Inondations 2021

Inondations : "L’histoire peut aider à entretenir la mémoire du risque"

Inondation à Verviers en février 1906 (rue du Marteau)

© Institut Destrée. Sofam

Par Daphné Van Ossel

"Tout le pays, des deux côtés de la rive, n’est pour ainsi dire qu’une vaste nappe d’eau". "La Vesdre a pris les allures d’un fleuve, et d’un fleuve en colère". Ces citations ne datent pas de juillet dernier. Elles datent respectivement de 1878 et 1880. Paul Delforge, historien à l’Institut Destrée (et par ailleurs calidifontain), les a retrouvées dans la presse de l’époque.


►►► Retrouvez notre dossier spécial : inondations en Belgique, 6 mois après


A la suite des inondations des 13 et 14 juillet 2021, il a entrepris de répertorier toutes les inondations survenues dans la vallée de la Vesdre. Et, comme souvent, ce plongeon dans le passé peut participer à éclairer le futur. L’historien en est persuadé. Il nous a précisé comment, lors de cet entretien.

La première conclusion de vos recherches, c’est qu’il y a toujours eu des inondations ?

Inondation à Verviers en février 1906 (rue du Marteau)

Oui, pour la Vesdre, on peut dire que, depuis le milieu du 19e siècle, il y a eu en moyenne une inondation par année. Il y a des années où il y en a 3- 4, et d’autres où il n’y en a pas. Mais évidemment, leur ampleur peut varier. Et c’est en ça, je pense, que la démarche de l’historien est originale. On a depuis quelques décennies des mesures pluviométriques et hydrométriques, mais on n’a pas beaucoup d’informations sur les temps plus anciens. Du coup, on base souvent les prévisions de récurrence d’inondations (‘c’est une inondation comme il y en a tous les 5 -20-100 ans…’) sur des chiffres récents. La démarche de l’historien vise à essayer de travailler sur des périodes plus longues pour pouvoir affiner nos évaluations des phénomènes qui peuvent nous attendre.

On base souvent les prévisions de récurrence d’inondations sur des chiffres récents. La démarche de l’historien vise à essayer de travailler sur des périodes plus longues.

Avez-vous déjà pu tirer des conclusions à ce niveau-là ?

Pas encore, car, en ce qui concerne la vallée de la Vesdre, je me suis rendu compte qu’aucune étude n’avait encore été faite sur le sujet. J’ai donc dû commencer par l’aspect quantitatif, c’est-à-dire par identifier toutes les inondations – j’en ai répertorié une centaine depuis 1840- et cela a pris beaucoup de temps. Donc, l’aspect qualitatif, c’est-à-dire analyser l’importance de ces inondations en termes de débordement, ce sera pour une deuxième phase de recherche.

C’est un véritable travail d’enquête, quelles sont vos sources, que vous ont-elles appris ?

Repère historique de crue, situé sur une façade de la rue Saint-Nicolas, à Namur.

Il suffit parfois de lever la tête. Dans le bassin mosan, il existe 260 repères de crue. Ce sont des plaques métalliques, posées sur des façades, qui marquent la hauteur maximale atteinte par les cours d’eau à différentes époques. Il y en a notamment une à Namur qui montre les niveaux atteints en 1880, 1926, 1740. Ce sont des éléments de mémoire qui servaient à prévenir les gens, à leur indiquer, par exemple, qu’il serait préférable de ne pas placer leur chaudière à tel endroit.

D’autres sources sont des cartes postales, des photos, ou des gravures anciennes, qui montrent, par exemple, des ponts construits avec des contreforts, ce qui indique que la rivière était impétueuse. Il y a d’autres indices : à Verviers, les maisons ont 3-4 marches pour accéder au rez-de-chaussée, ce qui veut donc dire qu’on savait qu’il allait régulièrement y avoir 50 ou 60 cm dans les rues.

Il y a aussi les plans d’urbanisation. Le cœur historique de Verviers se trouve sur une butte qui est à 15 mètres au-dessus du niveau de la Vesdre, donc les premières habitations se sont mises à l’abri de la rivière. Pour le 19e et le 20e siècle, la presse quotidienne est aussi une bonne source.

Vous parlez d’”éléments de mémoire” de ces inondations. Or, on sait que, au contraire du cœur de Verviers, on a par la suite beaucoup construit en zone inondable. Est-ce qu’on a perdu la mémoire en quelque sorte ?

Oui, on a oublié, on n’a pas tiré les leçons du passé. On a perdu la mémoire du risque. On a perdu la mémoire d’une relation très concrète avec la rivière.

