Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, place à Nadine Minampala qui révèle le plein potentiel de personnes qu’elle sensibilise à l’entrepreneuriat.
Le rendez-vous est fixé au septième étage d’un immeuble ixellois. La vue sur la capitale est imprenable. C’est ici que Nadine Minampala, 49 ans, travaille un jour par semaine sur ses projets, tandis que le reste du temps, elle reçoit chez Start-Creation, son ASBL, dont les bureaux sont situés à quelques rues de là. Il suffit de quelques instants pour percevoir sa force tranquille et sa perspicacité. Celle qui se décrit comme accompagnatrice a le sens de l’écoute et de l’observation. Elle dit : "Mon outil, c’est l’humain, la personne qui est en face de moi."
La justice sociale en ligne de mire
"Je suis née réfugiée politique. Mon père faisait partie de l’intelligentsia congolaise, il était militant. Il est arrivé pour étudier en Europe. Il est devenu docteur en droit." C’est dans ce contexte d’effervescence des savoirs que la petite Nadine grandit. "Je suis la dernière d’une fratrie de quatre et la plus rebelle."
Son adolescence bascule lors d’un événement qui deviendra fondateur. "Mes parents se sont séparés quand j’avais 13 ans, ça a été l’un de mes plus gros traumatismes." Si elle est élevée dans un milieu intellectuel, elle n’est au départ pas véritablement motivée par l’idée de poursuivre ses études. Néanmoins, à la fin des secondaires, son père insiste et l’inscrit dans une école pour devenir assistante sociale. "Ça a été la révélation, je voulais plus de justice sociale, j’avais déjà mal au monde. C’était la formation qu’il me fallait."
Elle continue ensuite avec un cursus pour apprendre le métier d'éducatrice spécialisée. Pendant ses stages, elle découvre le secteur de l’alphabétisation. "Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’étrangers parmi le public cible, ça m'a touchée, j'ai cherché à comprendre pourquoi." C’est à travers cette expérience qu’elle saisit l’ampleur de la stigmatisation à laquelle sont confrontées beaucoup de personnes d’origine étrangère, ainsi que les conséquences sur les enfants de ces personnes.
Comprendre les réalités de l’autre
Riche de ces apprentissages, Nadine Minampala se lance dans un troisième cursus, cette fois-ci en systémique (décidément pour quelqu’un qui voulait arrêter après les secondaires !). "Mais ce sont mes expériences professionnelles qui m’ont formée plus que mes études finalement."
Après avoir travaillé comme éducatrice au sein d’une maison de quartier, elle est engagée dans une association active auprès des détenu·es et qui accompagne les libéré·es sous conditionnel. Elle occupe cette position pendant presque 4 ans. "Les détenus, ce sont les parents pauvres du social, j’ai dépassé mes peurs et découvert un secteur que je ne connaissais pas et qui m’a formée à l’écoute, la bienveillance, le non-jugement."
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En les accompagnant, elle les aide à trouver des formations. Très sensible aux vécus des personnes qu’elle soutient, notamment les migrants illégaux incarcérés pour des raisons administratives, elle cherche des outils pour les guider aux mieux. "J’ai rencontré le docteur Woitchik, une pointure de l’ethnopsychiatrie à Bruxelles. Il m’a proposé d’intégrer sa consultation qui offrait des solutions thérapeutiques à des personnes d’origine étrangère." Elle se forme auprès du spécialiste pendant un an. Une expérience qu’elle décrit comme très enrichissante, mais en 2000, elle tombe enceinte et décide de changer de voie.
Elle commence une mission pour la coopération belge dans un service d’éducation au développement. L’objectif du programme Annoncer la couleur est alors de former des profs pour permettre aux jeunes de développer un esprit critique en questionnant les relations nord-sud. "Ça m’a beaucoup plu, on parlait d’interculturalité, de diversité, de démocratie, d’éducation. À nouveau, cette expérience m’a beaucoup formée."
Start-Création pour lutter contre la discrimination
Devenue spécialiste des questions d’interculturalité, elle est appelée par Marie Arena, alors ministre de l’intégration sociale, pour donner un atelier. Nadine Minampala fait mouche. "Elle m’a annoncé qu’elle cherchait quelqu’un pour permettre aux personnes étrangères d’être accompagnées et ainsi solutionner les questions de discrimination à l’embauche et l’entrepreneuriat."
Elle se lance dans l’aventure. "J’étais déjà convaincue que l’entrepreneuriat social était une réponse pour qui a le souhait de s’autonomiser, d’être dans son plein potentiel tant au niveau local qu’international." Et c’est comme ça qu’elle se retrouve à créer, développer et gérer un service à destination d’un public migrant qui veut entreprendre. C’est le début de ce qui deviendra son ASBL Start-Création en 2009. Orientée solutions, elle développe petit à petit des outils ; les besoins sont immenses.
Je pose un regard très critique sur l’environnement dans lequel j’évolue. Je trouve que l’écosystème de l’entrepreneuriat reste très fermé, et c’est parce qu’il est fermé qu’il est discriminant. J’essaye de le rendre plus accessible
"Il y a encore trop de personnes d’origine étrangère qui ne demandent pas conseil parce qu’elles ont peur de l’institution. Elles craignent d’être stigmatisées. De mon côté, je vais dans les associations, les écoles, pour parler de la culture entrepreneuriale. La transmission, une valeur très importante pour moi." La coach accompagne plus de 500 porteurs et porteuses de projets par an. Elle a collaboré avec différentes structures d’accompagnement.
"Pour moi, la diversité, c’est aussi la mixité, et ce à tous niveaux. Je veux donner sa chance à chacun·e d’accéder à ces structures. J’en ai fait ma mission." Elle se dit persuadée qu’à partir du moment où une personne est en confiance dans un environnement vertueux, elle a la possibilité de s’autonomiser et de créer son emploi. "Je sais qu’il y a des freins, mais ces freins peuvent être dépassés pour autant que la personne ait la bonne info." Elle poursuit : "Tu peux insuffler toutes les techniques pour comprendre l’entrepreneuriat, mais ce qui est important pour une personne qui veut développer un projet c’est d’abord de savoir qui elle est. Souvent, les structures d’accompagnement ne connaissent pas le public issu de la diversité et ne font pas d’efforts pour vraiment comprendre ce public-là."
Tout le monde peut entreprendre
Pour aller plus loin dans l’accompagnement, elle a ouvert récemment deux espaces de travail partagé à Ixelles. "Je pose un regard très critique sur l’environnement dans lequel j’évolue. Je trouve que l’écosystème de l’entrepreneuriat reste très fermé, et c’est parce qu’il est fermé qu’il est discriminant. J’essaye de le rendre plus accessible. Je pense que quand l’humain est reconnecté avec ses valeurs intrinsèques plein de choses s’éveillent."
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Aujourd’hui, Nadine Minampala est également ambassadrice pour le B19, un cercle d’affaires. Mais la spécialiste prolonge son engagement bien au-delà de Bruxelles. Elle est professeure volontaire pour l’ONG Professors without borders qui pallie le manque de profs au niveau supérieur en Afrique. "Là-bas, je forme les jeunes à l’entrepreneuriat et je leur dis : ‘vous avez tout dans votre environnement pour vous développer, vous autonomiser, être fièr·e de vous. L’eldorado européen, ce n’est pas ce que vous croyez’. Il y a un vrai message militant qui est important pour moi : le développement, il peut se passer au niveau local."