner les personnes. Nous attendons des pouvoirs publics qu’ils s’attaquent aux causes structurelles de la pauvreté, et pas à ceux qui doivent faire appel au revenu d’intégration sociale.
Carte blanche signée par : Griet Vielfont en Floor Michielsen (SAAMO), Geert Schuermans (SAM, steunpunt Mens en Samenleving), Caroline Van der Hoeven (Belgisch Netwerk Armoedebestrijding), Christine Mahy (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté), Jean Peeters (Front commun des SDF), Sébastien Gratior (HE2B – IESSID), La Ligue des droits humains, Dora De Sorte (Federatie van Vlaamse OCMW Maatschappelijk Werkers), Fatiha Dahmani (ACV Puls), Heidi Degerickx (Netwerk tegen Armoede), , Karin Guenter & Brigitte Van der Herten (vzw De Link), Koen Trappeniers (Welzijnszorg), VLAams STRaathoekwerk Overleg.