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Infiltrations d’eau, humidité, chaudière et ascenseur en panne : la grande mosquée du Cinquantenaire tombe-t-elle en ruines ?

Une charpente trouée, des infiltrations d’eau, une chaudière qui ne fonctionne plus depuis des mois : le bâtiment de la grande mosquée tombe sur pied.

© RTBF

Par Karim Fadoul

Direction le sous-sol et une porte grise. Derrière se cachent deux imposantes installations de chauffage d’un autre temps, reliées à un tableau électrique aux connexions désuètes. L’objectif est de nous montrer que, "c’est bien simple, il n’y a plus de chauffage à la grande mosquée de Bruxelles, située dans le parc du Cinquantenaire. Et ce depuis sept ou huit mois", déplore Ramadan Gjanaj, conseiller du président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique. Mieux ou pire : "La citerne à mazout ne peut plus être remplie. Elle n’est plus conforme selon un organisme agréé. Toutes ces installations sont très anciennes, elles datent des années 70 ou 80", ajoute celui-ci.

Ramadan Gjanaj est notre guide dans la visite d'un bâtiment emblématique de la Région bruxelloise et qui semble presque tomber en ruines... Il accueille, à l’occasion des cinq prières quotidiennes pour les musulmans, entre 300 et 400 personnes. "Le vendredi, le jour de la grande prière, cela peut aller jusqu’à 2500 personnes". Autant de personnes qui ont sans doute remarqué que l’édifice est très mal en point. 

La deuxième étape va nous le prouver. Après le sous-sol et les salles d’ablutions qui présentent des sanitaires souvent défectueux, place aux étages supérieurs et la toiture.

Une chaudière en panne depuis sept à huit mois.
Des infiltrations d’eau jusque dans la salle de prière.
De l’humidité partout sur les murs extérieurs.

Nous grimpons sur une échelle menant à une trappe. Dans cet espace poussiéreux, éclairé à la lumière de nos smartphones, la charpente en bois ravagée laisse filer des rayons de la lumière du jour en plusieurs endroits. C’est un véritable gruyère. "Ici, c’est un rafistolage", nous montre Ramadan Gjanaj. "Le concierge a installé des grandes bâches de plastique un peu partout qui mènent à des poubelles qui récupèrent l’eau quand il pleut. C’est pour éviter que l’eau ne s’infiltre encore plus et que les dégâts empirent."

Des dégâts déjà visibles. La structure métallique qui soutient la charpente est rongée de toutes parts par la rouille. Juste en dessous, au niveau de la grande salle de prière, de grandes taches brunâtres s’affichent sous les dômes, sur les murs… Il a déjà plu dans la salle avec des tapis qui finissent par sentir le moisis... A l’extérieur, on retrouve même des carrés de roofing, provenant de la toiture, éjectés par le vent.

Câbles électriques problématiques, affaissement des chemins…

La liste des pépins de santé du bâtiment, ancien pavillon de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1897, converti en mosquée dans les années 70, s’allonge lors de notre inspection.

"L’ascenseur est hors service. Résultat", détaille Ramadan Gjanaj, "les fidèles qui viennent prier dans la grande salle à l’étage et qui sont à mobilité réduite sont soit obligés de prendre l’escalier, ce qui n’est pas évident, soit de prier dans la petite salle du rez mais qui n’est pas prévue pour cela. Mais ce qui est humainement insupportable, c’est lorsque nous organisons des prières mortuaires et que le corps du défunt doit être transporté dans la salle de prière par l’escalier et non plus par l’ascenseur comme si c’était une marchandise… Pour les familles et pour nous, c’est difficile…"

Notre parcours nous permet aussi de repérer des câbles électriques qui pendent, non gainés… A l’extérieur, l’humidité a rongé une grande partie de la façade... quand le béton armé n’est pas mis à nu. Le chemin de pavés qui entourent la mosquée s’affaisse laissant craindre une instabilité du terrain...

S’il fallait tout rénover, la facture s’élèverait, "selon des estimations que nous avons établies avec la Régie des Bâtiments, le propriétaire, entre 1,5 et 2 millions d’euros. Ce sont des chiffres remontant à 2019. Depuis, il y a eu la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, l’inflation des prix... Les estimations de départ devront de toute manière être revues à la hausse…"

Un tableau électrique d’un autre temps.
Une charpente trouée, une structure de soutien rouillée et des sacs en plastique pour récupérer l’eau qui s’infiltre.
L’ascenseur est hors d’usage depuis plusieurs mois.

Pourquoi ce bâtiment plus que centenaire, situé dans un parc classé, est quasiment laissé à l’abandon et ne bénéficie pas de travaux urgents de rénovation ? Depuis la fin, en mars 2019, de la concession ayant permis à l’Arabie saoudite de gérer la mosquée et le centre culturel islamique du Cinquantenaire depuis 1967, le bâtiment est entre les mains de l’AGMB, l’Association de gestion de la grande mosquée. En son sein, notamment, des représentants de l’Exécutif des musulmans de Belgique, l’académie de formations des imams, un comité de gestion provisoire du lieu de culte, mais aussi des représentants des SPF Justice, Intérieur, de la Régie fédérale des Bâtiments, propriétaire, ainsi que de la Région bruxelloise.

Les moyens d’action de l’ASBL sont limités depuis que le ministre de la Justice Vincent Van Quickeborne (Open VLD) a décidé de stopper, en décembre 2020, le processus de reconnaissance de la grande mosquée suite à un rapport de la Sûreté de l’Etat parlant d’ingérence du pouvoir marocain. Il évoquait également des activités d’espionnage de la part de l’ancien président de l’Exécutif Salah Echallaoui, lequel a fait condamner l’Etat belge. En septembre 2022, le tribunal civil de Bruxelles a estimé que le ministre de la Justice, s’était illégalement ingéré dans les activités d’une autorité religieuse.