On n’a pas tiré les leçons du passé. On a perdu la mémoire du risque.

Je cite souvent l’exemple de Vaux-Sous-Chèvremont en 1998, où un habitant se plaignait de ne pas avoir été averti de la montée des eaux. Son voisin, décédé, n’était plus là pour donner l’alerte : ce dernier avait installé une sirène sur son toit, quand l’eau montait, il l’enclenchait et les habitants savaient alors qu’ils devaient monter les meubles etc.

Donc, il y a des habitudes qui se sont perdues. Je pense qu’on perd conscience des dangers qui nous entourent. C’est assez humain, quand on a un mauvais souvenir, on essaie de l’enfouir, et après un certain temps on en oublie les contours.


►►► Comment aménager notre manière de vivre aux abords des cours d’eau ?


Les repères historiques de crue, ce sont des signes dans le paysage qui renseignent toutes les générations sur des phénomènes qui se sont produits. Ce rapport à la rivière, ce rapport à l’inondation, ce rapport au risque, l’histoire doit permettre de le retrouver.

Mais les inondations de juillet dernier ont tout de même un caractère exceptionnel.

Oui, quand je vois les photos d’époque où les niveaux semblent parfois très très élevés (mais je ne peux pas les quantifier), j’ai du mal à croire les anciens qui disent qu’ils n’ont jamais vu ça. Ils ont probablement, comme je le disais, enfoui certains souvenirs.

Mais c’est vrai que, d’un point de vue historique, les inondations de juillet sont exceptionnelles au niveau de leur durée (normalement le niveau baisse après 9 ou 10 heures, cette fois ça a duré au moins 48 heures) et du nombre de victimes.

En dépouillant les gazettes, depuis le milieu du 19e siècle, la catastrophe la plus grande que j’ai identifiée, c’est l’inondation de la Meuse en 1880, avec 12 victimes. Ici on en a une quarantaine. La cause, est-ce que c’est l’événement en lui-même ou la perte de la conscience du risque, ça fait partie des réflexions à avoir sur la prévention du risque à l’avenir.

Quels autres éclairages avez-vous pu tirer de vos recherches ?

Par exemple, il y a des lieux qui apparaissent de façon récurrente. Le lieu-dit La Brouck, dont on a beaucoup parlé en 2021, apparaît par exemple systématiquement à chaque inondation depuis le 19e siècle. C’est aussi le cas de la rue de la station à Chênée, ou des prairies en amont de Verviers, du côté de Dolhain.


►►► Lutte contre les inondations : Tubize, l’exemple à suivre ?


On a ainsi une série de lieux dont on peut retrouver la trace. Cela devrait aider à anticiper, à essayer de développer une culture du risque, à tenir compte d’un passé long si on construit ou si on entreprend une activité à tel ou tel endroit. Alors est-ce qu’on assume, est-ce qu’on n’assume pas… Ce n’est pas à moi de me prononcer mais en tant qu’historien, je pense pouvoir apporter à la décision publique à venir un certain nombre d’éléments.

Est-ce qu’il y a aussi des enseignements à tirer au niveau d’éventuelles solutions à mettre en œuvre pour lutter contre les inondations ?

Le Barrage de la Gileppe, carte postale, fin XIXe début du XXe siècle.

Au niveau des barrages de la Gileppe et d’Eupen, j’ai pu vérifier qu’effectivement, comme cela a été dit, lors de leur conception, leur but principal n’était pas de lutter contre les inondations. Pour le barrage de la Gileppe, le but était principalement de réguler la rivière pour éviter que l’industrie textile ne manque d’eau, et pour le barrage d’Eupen, le but était surtout de fournir de l’eau potable, de produire un peu d’électricité et aussi de réguler la rivière. Mais à l’usage, on s’est rendu compte empiriquement que le barrage d’Eupen, surtout, pouvait retenir un peu d’eau lors d’inondations, et donc on lui a demandé de remplir cette fonction-là au cours du 20e siècle.

Sinon, il y a eu d’importants investissements des pouvoirs publics sur l’Ourthe, l’Amblève, la Vesdre, ou la Meuse. Et on ne peut pas dire qu’ils n’ont servi à rien. Les travaux faits dans les années 60 sur l’Ourthe ont par exemple généré un certain contentement chez les riverains.

Après, la question est de savoir si on peut faire quelque chose face à des évènements qui dépassent visiblement les normes, et si ces évènements sont amenés à revenir ou pas ?

Paul Delforge a retracé l'historique des inondations dans la vallée de la Vesdre

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous