Il y a aussi les plans d’urbanisation. Le cœur historique de Verviers se trouve sur une butte qui est à 15 mètres au-dessus du niveau de la Vesdre, donc les premières habitations se sont mises à l’abri de la rivière. Pour le 19e et le 20e siècle, la presse quotidienne est aussi une bonne source.
Vous parlez d’”éléments de mémoire” de ces inondations. Or, on sait que, au contraire du cœur de Verviers, on a par la suite beaucoup construit en zone inondable. Est-ce qu’on a perdu la mémoire en quelque sorte ?
Oui, on a oublié, on n’a pas tiré les leçons du passé. On a perdu la mémoire du risque. On a perdu la mémoire d’une relation très concrète avec la rivière.
On n’a pas tiré les leçons du passé. On a perdu la mémoire du risque.
Je cite souvent l’exemple de Vaux-Sous-Chèvremont en 1998, où un habitant se plaignait de ne pas avoir été averti de la montée des eaux. Son voisin, décédé, n’était plus là pour donner l’alerte : ce dernier avait installé une sirène sur son toit, quand l’eau montait, il l’enclenchait et les habitants savaient alors qu’ils devaient monter les meubles etc.
Donc, il y a des habitudes qui se sont perdues. Je pense qu’on perd conscience des dangers qui nous entourent. C’est assez humain, quand on a un mauvais souvenir, on essaie de l’enfouir, et après un certain temps on en oublie les contours.
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Les repères historiques de crue, ce sont des signes dans le paysage qui renseignent toutes les générations sur des phénomènes qui se sont produits. Ce rapport à la rivière, ce rapport à l’inondation, ce rapport au risque, l’histoire doit permettre de le retrouver.
Mais les inondations de juillet dernier ont tout de même un caractère exceptionnel.
Oui, quand je vois les photos d’époque où les niveaux semblent parfois très très élevés (mais je ne peux pas les quantifier), j’ai du mal à croire les anciens qui disent qu’ils n’ont jamais vu ça. Ils ont probablement, comme je le disais, enfoui certains souvenirs.
Mais c’est vrai que, d’un point de vue historique, les inondations de juillet sont exceptionnelles au niveau de leur durée (normalement le niveau baisse après 9 ou 10 heures, cette fois ça a duré au moins 48 heures) et du nombre de victimes.
En dépouillant les gazettes, depuis le milieu du 19e siècle, la catastrophe la plus grande que j’ai identifiée, c’est l’inondation de la Meuse en 1880, avec 12 victimes. Ici on en a une quarantaine. La cause, est-ce que c’est l’événement en lui-même ou la perte de la conscience du risque, ça fait partie des réflexions à avoir sur la prévention du risque à l’avenir.
Quels autres éclairages avez-vous pu tirer de vos recherches ?
Par exemple, il y a des lieux qui apparaissent de façon récurrente. Le lieu-dit La Brouck, dont on a beaucoup parlé en 2021, apparaît par exemple systématiquement à chaque inondation depuis le 19e siècle. C’est aussi le cas de la rue de la station à Chênée, ou des prairies en amont de Verviers, du côté de Dolhain.
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On a ainsi une série de lieux dont on peut retrouver la trace. Cela devrait aider à anticiper, à essayer de développer une culture du risque, à tenir compte d’un passé long si on construit ou si on entreprend une activité à tel ou tel endroit. Alors est-ce qu’on assume, est-ce qu’on n’assume pas… Ce n’est pas à moi de me prononcer mais en tant qu’historien, je pense pouvoir apporter à la décision publique à venir un certain nombre d’éléments.
Est-ce qu’il y a aussi des enseignements à tirer au niveau d’éventuelles solutions à mettre en œuvre pour lutter contre les inondations ?