Responsabilité des pétroliers
Chez Shell, lors d’une assemblée générale d’actionnaires du 18 mai, comme le rapporte le Monde, ce recours en justice avait été jugé "décevant" par la multinationale. Les procès n’aideraient pas forcément à relever le défi climatique posé aux industries a-t-on aussi pu entendre. Le groupe au logo en forme de coquille Saint-Jacques a cependant argué que le changement climatique devait amener à des changements nécessaires et argué qu’il avait déjà resserré ses ambitions.
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Si les actionnaires mêmes semblent conscients de l’enjeu environnemental, de même que ceux d’un autre géant pétrolier, Exxon, qui ont poussé lors de son assemblée générale d’hier à une accélération de la transition énergétique, d’autres arguent que c’est aux gouvernements à agir. Car les entreprises privées ne sont pas signataires de l’accord de Paris sur le climat. Ce dernier a été signé entre pays.
Un non-sens ?
Pour le professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB, Samuele Furfari, interviewé par Le Vif/L’Express, la justice "se trompe de cible". "Aucune industrie ne produit du CO2 pour son plaisir ou par envie. Le CO2, c’est le pot d’échappement de la vie, le vecteur du vivant" réagit le spécialiste. "Cela fait cinquante ans que le monde industriel se bat pour réduire ses coûts de production et donc sa consommation d’énergie, qu’il lutte drastiquement contre les émissions de CO2 en recherchant davantage d’efficacité énergétique. Les sociétés agissent de la sorte pour rester concurrentielles, pour les intérêts de leurs actionnaires et non pour la cause du climat". Il explique aussi que c’est le consommateur d’énergie carbonée qui doit être mis en cause, non pas celui qui produit l’énergie. Les difficultés pour le secteur pétrolier occidental vont être grandissantes, ce qui va nuire fortement à notre économie, sans avoir d’impact sur le climat. "L’efficacité en matière environnementale ou industrielle n’y gagnera rien, il y aura juste destruction de valeur pour les actionnaires" s’inquiète Samuele Furfari.
Mais la Cour de la Haye a rendu l’argument non valable, en stipulant que sans la coopération de l’industrie, les objectifs ne peuvent être atteints. Et que Shell a donc une responsabilité.
Conscientisation
Roger Cox, l’avocat néerlandais qui a gagné la bataille contre le géant pétrolier, explique qu’il a argumenté notamment en se basant sur le "jugement de la trappe de sous-sol". Ce jugement, vieux de plusieurs siècles, avait condamné un patron de café d’Amsterdam alors qu’un individu était tombé dans une trappe laissée ouverte vers la cave. Le tribunal avait conclu que même si aucune loi n’existait sur la fermeture des trappes, "il est évident que vous ne pouvez pas créer un danger pour les autres, même s’il n’existe aucune règle précise en la matière" explique l’avocat dans une remarquable interview donnée au journal l’Echo. Tout ne peut donc pas être prévu dans la loi et on estime donc entreprises pétrolières sont maintenant bien au courant des processus qui mènent au changement climatique. Et que leurs activités, à l’instar de la trappe du cafetier, "mettent en danger la vie des autres". "Nous avons montré à travers ce jugement que le pouvoir politique et économique de ces entreprises était réel" souligne Roger Cox.
Nous avons montré à travers ce jugement que le pouvoir politique et économique de ces entreprises était réel
D’autres procès par le passé avaient échoué, comme en Norvège, contre l’exploration pétrolière, en 2018. Ou encore le procès contre ExxonMobil, intenté en 2019 par l’Etat de New-York.
Mais ce procès de Shell aux Pays-Bas pourrait donc bien s’avérer être un tournant dans le domaine de la justice climatique…
Changer de cap
Du côté de Greenpeace, on crie "victoire". "Shell doit maintenant changer radicalement de cap et réduire ses émissions de CO2 pour s’aligner avec un objectif de réchauffement maximal de 1,5 degré" a déclaré l’ONG environnementale.
Mais comment ? Dans les cartons du géant, il y a pour le moment toujours le gaz naturel, car celui-ci "produit moitié moins de CO2 et seulement un dixième des polluants atmosphériques que le charbon génère". On parle aussi de captage et de stockage de CO2, et d’innovations pour des carburants (y compris des biocarburants) plus efficaces et moins dispendieux en polluants.
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