Ajoutez à ces tensions, le retrait, en 2022, de la reconnaissance de l'Exécutif des musulmans par le même ministre, vous obtenez une méfiance entre les différentes parties en charge de la gestion de la grande mosquée qui pénalise la mise en œuvre d’une rénovation.

Un projet de rénovation avant le départ de l’Arabie saoudite

"Il y a", suppute Ramadan Gjanaj, "une volonté délibérée de créer l’impossibilité de faire fonctionner ce bâtiment et de laisser la responsabilité à l’Exécutif. Mais celui-ci ne peut pas fonctionner puisque ses seuls revenus sont les subsides de l’Etat."

Un projet d’envergure avait pourtant été déposé juste avant le départ de l’Arabie saoudite souhaitant faire du lieu un modèle en matière environnementale et de consommation d’énergie avec pose d’une double peau, panneaux solaires et récupération des eaux de pluie. Les plans avaient fait même l’objet d’une enquête publique avant d’être rangés par les architectes après le transfert de la gestion.

Aujourd’hui propriété de l’Etat, le bâtiment meurt sur pied et les fidèles s’interrogent. "La situation dans ce bâtiment s’est à tel point dégradée que des citoyennes et des citoyens sont venus me trouver pour me dire que, par exemple, cet hiver, ils sont venus prier dans le bâtiment et qu’il faisait froid, humide", indique Ahmed Mouhssin, député bruxellois Ecolo.

Les fidèles ne comprennent pas

"Ils voient cette mosquée se dégrader et ils ne comprennent pas la situation. Il faut que le bâtiment soit rénové et à nouveau chauffé. Ce bâtiment est symbolique. Et puis, il y a eu des engagements de l’Etat fédéral de maintenir ce bâtiment comme mosquée et centre culturel musulman. Pour l’ensemble de la communauté musulmane, il est important qu’il y ait à Bruxelles un lieu symbolique musulman dans un état digne. Ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Avec l’Etat qui ne prend pas ses responsabilités, c’est qu’on entend aussi des personnes dire que c’était mieux géré avant avec les Saoudiens. Il y a un message qui est dissonant qui jette le discrédit sur un islam de Belgique. Ce problème, il faut le résoudre."

L'immobilier qui n'est plus entretenu, l'Exécutif qui lance un appel à l'aide, des fidèles inquiets... A ceci s’ajoute, si ce n'est pas assez, la question des assurances. Le bâtiment de la grande mosquée est-il correctement assuré ? "Au jour d’aujourd’hui, je n’en suis pas certain", avance Ramadan Gjanaj, se basant sur des informations internes évoquant un non-paiement des primes par le Fédéral. Une crainte évoquée déjà dans un mail de 2021.

La Grande mosquée de Bruxelles est à un tournant de son histoire

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Que répondent les autorités? Interrogé ce mardi en commission du parlement bruxellois, le ministre-président Rudi Vervoort (PS) rappelle que "le dossier de demande de reconnaissance de la Grande Mosquée de Bruxelles est toujours en suspens suite à l’avis défavorable du ministre de la Justice. Tant que ce dernier ne remet pas un avis favorable, le dossier ne peut être soumis au gouvernement bruxellois qui, dès lors, ne peut se prononcer."

"La situation difficile que connaît l’Exécutif", ajoute le ministre-président, "suite à l’arrêté royal du 29 septembre 2022 relatif au retrait de sa reconnaissance, ne facilite évidemment pas le fonctionnement des différentes instances des ASBL qui sont liées à l’Exécutif des Musulmans de Belgique." Reste que la Région se montre préoccupée par l'état du bâtiment. "Nous leur (NDLR: la Régie fédérale des Bâtiments) avons demandé un état des lieux. A cette heure, nous n’avons pas encore obtenu de réponse."

Ce n'est pas une manière de gérer les cultes

"En mars 2020", précise encore Rudi Vervoort évoquant une volonté de "laisser le dossier se dégrader", "lors d’une réunion de la Commission d’Information et de Concertation, nous avons été informés de la décision du Gouvernement fédéral de valider la prise en charge financière de la restauration du bâtiment de la Grande Mosquée du Cinquantenaire par la Régie des Bâtiments pour un montant de 1.033.000 euros. Ce soutien était conditionné à un remboursement dudit montant via un loyer sur une période de 30 ans.  Depuis lors, la question du bâtiment et des éventuels travaux n’a plus été évoquée."

Une réunion est programmée en juillet entre Rudi Vervoort et le secrétaire d'Etat fédéral en charge de la Régie des Bâtiments Mathieu Michel (MR). La question de l'état de la grande mosquée sera mise à l'ordre du jour. En tout cas, insiste Rudi Vervoort, "ce n'est pas une manière de gérer les cultes. La gestion de l'Exécutif n'a pas toujours été parfaite. Mais il ne faut pas pour autant rester dans une situation où rien ne bouge".

Interpellée par la RTBF, la Régie des Bâtiments n'a pas été en mesure, au moment de la publication de cet article, de répondre à nos questions.

L'ancien pavillon de l'exposition universelle de 1897, construit pour y exposer le panorama "Le Caire et les bords du Nil" réalisé par Émile Wauters en 1881.
L'ancien pavillon de l'exposition universelle de 1897, construit pour y exposer le panorama "Le Caire et les bords du Nil" réalisé par Émile Wauters en 1881. © D. R.

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